Chronique  Commerce international

Les cow-boys

Les États-Unis de Donald Trump agissent en véritables cow-boys du commerce international. Tous les coups sont permis, ou presque.

Comment réagir face à un tel géant ? Comment répondre aux coups vicieux du voisin quand on est soi-même trop petit pour l’affronter directement ?

Le Canada a dévoilé l’un des principaux éléments de sa stratégie dans une plainte à l’Organisation mondiale du commerce (OMC), rendue publique hier. Plutôt que d’attaquer le comportement des Américains dans les seuls dossiers qui lui sont propres (bois, papier, etc.), le Canada ratisse beaucoup plus large et démontre que l’Oncle Sam viole les règles internationales du commerce avec des dizaines de pays.

La plainte ressemble à l’index d’un atlas géographique. Y sont recensés les problèmes commerciaux de pays aussi divers que le Brésil, le Mexique, la Chine, la Suède, l’Allemagne, le Sri Lanka, l’Inde, la Corée, la France et les Philippines, entre autres. Imaginez, même les minuscules sultanat d’Oman et Trinité-et-Tobago figurent dans la liste donnée en exemple par le Canada, c’est tout dire.

Les Américains agissent en délinquants non seulement avec le bois d’œuvre et le papier canadiens, fait valoir le Canada dans sa plainte, mais ils sont aussi matamores avec des pâtes italiennes, du jus de citron argentin, de l’acier turc ou des crevettes chinoises, par exemple.

« C’est un coup de génie du Canada, soutient l’avocat Bernard Colas. La plainte démontre que les agissements américains ne concernent pas seulement certains dossiers spécifiques ou certains pays. Elle démontre que le problème est généralisé, que tout le système est biaisé. »

Jamais l’avocat spécialisé en commerce international n’avait vu un tel type de poursuite précédemment. Il croit que le dossier pourrait inciter d’autres pays à porter plainte, que le Canada pourrait en quelque sorte « fédérer les mécontents » de la politique commerciale américaine.

L’OMC, faut-il savoir, administre un système mondial de règles commerciales issues d’accords signés par 164 pays. Il règle les différends commerciaux entre les membres.

De quels coups bas américains parle le Canada ? La plainte en énumère plusieurs : droits compensateurs dépassant les règles de l’OMC, droits antidumping rétroactifs à une décision et donc contrevenant aux règles internationales, clôture hâtive de dossiers en litige avant d’avoir tous les éléments de preuve, etc.

Les reproches du Canada visent aussi, bien sûr, l’un des éléments clés du dossier du bois d’œuvre canadien (les « deux par quatre »). Selon la plainte, les Américains ne tiennent pas compte adéquatement du prix payé par les producteurs canadiens pour le bois tiré des terres publiques.

Autre élément, selon le Canada : la Commission du commerce international des États-Unis a une structure de décision bancale, qui favorise indûment les entreprises locales. Cet organisme chargé de déterminer les présumés dommages des entreprises américaines est composé de six membres.

Or, dès que trois membres jugent qu’il y a dommage, leur décision doit être adoptée par la Commission. Cette absence de majorité rend les décisions partiales et déraisonnables, selon la plainte, ce qui contreviendrait aux règles de l’OMC.

La plainte du Canada devant l’OMC ne se réglera pas demain matin, cependant. En général, il faut deux ans avant qu’une décision soit rendue. Et encore, les Américains pourraient porter la décision en appel.

Dans le cas du bois d’œuvre, rappelons-le, le Canada a toujours gagné ses litiges devant l’OMC par le passé.

Oui, mais, me direz-vous, est-il possible que les Américains se retirent carrément de l’OMC, comme ils menacent de le faire pour l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) ?

Rien n’indique qu’ils songent à le faire, dit Bernard Colas. Néanmoins, les Yankees semblent avoir trouvé une autre façon de faire des gains, en ralentissant ou en paralysant le processus de l’organe d’appel de l’OMC.

Normalement, cet organe est composé de sept membres, nommés par consensus par les pays signataires de l’accord. Or, l’organe ne compte maintenant plus que cinq membres, après deux départs à la retraite, et les Américains se sont systématiquement opposés aux nouveaux membres suggérés, ce qui retardera ou paralysera le processus de décision.

Inutile, la plainte du Canada ? Pas selon Bernard Colas. « Le Canada se bat contre un système injuste et son seul pouvoir est la règle de droit. »

Des cow-boys, que je disais. Reste à voir si d’autres pays oseront s’allier publiquement au Canada.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.