À TABLE AVEC… NATHALIE PETROWSKI

Portrait d’une baveuse sans retouches

« Quand tu acceptes de faire quelque chose, tu vas jusqu’au bout », me lance la journaliste en pleine entrevue, non pas comme un conseil, mais pour expliquer sa philosophie de vie. Peu importe, je l’écoute et mets cartes sur table : Nathalie Petrowski est mon idole depuis plus de 30 ans.

Bien qu’elle soit devenue une amie depuis son arrivée à La Presse en 1992, je me surprends encore à la regarder et à me rappeler à quel point je la vénérais quand j’ai commencé en journalisme et même avant, à cause de la plume magnifiquement rythmée, du culot, du panache de celle que le défunt magazine La Vie en rose a un jour très justement baptisée « la grande baveuse ».

Dans ces moments-là, je me pince, je me trouve immensément chanceuse de pouvoir l’écouter en direct dans sa cuisine ou dans notre salle de rédaction me raconter mille histoires. Et on reprend la discussion, ’stie.

Car avec Nathalie, on sacre toujours un peu, parfois beaucoup. Autant de jurons qui ponctuent avec une fougue spectaculaire des conversations éclatées sur tous les sujets, de Céline Dion à l’auteur James Ellroy – « un criss de fou furieux, jamais plus ! » –, en passant par la Charte des valeurs ou l’art de poêler le foie gras. Tout cela est rarement simple ou linéaire, toujours drôle, et surtout, jamais, jamais platte.

Portraits retouchés

Le premier texte que j’ai lu d’elle et dont je me souviens est sa fameuse critique du spectacle de René Simard parue en 1978 dans Le Devoir, qui avait fait scandale à l’époque en démolissant une icône. Depuis, elle en a écrit des centaines et des centaines. Le livre qu’elle publie ces jours-ci aux Éditions La Presse, Portraits retouchés, propose 60 portraits choisis parmi 700 papiers publiés dans La Presse entre 2000 et 2013.

Chaque article a été reproduit intégralement, mais Nathalie a ajouté des commentaires – et voilà l’aspect retouché – qui nous font entrer dans les coulisses de son travail, qui lèvent le rideau sur l’arrière-boutique, celle où les journalistes se racontent des détails plus personnels, plus anecdotiques sur l’entretien…

Nous nous sommes retrouvées pour parler de ce nouvel ouvrage chez Graziella, restaurant italien de la rue McGill, un midi cette semaine. Si Nathalie faisait un texte « retouche » sur notre rencontre, elle écrirait probablement que notre collègue Yves Boisvert s’est amplement foutu de notre gueule en nous écoutant tergiverser pendant une vingtaine de minutes sur la table qu’on choisirait. Toqué !, Bonaparte, Olive + Gourmando… Nathalie Petrowski ne choisit pas ses restaurants à la légère. Évidemment, je vais vous dire que c’est une autre de ses grandes qualités.

Durant le lunch, on aurait pu revoir l’actualité, discuter des élections municipales où elle penche en faveur de Marcel Côté, notamment pour sa grande connaissance de la chose culturelle. On aurait pu reparler de la Charte, mais cela n’était pas nécessaire, car on partage la même inquiétude devant le retour dans la société publique du religieux porteur d’inégalités. On aurait pu parler de Stephen Harper, de ses problèmes avec ses sénateurs, de son discours du Trône, mais je sais ce qu’elle aurait dit. Elle aurait parlé du mépris du premier ministre conservateur pour la culture, qui donne des boutons à la journaliste.

On a plutôt parlé d’elle un peu plus que d’habitude, de sa maternité pas mal racontée dans le livre et ensuite le film Maman last call, « qui m’a détournée de mon nombril et de mon moi-même », de son envie d’écrire un polar, car elle adore les polars. De son rêve de gagner à la loto pour pouvoir acheter une immense maison comme celles qu’elle aime visiter juste pour le plaisir dans les « visites libres » du week-end. « Ça me permet de faire des trips dans ma tête », dit-elle. Devenir riche en écrivant des best-sellers ? « Ça, je n’y pense jamais en faisant un projet créatif. Je me dis : tant mieux si le cash vient avec, mais je n’y pense pas, ce que je veux vraiment, c’est toucher les gens comme quand quelque chose me touche. »

Ses premiers pas en journalisme

Nathalie a commencé sa carrière au Journal de Montréal, après des études en communication à l’Université Loyola, aujourd’hui Concordia. Elle est passée rapidement au Devoir où elle s’est fait un nom grâce à des critiques culturelles mordantes ou amusantes. Des textes toujours finement ciselés avec un vocabulaire et un sens du verbe peut-être injectés culturellement en elle durant ses premières années en France – elle est arrivée au Québec à 5 ans – et son éducation au Collège Marie de France à Montréal.

