Journalisme international

L’otage qui n’existe pas

27 septembre 2010. François Bugingo est en Mauritanie pour négocier la libération d’un journaliste, pris en otage par le groupe Al-Qaïda. La rencontre est tendue. À un certain moment, des avions survolent le lieu de rendez-vous. « Si les avions tirent, nous vous tuons tous », lance alors le terroriste.

Ce jour-là, François Bugingo dit avoir eu la peur de sa vie. « J’ai un gamin de 6 ans, je me suis dit qu’il était temps que j’arrête », a-t-il raconté à La Presse, le 10 mars 2011. C’est ainsi qu’il a expliqué sa décision de quitter la vice-présidence de Reporters sans frontières (RSF), ainsi que la présidence de la section canadienne de l’organisme, qu’il avait lui-même fondée.

Vérifications faites, RSF n’a jamais donné à François Bugingo le mandat de négocier la libération d’un otage en Mauritanie ; en fait, RSF n’a jamais négocié avec des ravisseurs, et surtout pas avec des terroristes ; de toute façon, il n’y avait aucun journaliste détenu par Al-Qaïda en Mauritanie en septembre 2010.

François Bugingo a plutôt démissionné de RSF le 24 septembre 2010. À l’époque, la section canadienne était en sérieuses difficultés financières. Selon une source, Paris avait refusé d’avancer les 30 000 $ demandés par François Bugingo pour relancer cette section, au bord du gouffre. Depuis, cette entité – qui était entièrement indépendante de Paris – a disparu.

François Bugingo affirme aujourd’hui qu’il n’a pas négocié la libération d’un journaliste otage en Mauritanie. Mais il soutient toujours s’être rendu dans ce pays pour y rencontrer « des gens d’Al-Qaïda ».

Dans quel but ? Le journaliste refuse d’en dire plus, sous prétexte qu’il est en train d’écrire un livre sur sa vie. 

« Ça, tu le comprendras dans le bouquin. Ce que je faisais en Mauritanie, et comment je me suis retrouvé autour de cette table. »

— François Bugingo

Il dit maintenant ne pas avoir été mandaté par RSF. « Je suis allé en Mauritanie pour une autre boîte. J’étais invité par une chancellerie occidentale. » Il dit avoir quitté RSF simplement parce qu’il avait « fait le tour du jardin ».

Le 27 septembre 2010, François Bugingo a pourtant écrit sur sa page Facebook : « J’avoue avoir eu peur du syndrome de la dernière mission qui finit mal. De retour à mon hôtel. Hâte que tout cela finisse. Que cesse la peur. »

MISSIONS SECRÈTES

Un an plus tôt, le 11 mai 2009, le journaliste avait écrit sur Facebook qu’il était « catastrophé par le cambriolage de Reporters sans frontières Canada. Certaines de nos missions secrètes seront-elles mises en danger ? Du boulot en perspective… ».

Des missions secrètes ? François Bugingo dit maintenant ne pas en avoir mené. « Je n’ai jamais été dans le secret. » Il admet par ailleurs n’avoir jamais négocié la libération d’un otage avec un ravisseur pour le compte de RSF. « Ce n’est pas notre mandat. »

Le 30 octobre 2013, dans son blogue du Journal de Montréal, il écrivait pourtant avoir été « nombre de fois au cœur de différentes négociations pour la libération de captifs ».

Hervé Deguine, ancien secrétaire général adjoint de RSF, affirme que la contribution de François Bugingo au sein de l’organisme a été plutôt modeste. « C’est quelqu’un de très sympathique, qui communique bien et qui se présente bien. Pour être président d’une association et faire des cocktails, c’est très bien. Mais s’il faut faire des missions qui demandent de la rigueur, du sérieux, un travail approfondi et de la discrétion, ce n’est pas le bon personnage. »

La vice-présidence de RSF International, qu’a occupée François Bugingo pendant des années, est essentiellement honorifique, précise Hervé Deguine. « C’est deux réunions par an autour d’une table d’un salon bien chauffé à Paris où on discute de grandes idées, mais ce n’est pas du tout un organe qui mène des opérations », contrairement au secrétariat général de l’organisme.

Le fondateur de RSF, Robert Ménard, est plus indulgent envers François Bugingo. « Quand je lui ai demandé de faire des choses pour RSF, il les a toujours bien faites », dit M. Ménard, tout en admettant que son ami présentait « une vision romanesque des choses ».

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