Chronique

Le meilleur somnifère du monde

Ils sont des millions à… non, attendez, je reprends avec l’inclusion nécessaire. Nous sommes maintenant des millions à nous endormir en regardant des vidéos YouTube relaxantes d’ASMR, un sigle anglophone qui signifie « réponse autonome sensorielle méridienne ».

Je vous le jure, ça marche. Pour se lover dans les bras de Morphée, ces vidéos hypnotisantes fonctionnent mieux que la méditation guidée, une musique de spa semi-celtique ou tout épisode plate de (insérez ici le titre d’une télésérie ennuyeuse comme la pluie).

L’ASMR, malgré son nom scientifique, c’est super simple. Il s’agit de cette sensation euphorisante de picotements derrière le crâne, qui descend dans le cou et le long de la colonne vertébrale. Plusieurs personnes la ressentent après un massage du cuir chevelu ou en entendant une voix réconfortante, rassurante. Ça ressemble à un doux courant calmant, à un influx électrique très léger qui irrigue le cerveau.

Conçues expressément pour déclencher ces petits orgasmes de la tête, les vidéos d’ASMR ont commencé à pulluler sur YouTube il y a quelques années déjà. Elles ne renferment rien de sexuel. Au contraire. Toutes ces vidéos rudimentaires paraissent, à première vue, banales et sans intérêt.

Mais non. Pour une personne réactive (salut !), c’est le bonheur total. D’abord, sachez que toutes ces vidéos sont chuchotées par leurs animatrices, en grande majorité des femmes.

Et on y voit quoi ? L’important n’est pas tellement de regarder, mais bien d’entendre le bruit des objets captés par un microphone de bonne qualité.

Des ongles vernis qui tapotent un vieux livre. Des allumettes qui craquent sur une boîte. Une brosse qui descend le long d’une couette de cheveux. Un pinceau à maquillage qui flatte le micro. Des ciseaux qui coupent des feuilles. Voilà des exemples de choses que l’on retrouve dans la majorité des clips d’ASMR sur YouTube.

La répétition des gestes, la lenteur de leur exécution et la voix murmurée de la narratrice amplifient l’effet apaisant de tous ces sons éclectiques. L’utilisation d’un casque d’écoute augmente aussi la quantité de frissons.

Je pourrais passer des heures, dans un état de transe, à en regarder. Je sais, je sais, c’est étrange au premier abord. Regardez-en cinq minutes pour vérifier votre compatibilité avec le phénomène ASMR.

Une des têtes d’affiche les plus visibles du mouvement s’appelle Taylor Darling, 21 ans, mieux connue sous son pseudonyme d’ASMR Darling sur YouTube. Sa vidéo la plus populaire a été vue 24 millions de fois et la marque de cosmétiques Lush a noué un partenariat avec elle. Pas mal pour une jeune femme de la Floride qui gratte délicatement des objets avec ses mains impeccablement manucurées.

Une autre youtubeuse très connue, GentleWhispering, verse plus dans l’ésotérisme et les techniques nouvel-âgeuses. Elle est moins intéressante. Plus de 1,3 million d’abonnés la suivent tout de même.

Les vidéos d’ASMR durent, au minimum, une demi-heure, le temps d’induire l’état de bien-être. Ça peut même s’étirer jusqu’à quatre heures pour les insomniaques incapables de trouver le sommeil.

Si vous êtes sensible à l’ASMR, vous avez probablement expérimenté ses premiers effets dans votre jeunesse. C’est peut-être ce sentiment nostalgique que nous cherchons à retrouver en consommant des vidéos d’ASMR, qui sait.

Je le répète : c’est assez bizarre comme matériel YouTube. Un gros plan sur de jolies mains qui pianotent sur un morceau de cuir, avec une voix susurrée en arrière-plan, ça surprend, mettons.

Et après avoir été aspiré dans un vortex d’ASMR, on se questionne sérieusement : est-ce que je viens vraiment de m’enfiler trois heures de vidéos de grattements, de souffles et de tambourinage ?

La réponse est oui. Et on recommence le lendemain dès qu’il y a un trou dans l’agenda. Ou avant d’aller au lit, bien sûr.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.