À VOTRE TOUR

Être handicapée, ma plus belle qualité

Tout le monde a entendu parler de l’histoire de la grand-mère d’un enfant autiste qui a reçu une lettre suggérant l’euthanasie tout en traitant le petit d’animal. Cette lettre me trotte en tête depuis plusieurs jours et j’admets en être troublée.

La société craint les gens différents. On nous met de côté dès notre plus jeune â ge, en incitant les parents des enfants handicapés à les mettre en classe spécialisée, même en cas de déficience purement physique. Dans ces classes se retrouvent généralement plein d’enfants d’ â ge différents et ayant des besoins spécifiques à chacun. Comment la société peut-elle penser qu’un handicapé physique pourra se développer à sa pleine capacité si on le laisse dans une classe avec des handicapés intellectuels qui apprennent évidemment beaucoup plus lentement ?

Je suis moi-même du clan des anormaux. On a tenté de m’inclure dans une classe spécialisée, mais ma mère s’est battue pour que j’intègre l’école normale. Elle était convaincue que ce type de classe, où l’on apprend à dessiner sans dépasser, était inadéquat pour moi.

Aujourd’hui, je suis en études supérieures. Cela était pourtant impossible, selon les gens de la commission scolaire. Souvent, on me demande comment j’y suis arrivée. Et pourtant, la réponse est si simple : je me suis incluse au système « normal ».

Faire sa place

J’ai dû parler fort et prouver que j’y avais ma place, parce que plusieurs en ont douté, malgré la tonne d’enseignants qui m’ont accueillie dans leur classe avec un sourire. J’ai été entourée de normaux, j’ai eu plein d’amis normaux. Jamais intimidée, j’ai vécu les plus belles années de ma vie comme la mascotte bizarre de la polyvalente.

Le problème, ce n’est pas les personnes différentes, mais les préjugés que la société entretient. Il n’est pas vrai que les gens comme moi devraient être considérés comme normaux. Nous ne sommes pas normaux et nous ne le serons jamais. D’abord, malgré mes études supérieures, le concept de normalité m’échappe encore. Ensuite, nous dire normaux serait de ne pas considérer nos besoins particuliers.

Je n’avais que 3 ans et je savais déjà que je n’étais pas normale. Ma maman me disait toujours : « Elisanne, tu es handicapée. Tu n’es pas comme les autres ». Oui, parce que chez moi, pas de place pour les euphémismes du genre : personne à mobilité réduite ou personne présentant une dysfonction fonctionnelle majeure. Et puis, être handicapée, je trouvais cela plutôt cool. J’étais fière de ne pas être comme les autres. Le terme n’a jamais été négatif chez moi. C’est la société qui lui donne cette connotation.

Les gens m’ont souvent dit, lorsque j’étais plus jeune : « Tu rencontreras un homme handicapé. Lui, il pourra te comprendre et il t’aimera ». Je n’ai pourtant jamais fréquenté un homme handicapé. Mon ex-copain n’est qu’un courageux parmi d’autres, qui a accepté de se faire dévisager lorsqu’il m’embrassait au centre commercial !

J’ai peur, lorsque je vois la société nous regarder d’un air négatif. La science permettra, un jour, sans doute, de guérir les gens comme moi. Il serait effectivement mieux pour moi d’être guérie. J’aurais moins mal, puis j’ai toujours rêvé d’être la version féminine de Ben Cahoon. J’avoue avoir souvent ce petit pincement au cœur lorsque je vois mes amis jouer au football, alors que je suis condamnée à rester sur les lignes de côtés.

Malgré tout, je pense que, pour le bien de la société, il ne faut pas me guérir. Homogénéiser les humains, c’est dire que nous pensons que les gens anormaux n’ont pas leur place. Pourtant, mon handicap m’a toujours avantagée en me permettant d’avoir une ouverture d’esprit, de la compréhension et de la maturité.

Finalement, je suis une anormale qui vit normalement. Je ne sais toujours pas dessiner sans dépasser, mais, être handicapée, c’est ma plus belle qualité !

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