Naissance

Accoucher devant l’objectif

Le 4 septembre 2012, quand il est devenu évident qu’elle allait accoucher, Stéphanie a prévenu son amoureux, quelques proches et Sarah Tailleur… sa photographe. Comme de plus en plus de futurs parents, elle a décidé de confier à une professionnelle le soin d’immortaliser son accouchement. Et du coup, dévoiler sa plus grande intimité sous l’objectif d’une caméra.

« Oui, je sais, on a en tête l’image d’une femme les pieds dans les étriers ! » D’entrée de jeu, la photographe admet en rigolant que son travail en salle d’accouchement peut évoquer des images absolument pas romantiques.

Pourtant, sur les photos qu’elle nous montre de la naissance de Mély-Anna, la fille de Stéphanie Bilodeau et de son amoureux, Mathieu, on ne voit ni scène sanglante ni gros plans d’entrejambe.

Sur l’une d’elles, Mathieu embrasse la main de Stéphanie et la regarde intensément. Elle semble inspirer profondément, les yeux clos. Sur une autre, on aperçoit une parcelle de drap inondée de lumière et, au-dessus, le regard heureux du père. On devine ici que le bébé est sur le point de naître.

N’empêche, la photographe, elle, est aux premières loges. Pendant tout le processus de l’accouchement, et après la naissance du bébé, elle prendra environ 2000 clichés, certains très intimes. Car les parents ont donné carte blanche à Sarah. Tout est documenté. Stéphanie et Mathieu avaient fait appel à la photographe pour leur mariage et pendant la grossesse. Poursuivre avec elle l’expérience jusque dans la salle d’accouchement s’est avéré un choix tout à fait naturel.

C’était une première pour Sarah, qui a photographié une autre naissance depuis. Mais pour Marie-Claude Lapointe, qui œuvre dans la région de Sherbrooke, c’est un pan complet de sa carrière. 

La photographe a d’abord assisté à l’accouchement d’une amie, il y a 16 ans. Conquise par l’expérience, elle a ensuite offert le service au grand public. Elle l’admet aussi, c’était l’occasion pour elle de faire sa place dans un créneau où ses collègues masculins auraient du mal à lui faire concurrence.

Au fil des années, la demande s’est accrue, tant et si bien qu’elle doit aujourd’hui refuser des contrats. Mais qu’est-ce qui motive autant de parents à inviter une tierce personne à un événement aussi privé ? « Au moment de l’accouchement, on n’est pas dans l’énergie d’être témoin. On est trop participatif pour prendre des photos nous-mêmes », explique Dominic Marcotte, dont les filles Stella et Alizée sont nées sous les yeux de Marie-Claude.

Son amoureuse acquiesce. « C’est difficile d’expliquer pourquoi on fait ça. Personne d’autre dans mon entourage ne l’a fait, raconte Josée Courtemanche. Pour nous, les enfants sont venus plus tard qu’on aurait voulu, alors l’accouchement, c’était une célébration. La photographie est apparue comme faisant partie de cette célébration. Et puis je ne voulais pas que Dominic prenne les photos : j’avais besoin de lui ! »

Le couple conserve certaines photos très personnelles à l’abri des regards. « Il y a des photos qui ne sont pas grand public, confie Dominic. On les garde pour nous, mais dans le fond, c’est juste la vie, la vie pure. »

PLUS QU’UNE RELATION D’AFFAIRES

En tout temps, les parents peuvent mettre fin à la séance de photo, assurent les deux photographes. Pour arriver à tisser une relation qui mettra les clients totalement à l’aise, elles conviennent avant le jour J des limites de leur travail, et des désirs du couple.

« N’importe quand pendant la séance, ils peuvent me mettre dehors ou m’engueuler, explique Marie-Claude Lapointe. Une patiente a dit une fois : “Hey, le criss d’appareil photo !” pendant une contraction difficile… Je me suis reculée, et deux minutes après, la femme s’est retournée en me disant : “Oh, excuse-moi, Marie-Claude ! ” Mais c’est normal ! C’est un moment intense, tout peut être dit ! »

La photographe explique qu’elle choisit aussi de s’éclipser quand elle sent que le couple a besoin de se retrouver seul, ou encore que le personnel médical doit s’entretenir de façon privée avec les parents.

À d’autres occasions, elle dépose son appareil-photo pour prendre la main de la future mère, ou rassurer un père dépassé par la douleur de sa femme.

Au fil des heures et des émotions, le lien devient parfois très fort. Les photographes ont même été appelées à couper le cordon ombilical de nouveau-nés. « Quand ma fille est née, Sarah a beaucoup pleuré, se souvient Stéphanie. Elle est devenue une amie. »

DISCRÉTION AVANT TOUT

« Il y a de longs moments où on a oublié qu’il y avait une photographe dans la pièce, raconte Stéphanie. Quand j’ai vu certaines photos, j’étais surprise de voir qu’elle était là à ce moment-là ! »

Une discrétion essentielle pour les parents… et le personnel médical. Les photographes l’admettent, les professionnels sur place se montrent parfois irrités par leur présence. Elles doivent alors les convaincre qu’elles n’interféreront jamais dans leur travail.

« Souvent, l’infirmière ou la sage-femme ne veut pas être photographiée. Je sens aussi que certains médecins ont peur qu’il y ait des poursuites si tout est documenté. Mon travail est de les rassurer. »

— Marie-Claude Lapointe, photographe

Caroline Fortin, aide natale à la maison de naissance Côte-des-Neiges, à Montréal, constate aussi que plusieurs parents ne veulent pas prendre eux-mêmes les photos, mais qu’ils tiennent à garder des souvenirs de l’accouchement. « Le papa veut ne pas voir la naissance de son enfant dans l’œil de la caméra, et parfois, ça peut être un peu plus difficile pour la maman, alors il veut être présent pour elle. On demande à quelqu’un d’autre de prendre quelques photos de la sortie du bébé. »

Elle ajoute que les parents sont libres d’inviter qui ils veulent à l’accouchement, mais que le personnel doit pouvoir appuyer la patiente sans contrainte.

Avec toute cette discrétion viennent des difficultés techniques de taille. Sans éclairage de qualité ni grande mobilité, et avec un minimum d’équipement (souvent une seule lentille), les photographes doivent réaliser des prouesses pour obtenir un résultat satisfaisant. Et parfois pendant de longues (longues !) heures. D’ailleurs, très peu de professionnels offrent ce service au Québec.

« Quand je fais ce travail-là, je pense aux enfants, confie Marie-Claude. On ne sait pas ce qui peut arriver aux parents par la suite – est-ce qu’ils vont s’aimer encore dans 10 ans ? –, mais à cet instant, il y a de l’amour et du désir. Je veux que cet enfant-là voie que ses parents s’aimaient au moment où il est venu au monde. Ils avaient envie d’avoir un enfant. »

COMBIEN ÇA COÛTE ?

Le coût d’une séance photo pour un accouchement varie d’une photographe à l’autre. Marie-Claude Lapointe offre de photographier tout l’accouchement et la première heure du bébé pour 420 $. Ce tarif est valide pour les accouchements à Sherbrooke, où elle habite, mais elle se déplace moyennant un supplément. À ce prix, la famille obtient entre 80 et 100 photos, ainsi que les droits de reproduction. Dans la région de Québec, Sarah Tailleur propose un forfait à partir de 800 $, qui varie selon la durée de l’accouchement. À ce prix, les parents obtiennent entre 40 et 150 photos du travail, de la naissance et des premiers instants du bébé, ainsi qu’un diaporama.

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