Chronique

L’ère des plantes vertes

Beaucoup de courrier après cette chronique sur les députés-plantes vertes, la semaine dernière. Du courrier outré.

Voici un échantillon représentatif :  « Un Parlement avec ses forces et ses faiblesses est la base de notre démocratie. Connaissez-vous un meilleur régime ? En quoi contribuez-vous à défendre l’intérêt public, la base du journalisme, en faisant de telles généralisations réductrices, députés = plantes vertes ? »

Le reste était à l’avenant.

D’abord, vous dire que je n’ai rien contre les plantes vertes. J’en ai moi-même quelques-unes à la maison.

Ensuite, je le répète : le rôle de parlementaire s’est érodé au cours des dernières décennies. La tendance est lourde, au fédéral et dans les provinces : c’est au bureau du chef que ça se passe. C’est de là que partent les ordres, sur tout et sur rien. Les députés obéissent, l’autonomie est réservée à quelques poids lourds.

Brent Rathgeber a été élu sous la bannière conservatrice en 2008. En 2013, il a démissionné du caucus de Stephen Harper pour siéger comme indépendant parce qu’il était irrité de se faire dicter sa conduite « par quelque employé du Bureau du premier ministre âgé de 24 ans ».

« La discipline de communication empêche le député de représenter les gens de sa circonscription, le réduit au rôle de porte-parole du gouvernement », écrit-il sur le site web de sa campagne (il se représente comme indépendant dans Edmonton-St. Albert).

Pour illustrer l’érosion du rôle de parlementaire, M. Rathgeber explique qu’après de timides et modestes efforts pour impliquer les parlementaires canadiens dans la sélection des juges de la Cour suprême, Stephen Harper a refait de ce processus un privilège de l’exécutif. Et les députés n’ont rien à dire ou à redire là-dessus…

C’est quand même fantastique, quand on y pense : un seul élu décide qui sera juge à la Cour suprême sans que DES élus aient un mot à dire. Zéro contrepoids.

C’est pourtant le rôle d’un Parlement face à l’exécutif : être un contrepoids.

La démocratie américaine n’est pas parfaite, mais la chose serait parfaitement inadmissible et inimaginable. Les postes d’importance y sont l’objet de robustes interrogatoires par des parlementaires. Quand le président des États-Unis décide de combler un siège à la Cour suprême, le candidat doit se plier à un interrogatoire qui décoiffe. Ça permet de savoir ce que le candidat a dans le corps et au public de savoir à qui il a affaire.

Savoir à qui on a affaire… Quand on a su les considérables entourloupettes d’Arthur Porter, la nomination de l’ex-directeur du CHUM au comité de surveillance des espions canadiens est rétrospectivement apparue comme une bêtise sans nom.

Pour moi, le scandale était – est encore – ailleurs : pourquoi nommer des non-élus à ces postes ?

Pourquoi les députés ne feraient-ils pas ce travail ? Aux États-Unis, ce sont des parlementaires qui surveillent (mal, mais c’est une autre histoire) les activités des espions américains.

La question n’est donc pas de savoir si la démocratie sous nos cieux est un meilleur régime que le parlementarisme à la nord-coréenne. En souligner les travers n’est pas mettre de l’huile journalistique sur le feu du cynisme populaire face à la politique : c’est décrire les choses telles qu’elles sont. Ce qui alimente le cynisme, c’est la certitude généralisée que les élus n’ont que peu d’impact sur l’ordre des choses.

Et les députés le démontrent chaque jour en acceptant leur condition de plantes vertes serviles.

AUCUN RAPPORT, OU PRESQUE 

Gilles Ouimet a démissionné de son poste de député libéral de Fabre. Une grande partie des commentaires ayant accueilli sa démission tourne autour du fait que M. Ouimet a confié que s’il avait été nommé ministre, il aurait eu un incitatif à rester aux affaires.

On peut s’arrêter à cela seulement, en analysant sa démission. On peut aussi regarder un peu son CV, parler à des gens qui évoluent dans le milieu du droit. Et on entend alors des choses remarquables : avocat émérite, coauteur d’un livre largement cité sur le Code criminel, bâtonnier de Montréal, puis bâtonnier du Québec…

Sur papier, Gilles Ouimet était taillé sur mesure pour être ministre de la Justice.

Et là, je regarde le CV de Stéphanie Vallée, l’actuelle ministre de la Justice…

Première ligne de son expérience profes-sionnelle : négociatrice en chef au ministère fédéral des Affaires indiennes, en 2006-2007.

Deuxième ligne : associée dans un bureau d’avocats à Maniwaki (1995-2007).

Troisième ligne : stagiaire dans un bureau d’avocats de Québec.

J’insiste : la troisième de ligne du CV de la ministre de la Justice sur le site de l’Assemblée nationale évoque son stage dans un bureau d’avocats, après ses études…

Juridiquement, c’est un CV poids plume.

Mais dans le régime actuel, c’est assez pour devenir ministre de la Justice. Mon étonnement est moins un commentaire sur Mme Vallée, qui est sans doute une personne pleine de qualités, que sur les exigences de la fonction de ministre au XXIe siècle dans une grande province d’un pays du G7.

Bref, à la place de Gilles Ouimet, je serais parti aussi. Quand le système te destine à être une plante verte et que le réel te le confirme, j’imagine que tu réalises qu’il y a des endroits plus intéressants qu’un Parlement.

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