En 1992, on l’a retrouvée à La Presse, où elle est entrée par la grande porte, celle de columnist. Elle dit qu’elle aurait fait n’importe quoi pour changer d’air, mais je me souviens très bien de l’époque. C’était déjà un monument. Personne ne la voyait ailleurs que dans l’opinion.

Car Nathalie a des opinions, souvent tranchantes et précises. Et son réflexe de tout évaluer, de toujours se positionner par rapport autant aux œuvres dont elle parle qu’aux événements sociaux ou politiques dont elle est témoin saute aux yeux dès qu’on l’approche.

Toutefois, le personnage que l’on connaît et que l’on découvre dans les « retouches » de son nouveau livre ne s’arrête pas là. La journaliste doute aussi sans cesse, a une immense capacité d’autodérision, s’inquiète, s’attriste, regrette, ne se félicite jamais et recommence toujours avec la même énergie. Car Nathalie Petrowski est, d’abord et avant tout, une obsédée du travail. Autant devant un article à fignoler ou un scénario à réécrire pour la 257e fois que devant des kilos de raisins à cueillir pour aider une amie à faire les vendanges, Nathalie plonge sans retenue. 

« Je suis incapable de faire de la contemplation », dit cette hyperactive avouée. « Le travail, pour moi, c’est l’antidote à l’angoisse. »

À table avec... Nathalie Petrowski

Nathalie Petrowski

Est née en 1954, journaliste depuis 1976.

Travaille à La Presse depuis 1992.

A un fils qui ne s’appelle pas Junior, mais Louis et qui est aujourd’hui comédien. Son amoureux de toujours est l’animateur Michel Lacombe, de Radio-Canada. Dans une autre vie, il y a 842 ans, dirait-elle, elle fut aussi la blonde du chanteur Pierre Flynn. Potin ? Peut-être, mais le genre d’anecdote dont elle-même ponctuerait certainement son propre portrait.

Est née à Paris d’une mère journaliste culturelle elle aussi, Minou, et d’un père d’origine ukrainienne, d’où le nom.

A écrit deux romans, Il restera toujours le Nebraska et Maman last call, devenu ensuite un film dont elle a écrit le scénario. Comme scénariste, elle a aussi écrit Gerry et Miss Météo, et elle travaille actuellement sur un autre projet.

À table avec... Nathalie Petrowski

Les cinq films coups de cœur de Nathalie 

To Die For de l’Américain Gus Van Sant avec Nicole Kidman dans le rôle d’une arriviste de la télé.

Léolo, réalisé par son frère adoptif, Jean-Claude Lauzon, mort dans un accident d’avion, à qui on doit aussi le superbe Un zoo la nuit.

Annie Hall, grande œuvre d’une grande époque d’un grand réalisateur et d’une grande actrice, Woody Allen et Diane Keaton.

Monsieur Lazhar de Philippe Falardeau. Un seul mot pour le décrire : «  touchant ».

Les 400 coups, le grand classique du réalisateur français François Truffaut que Nathalie a déjà rencontré, évidemment.

À table avec... Nathalie Petrowski

Les retouches

- Nathalie m’a avoué, durant notre entretien officiel pour ce texte, que pour la première fois de sa vie, elle ne dirait pas non à un job de « boss », chose qu’elle n’avait jusqu’à maintenant jamais même considérée. 

- Durant notre rencontre, Gregory Charles était assis à la table d’à côté. Durant tout le repas, Nathalie s’est retenue, mais à la fin du dîner, elle a commencé à lui parler, pour ne pas dire l’interviewer. Il lui a confié que, souvent, des inconnus l’approchaient et lui demandaient : « D’où on se connaît, déjà ? » 

- Les portraits qu’elle préfère écrire sont ceux de personnalités aux parcours improbables, qui ont traversé des épreuves, des échecs. « Et ta vie, toi, Nathalie ? » Sa vie, dit-elle, n’a rien d’héroïque puisqu’elle a toujours été journaliste salariée, syndiquée. Mais un regret : ne pas avoir eu plus d’enfants.

- Le lendemain du jour où Nathalie a déposé le manuscrit de Maman last call, elle a appelé l’éditeur pour lui dire de tout arrêter. Trop peur d’être ridiculisée avec son livre sur un sujet de bonne femme. « J’entendais Bourgault dans ma tête se moquer de moi… » Le livre est devenu un best-seller. Et un film.

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