Chronique

Debout contre Revenu Québec

Comme Claude Robinson face à Cinar, Jean-Yves Archambault s’est tenu debout. Pendant 10 ans, il a tenu tête à Revenu Québec. Malgré l’incroyable acharnement du fisc, il vient de remporter sa bataille. Mais cette victoire exceptionnelle n’en est pas vraiment une, car sa vie est brisée, son entreprise est en ruine et sa santé bat de l’aile.

La semaine dernière, j’avais eu un échange de courriels avec l’ancien entrepreneur qui m’avait même donné la frousse. Épuisé psychologiquement et financièrement, il voyait le mur arriver.

Incapable de payer son hypothèque, il craignait de perdre la maison qu’il avait bâtie de ses propres mains, comme sa PME.

Comment survivre à 10 ans de stress judiciaire ? Comment vivre avec une dizaine de créanciers à ses trousses ? Comment s’en sortir sans le sou, sans rien ? À bout. Il était complètement à bout.

Il faut croire que les juges ont entendu les échos de sa détresse. Lundi après-midi, le jugement de la Cour d’appel est tombé. Victoire ! Mais une victoire très amère.

Sur le plan juridique, le succès de M. Archambault est éclatant. La cour confirme « l’abus de pouvoirs extraordinaires » dont il a été victime. L’homme d’affaires injustement ruiné par le fisc remporte 3 millions de dollars, soit environ 3,8 millions avec les intérêts.

Or, M. Archambault doit 3,9 millions à ses avocats, à ses créanciers… et à Revenu Québec qui lui réclame un autre million, à cause d’une nouvelle cotisation fondée sur du vent que le fisc a pondue durant la saga judiciaire pour le désarçonner encore plus.

N’empêche, M. Archambault a gagné sur le plan social. Sa lutte a fait ressortir l’attitude cavalière de Revenu Québec envers les PME.

L’automne dernier, le Protecteur du citoyen a vertement critiqué les abus du fisc. Peu de temps après, le patron de Revenu Québec a démissionné. Pressé par le ministre des Finances, Revenu Québec vient de déposer un plan pour assurer un meilleur respect des contribuables. J’y reviendrai plus loin.

De plus, le procès de Jean-Yves Archambault a mis en lumière le système de quotas et de bonis chez Revenu Québec. Au bénéfice de tous les contribuables, M. Archambault a d’ailleurs déposé une requête visant à faire cesser cette pratique qui peut pousser les agents du fisc à gonfler les avis de cotisation. 

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C’est exactement ce qui s’est produit avec la PME de M. Archambault, le Groupe Enico, une société de technologie en forte croissance qui employait une quarantaine de personnes et réalisait un chiffre d’affaires de près de 6 millions de dollars.

Alerté par une dénonciation, le fisc a lancé une vérification fiscale concernant les taxes d’Enico en 2006. Mais l’un des agents du fisc qui se faisait passer pour un stagiaire était en fait un vérificateur aguerri qui a entrepris en cachette une vérification de l’impôt de la PME, contrevenant ainsi aux propres politiques de Revenu Québec.

Cet agent qui faisait déjà l’objet d’une plainte disciplinaire commettra des erreurs grossières qui auront des conséquences dévastatrices pour Enico.

Méthode de vérification déraisonnable. Informations entrées en double. Boîte de documents disparue. Enico se retrouvera avec des cotisations totalisant 1,8 million… qui seront finalement dégonflées à 108 000 $.

Mais dans l’intervalle, les bourdes et les abus s’accumuleront. Revenu Québec saisira les comptes de banque de la PME. Ses prêteurs inquiets couperont les vivres de l’entreprise qui sera forcée de fermer ses portes.

S’il avait su, M. Archambault aurait tout simplement fait faillite. Mais il voulait léguer son entreprise à ses enfants qui travaillaient avec lui. L’homme de 57 ans voulait passer le flambeau. « Tout ce que j’aurais demandé, c’est qu’ils mettent ma photo dans la salle de conférences avec la mention : Jean-Yves Archambault, Fondateur », raconte-t-il en étouffant un sanglot.

« À la place, les gens vont se souvenir de moi comme un cr… de vieux fou qui a voulu se battre contre le fisc », dit-il.

Quel gâchis ! Cette saga judiciaire a coûté une fortune en avocats et en frais de cour, parce que Revenu Québec a toujours refusé de s’entendre avec M. Archambault. Des millions perdus pour l’État, alors que la PME aurait pu contribuer à la croissance économique du Québec.

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Mais comme je vous le disais tout à l’heure, il y a de l’espoir. Dans son plan d’action dévoilé hier, Revenu Québec annonce une série de mesures pour mieux respecter les droits des contribuables.

Il est question d’intensifier les mesures préventives de contrôle des entreprises frauduleuses (excellent, la vraie solution est là), d’instaurer un processus d’accompagnement des PME (bonne nouvelle), d’adopter une charte des droits des contribuables (bravo ! on est tous pour la vertu) et de numéroter les projets de cotisation pour permettre aux contribuables de s’y retrouver (franchement ! ce n’est pas du luxe).

Revenu Québec veut aussi créer un bureau indépendant de révision qui pourrait intervenir en cas d’entorse aux principes de justice administrative. Reste à voir jusqu’à quel point sa mission recoupera celle du Protecteur du citoyen.

Revenu Québec veut aussi permettre aux PME de soumettre leur litige aux petites créances, un recours qui est limité aux individus ayant un litige de moins de 4000 $ présentement.

L’idée a du bon, car les PME pourraient se défendre sans avocat, et ainsi réduire les frais. Or, le procès ne serait pas à armes égales, car le fisc, de son côté, serait défendu par quelqu’un de fort bien outillé.

Mais dans cette réforme, il est dommage que Revenu Québec n’ait pas cru bon d’instaurer un mécanisme de médiation qui interviendrait dès les premières étapes de la vérification fiscale, comme l’avait d’ailleurs recommandé le rapport Godbout.

Avec l’arrivée du nouveau Code de procédure civile, l’avenir est à la justice participative. Le fisc devrait emboîter le pas et mettre fin à la culture d’affrontement qui coûte cher pour rien.

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