Gab Roy

Malaise dans le monde de l’humour

Gab Roy est-il un humoriste ? Ses textes sur Mariloup Wolfe ou la pédophilie, et le malaise qu’ils créent, peuvent-ils être considérés comme des numéros de stand-up ? Des questions auxquelles La Presse a tenté d’apporter un éclairage, mais qui n’ont trouvé que peu d’échos auprès des personnalités du monde de l’humour au Québec. Alors que Guillaume Wagner, Laurent Paquin et Cathy Gauthier ont préféré ne pas commenter, seul Mike Ward s’est prononcé.

Directrice de l’École nationale de l’humour, Louise Richer a quant à elle du mal à saisir les intentions qui se cachent derrière les textes de Gab Roy.

« Dans la vidéo où il parle de pédophilie, il ne se positionne pas, ricane entre les phrases qu’il a écrites lui-même. Il provoque, mais en même temps se distancie. Je ne comprends pas trop l’objectif », dit-elle.

La directrice de l’établissement qui forme chaque année la relève en humour reconnaît pourtant que l’utilisation du malaise peut être un procédé efficace s’il est habilement utilisé.

« C’est comme avec l’ironie, il faut s’assurer de fournir à un moment ou un autre les clés pour décoder ce qui vient avant et après le malaise. Gabriel D’Almeida Freitas, diplômé de l’ENH, a fait une série sur internet qui s’appelle La boîte à malle. Il s’agit de 100 capsules sur le malaise, une thématique qui est devenue sa signature », précise-t-elle.

Mais si la déstabilisation du public peut s’avérer efficace, encore faut-il en maîtriser les rouages.

« Avec des thématiques comme le viol ou la pédophilie, il y a des points de vue à incarner. À l’École, certains vont adopter des sujets délicats, mais vont avoir le rôle de la victime ou même de l’agresseur, en donnant toujours un point de vue. Il y a aussi des zones grises. Mais au-delà de l’effet strict, qu’est-ce que tu as à dire ? À un moment donné, il faut se demander : est-ce de l’humour ? », s’interroge la directrice de l’ENH.

La réaction de Mike Ward

De tous les humoristes contactés par La Presse, Mike Ward a été le seul à accepter de commenter la vidéo de Gab Roy qu’on peut voir sur YouTube : la lettre d’un pédophile.

« Dans la dernière semaine, j’ai entendu bien des gens dire que j’étais du bord de Gab Roy et que je le défendais, ce qui est totalement faux. Je défends son droit de parole, nuance.

« Gab Roy est un personnage malhabile, maladroit. Il a su comment conquérir le web québécois, mais j’ai rarement vu un gars aussi mauvais avec les médias plus traditionnels. Chaque fois qu’il ouvre la bouche, c’est pour se caler.

« Est-ce que j’ai regardé sa vidéo ? Oui. Est-ce que j’ai ri ? Non. Est-ce qu’on devrait l’empêcher de faire ce genre de gags ? Non. Comme je dis depuis le début de ma carrière, je suis pour une liberté d’expression absolue. J’ai une mentalité très américaine là-dessus. Il faut protéger les droits de tout le monde, pas juste de ceux avec qui on est en accord.

« Protéger le droit de parole des crétins, comme le Westboro Baptist Church [les God Hates Fags] et le KKK, protège les droits des gens qui ont raison.

« Mon point de vue n’est pas très populaire au Québec. Depuis le début de la semaine, je reçois des messages haineux sur les réseaux sociaux. Je dois par contre continuer à défendre la liberté d’expression, ou du moins le peu de liberté qu’il nous reste. 

« Quand Larry Flynt [le pornographe] s’est fait traîner devant les tribunaux aux États-Unis, dans les années 70, le Tout-Hollywood était derrière lui parce que les gens comprenaient que quand un juge s’en mêle, ça n’en finit plus. 

« C’est comme un oignon. On enlève une couche, ça sent encore l’oignon, donc on en enlève une deuxième, une troisième, une quatrième couche, etc. 

« On se débarrasse du pornographe parce que c’est le plus vulgaire et le plus dégueulasse. Plus de pornographes, le deuxième plus dégueulasse devient le premier. Alors, on se débarrasse de lui aussi. Plus de porn, suivi de plus de sexe dans les films, suivi de plus de musique sexuelle, suivi de plus de musique romantique parce quand j’entends de la musique romantique, “je feel colleux”, et quand “je feel colleux”, j’ai le goût de baiser. Après trois ans, le seul divertissement qui va nous rester, c’est le film Bambi.

« C’est pour ça que je défends (et que je vais continuer à protéger) le droit de parole des gens qui vont trop loin.

« Je vous laisse avec une phrase que je cite tout le temps et qui décrit bien ma philosophie de vie, une phrase faussement attribuée à Voltaire qui provient en fait d’Evelyn Beatrice Hall dans son livre Friends of Voltaire :  “Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu’au bout pour que vous ayez le droit de le dire”.

« P.-S. : Ceux qui disent que les jokes de pédophiles ne sont jamais drôles n’ont clairement jamais entendu Doug Stanhope, un génie du genre. »

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.