Chronique

Maman est une étoile

Quand Martin Létourneau a accepté de me raconter son histoire, il m’a écrit ça : « Elle est très belle, malgré tout. »

Tout, c’est la mort. C’est le cancer qui lui a pris sa Jolyane, à 31 ans. Ils avaient deux jeunes garçons, une maison à Saint-Nicolas, ils s’étaient donné 10 ans pour la mettre à leur goût. Je vous raconte, ça commence en 2004.

Ce jour-là, au boulot, Martin Létourneau remarque une infirmière qu’il n’a jamais vue avant, va voir son nom dans le carnet de présence. Il ne lui parle pas, ne la revoit pas pendant trois ans. « Mais je ne l’oublie pas. » Puis, Martin s’inscrit à un cours d’électricité, le soir, tout en travaillant le jour à l’hôpital. Un gars dans son cours lui dit que sa sœur travaille là aussi. Il demande son nom, presque pour être poli.

Jolyane Fortier.

Bang. C’est la belle fille qu’il a vue trois ans auparavant. « Pendant deux semaines, je l’ai achalé pour qu’il me donne le numéro de sa sœur. » Il l’appelle. « Elle se souvenait aussi de moi. » Ils correspondent d’abord sur internet, « elle sortait d’une relation, elle ne voulait pas aller trop vite ». Ils se rencontrent une première fois « au début de l’été, on a mangé des sushis chez nous ». En 2008, ils emménagent ensemble.

« C’était mon âme sœur. » Jolyane accouche de Mathias l’année suivante, ils s’achètent une maison sur la Rive-Sud. Ils filent le parfait bonheur, vraiment, font un autre enfant, s’achètent une plus grande maison pour le mettre dedans. « On voulait minimum un autre enfant. » C’est Nicolas, il arrive le 25 avril 2012.

Puis, bang. « Fin juillet, pendant les vacances de la construction, Jolyane sent un tiraillement dans un sein, il y a une petite masse, comme un gros pois. Avant qu’ils la prennent en charge en septembre, c’est rendu gros comme une balle de golf. Quand elle commence la chimio en octobre, ça fait 20,5 cm2. »

Nicolas a trois mois, Mathias vient d’avoir trois ans. Martin fait la navette entre l’hôpital et la maison, la mère de Jolyane aussi. La masse diminue, les médecins ne prennent pas de risque, enlèvent le sein droit et un ganglion.

« Elle était considérée comme en rémission. C’était un nouveau départ, on recommençait à avoir de l’espoir. Elle attendait pour se faire reconstruire le sein. Dans le miroir, elle se voyait maigre, pas de cheveux, son estime de soi était à reconstruire. Je lui disais tout le temps qu’elle était belle, mais elle ne me croyait pas. »

Juillet arrive, les vacances de la construction approchent. Martin a un dernier contrat à Port-Cartier. « Le matin où je partais, son œil est fermé avec une bosse dessus. Elle me dit : “Vas-y, ça ne change rien.” » Il est parti travailler, Jolyane a passé une batterie de tests. Elle a appelé Martin sur la Côte-Nord.

Big bang. « Elle m’a dit qu’il y avait des métastases dans son œil et dans ses poumons. Ils lui donnaient maximum cinq ans à vivre, mais ils ont aussi dit que ça pouvait aller très vite. » Martin est revenu le 18 juillet. « On a passé deux semaines à pleurer. On s’est dit : on va profiter de la vie. »

Avoir su, ils se seraient dit ça avant.

« On a passé une semaine au Mexique tout seuls sans les enfants. Ç’a été la plus belle semaine, on s’est gâtés. Jolyane dormait le matin, elle se fatiguait vite, on se couchait à 20 h 30. » Ils sont revenus le 16 septembre, « Jolyane est entrée d’urgence à l’hôpital le 18, elle avait de la misère à respirer ». Les poumons prenaient l’eau, ils ont vidé un litre et demi, un autre litre trois jours plus tard.

Martin a compris que le cygne avait chanté quand « le pneumologue est venu [le] voir en pleurant ».

Dès que Jolyane a su qu’elle était condamnée, elle s’est mise à préparer le moment où elle ne serait plus là. Elle a fait des albums à ses enfants, leur a écrit des lettres, un livre, a enregistré une vidéo, des histoires. « Ma blonde a été tellement bonne, elle leur a parlé du fait qu’elle pourrait devenir une étoile. On en parlait tout le temps. »

Quand c’est arrivé, le 16 novembre à 16 h 33, ils avaient eu le temps de se marier, 12 jours plus tôt à l’hôpital. « Elle a réussi à trouver l’énergie pour se mettre belle, elle a été en forme pendant quatre heures. » Le 8 novembre, elle est entrée à la Maison Michel-Sarrazin, « vraiment une belle place », même si c’est la mort qui vous y attend. « Elle s’est battue le plus qu’elle pouvait. Le matin du 15, je lui ai dit : “Jolyane, c’est le temps que tu partes.” Elle a répondu : “J’avais hâte que tu me le dises.” »

Les médecins l’ont endormie. « Ça a duré 28 heures, sans boire ni manger. Elle avait la bouche sèche, je lui mettais du baume à lèvres, elle aimait tellement ça avant. Je lui ai tenu la main tout le long. À la fin, je lui ai dit : “Ça va maintenant, je vais m’occuper des enfants, tu peux partir tranquille.” »

Elle est morte sur « tranquille ».

Et maintenant ? « Quand elle est décédée, il y a une tonne de pression qui est partie, j’étais content pour elle. C’est dur émotionnellement, mais elle a tellement bien préparé son départ que c’est plus facile pour moi. On continue comme si elle était là, ça aide, mais ça fait mal aussi. » Martin a mis son parfum sur les boules du sapin et une étoile de cristal tout en haut. « Les enfants me demandent souvent d’aller voir leur mère, on y va, des fois juste cinq minutes. »

Dans l’urne, ce ne sont pas des cendres. « C’est de la poussière d’étoiles. »

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