ITALIE Cinq ans après le séisme de L’Aquila

Reconstruire malgré la douleur
encore vive

Cinq ans après le séisme de L’Aquila qui a fait 309 morts, la reconstruction est loin d’être achevée. Familles des victimes et experts de cette ville du centre de l’Italie (dans la région des Abruzzes) appellent à ne pas oublier les leçons du 6 avril 2009, raconte notre collaboratrice.

L’AQUILA — « Bienvenue à Sarajevo d’Abruzzo », murmure un habitant de L’Aquila, en s’aventurant dans les rues défoncées du secteur de la ville qui demeure encore aujourd’hui fermé.

Rue Cola dell’Amatrice, au cœur d’un des quartiers les plus endommagés par le tremblement de terre, le temps s’est arrêté le 6 avril 2009 à 3 h 32. Dans les entrailles des immeubles éventrés, on aperçoit des restes de vie. Mais c’est un silence de mort qui règne.

Du linge sèche encore sur une corde. Des rideaux poussiéreux s’agrippent aux vitres cassées. Des chaussures perdues dans une fuite précipitée gisent au milieu des gravats. Cinq ans après le séisme qui a fait 309 morts, une pluie battante balaye la capitale des Abruzzes. Comme si le ciel pleurait toutes ses larmes sur la désolation qui a pris racine dans cette ville.

L’Aquila détient d’ailleurs aujourd’hui le triste record de la plus grande consommation d’antidépresseurs du pays. Selon le maire, Massimo Cialente, 78 % de ses concitoyens estiment qu’il ne fait pas bon vivre ici.

Difficile pour les habitants de L’Aquila de faire le deuil d’un parent, d’un enfant, d’un ami, d’une maison et d’une vie passée, alors que les cicatrices sont encore sous les yeux de tous.

Les échafaudages, omniprésents dans la ville, sont néanmoins tapissés de banderoles « L’Aquila Rinasce » – L’Aquila renaît. Les quelques commerçants qui ont réussi à rouvrir leurs boutiques dans la rue principale font remarquer l’apparition d’une forêt de grues et le lent va-et-vient de camions-bennes chargés de gravats. Selon les prévisions officielles, il faudra entre 8 et 10 ans pour achever la reconstruction.

Sergio Bianchi, père de Nicola, un des huit étudiants morts dans l’effondrement de la Casa dello Studente, raconte la difficulté de se reconstruire soi-même, après cette tragédie. « On ne savait plus par où recommencer, on s’est sentis totalement abandonnés », raconte-t-il.

Les étudiants ont payé un lourd tribut. « Pour faire face au boom de l’université, qui était la richesse de L’Aquila, on a construit ou aménagé des petits appartements à la va-vite », raconte à son tour Angelo Lannutti, père d’une autre victime du séisme.

« La nuit du séisme, il y a eu deux premières secousses assez fortes. On a eu du mal à dormir, on se demandait ce qu’il fallait faire au cas où il faudrait évacuer. » 

— Simone, rescapé de la Casa dello Studente 

La voix chevrotante, Simone admet que jamais personne ne leur avait expliqué la procédure à suivre et que jamais ils n’avaient douté de la solidité de la structure.

« Les citoyens n’ont pas été correctement informés, je parlerais même de désinformation », tambourine Gian Vito Graziano, président du Centre national de géologie.

TIRER DES LEÇONS DU PASSÉ

Le 22 octobre 2012, sept scientifiques de la Commission « grands risques » ont été reconnus coupables d’homicides par le tribunal de L’Aquila. Les experts ont été condamnés, en première instance, à six ans de prison ferme pour avoir manqué à leur devoir d’informer de manière adéquate les habitants de L’Aquila au sujet des risques potentiels d’un tremblement de terre dévastateur.

Gian Vito Graziano ne veut pas montrer du doigt la Commission « grands risques  » – le procès en appel devrait s’ouvrir en octobre –, mais il estime qu’il est urgent d’informer et d’éduquer la population à la prévention des risques géologiques, comme c’est le cas dans d’autres régions du monde, en Californie ou au Japon.

« Quarante à cinquante pour cent du territoire italien est exposé au risque sismique », dit Gian Luca Valensise, géologue responsable du Projet Abruzzes au Centre national de géologie. « Mais les Italiens tendent à être fatalistes, ils considèrent les catastrophes comme inévitables, et par superstition ils rejettent toute pensée négative. » Résultat : les plans d’évacuation sont approximatifs, les registres des structures présentant des risques en cas de séismes sont inexistants, la prévention est négligée.

Si un autre séisme frappe, il espère que des progrès auront été faits pour informer la population. « S’il n’y a pas d’argent pour mettre toutes les constructions aux normes, alors il faut miser sur l’éducation. »

La catastrophe
en quelques chiffres

309 : 
Nombre de personnes qui sont mortes
lors du séisme.

70 000 : 
Nombre de personnes qui ont dû
être évacuées.

22 120 : 
Nombre de personnes qui n’ont pas
encore pu rentrer dans leur maison.

4,8 milliards : 
Somme dépensée jusqu’à maintenant
pour la reconstruction de L’Aquila.

10,5 milliards : 
Somme nécessaire pour reconstruire complètement L’Aquila, selon le maire Massimo Cialente.

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