Maternité

Deuil de l’abstrait

Perdre un bébé en début ou en fin de grossesse peut susciter des réactions de deuil tout aussi intenses, selon les études. Pourtant, le deuil périnatal est souvent banalisé, pris à la légère, surtout si la perte survient tôt dans la gestation.

« Le deuil est difficile en début de grossesse parce que personne ne reconnaît cette perte. On ne voit pas le bébé, on ne connaît pas le sexe, on n’est pas capable de le nommer, de savoir à qui il aurait ressembler. C’est dur de faire le deuil de ce qui est abstrait et banalisé », affirme Chantal Verdon, infirmière et professeure-chercheuse à l’Université du Québec en Outaouais. Elle s’intéresse au deuil périnatal depuis une vingtaine d’années. « Quand c’est possible, on sait que c’est vraiment important pour les parents de voir le bébé pour les aider à vivre leur deuil. Dans tous les cas, ça fait mal.»

Lors d’une grossesse extra-utérine, la dynamique est particulière. « Il y a un danger pour la vie de la maman. La plupart des femmes se retrouvent aux urgences dans le contexte qu’on connaît. On réalise que, même en 2013, des situations d’urgence existent, que la science ne règle pas tout. Pour la maman qui a failli mourir, un traumatisme s’ajoute au deuil, c’est complexe. »

Sensibiliser la totalité des intervenants

Les pères aussi sont touchés, note Chantal Verdon. « Ils nous en parlent beaucoup. Ils ont perdu un bébé, mais ils ont aussi failli perdre leur conjointe. On leur dit de prendre soin d’elle, de s’en soucier. La société leur envoie à tort le message que ça ne les touche pas. Ils restent avec des séquelles. Avec le recul, ils prennent conscience de l’ampleur de l’épreuve. »

Le deuil prénatal est d’autant plus difficile à vivre, selon Chantal Verdon, que plusieurs intervenants n’y sont pas sensibilisés. « Il y a encore beaucoup de travail à faire dans les hôpitaux. Si une femme enceinte arrive aux urgences la fin de semaine ou dans une salle d’attente bondée, la laissera-t-on sur une civière, la retournera-t-on chez elle ? Il existe encore des histoires d’horreur. » La Chaire de recherche du Canada sur la santé psychosociale des familles, dont est membre Chantal Verdon, vient d’amorcer une étude sur les services et les intervenants aux urgences dans les cas de fausse couche et de grossesse extra-utérine. « Avant, ces femmes étaient directement prises en charge dans les salles d’accouchement. Dans les années 90, on les a ramenées aux urgences pour économiser de l’argent. Je ne crois pas que c’était la bonne chose. »

«Le protocole, la pratique et les attitudes des professionnels de la santé ont un grand impact sur les femmes enceintes, affirme Lorraine Fontaine, coordonnatrice du Regroupement Naissance Renaissance, qui prône l'humanisation de la période  périnatale. Au nom de l'efficacité du système de santé, on a évacué l'humain. On reconnaît qu'il y a une surcharge de travail dans les hôpitaux, mais ça crée beaucoup de souffrance chez les femmes enceintes. C'est vrai lors de l'accouchement, mais aussi lors de fausses couches et de grossesses ectopiques. Certaines vivent même un choc post-traumatique. Quelque chose a été échappé.»

Les phases du deuil

Faute de ressources, les parents sont souvent laissés à eux-mêmes, avec leur peine soudaine. Parfois, ils reçoivent une tape sur l’épaule ou un mot réconfortant d’une infirmière. Parfois, une liste désuète d’organismes communautaires. Parfois, rien. « Ils doivent se débrouiller s’ils veulent recevoir de l’aide. Un parent en deuil n’aura pas l’énergie pour frapper à 50 portes. Or, on sait qu’un deuil non reconnu, mal vécu, a des conséquences. » Ça peut notamment mener à une dépression ou à des problèmes d’attachement. « À la grossesse suivante, certains parents n’ont toujours pas préparé la chambre du bébé, n’ont pas cherché de prénom, à quelques jours de l’accouchement. »

Le deuil est-il plus intense au cours d’une première grossesse ? « Les gens sont uniques, les expériences de vie aussi, dit Chantal Verdon. Si c’est une première grossesse, il peut y avoir la peur de ne jamais être parent ou le deuil d’un enfant désiré depuis de nombreuses années. Si on est déjà parent, on sait concrètement ce qu’on perd. On a aussi à vivre son deuil en s’occupant des enfants qui posent parfois des questions sans mettre des gants blancs. C’est confrontant. On se sent coupable de pleurer parce qu’on nous dit de nous réjouir d’avoir déjà de beaux enfants. »

Un deuil sain se vit par phases. « On ne fait pas un deuil par étapes comme on fait un gâteau, précise Chantal Verdon. On vit un deuil dans une oscillation de réactions de tristesse, de colère et de moments positifs, où l’on souhaite réinvestir sa vie. Ce mouvement, avec avancées et reculs, fait partie du processus. Tant que ça bouge, c’est normal. Je recommande néanmoins de consulter, d’en parler. »

Quoi qu’il en soit, la peur sera bien ancrée pendant la grossesse suivante. « Parce qu’il y a eu danger de mort, la grossesse suivante est accompagnée d’un stress énorme, c’est tout à fait normal, dit Chantal Verdon. C’est souvent l’occasion de tourner la page. À la naissance, certains parents libèrent enfin les émotions liées à la mort du bébé précédent.»

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