Industrie minière

Une bataille de 200 millions

Strateco a commencé par voir le tapis rouge se dérouler devant son projet d’investir plus de 300 millions pour développer une mine d’uranium à 275 km au nord de Chibougamau. Puis, le gouvernement a tiré sur le tapis et l’entreprise est tombée, après avoir dépensé près de 200 millions de dollars.

Le moratoire sur l’uranium imposé par le gouvernement du Québec a forcé Strateco à mettre ses employés à pied, à vendre ses installations et à dévaluer ses actifs. Son titre, qui avait valu jusqu’à 3 $ aux jours meilleurs, ne vaut plus rien du tout. La petite société minière de Boucherville a dû se placer sous la protection de la loi pour éviter la faillite.

Sans le sou, Strateco a demandé de l’aide pour financer une poursuite contre le gouvernement du Québec. C’est Third Eye Capital, une firme d’investissement de Toronto, qui a accepté de financer la démarche en échange d’une part non divulguée du règlement à venir.

« C’est un cas unique au Québec », constate Nochane Rousseau, spécialiste du secteur minier de PwC. C’est la première fois qu’un projet minier aussi avancé tombe à cause d’une décision gouvernementale, explique-t-il.

Strateco voulait exploiter un gisement prometteur d’uranium dans la région des monts Otish, au Québec. L’uranium sert notamment à alimenter les centrales nucléaires et à produire de l’électricité. Le Canada en est le deuxième producteur mondial, derrière le Kazakhstan, grâce aux gisements de la Saskatchewan.

Le projet de Strateco, baptisé Matoush, aurait pu générer des investissements de 300 millions. Il faisait partie des premiers projets miniers connus du Plan Nord, grande stratégie de développement économique du gouvernement de Jean Charest.

Guy Hébert, président de Strateco, se souvient d’avoir accompagné le premier ministre dans quelques-unes de ses tournées de promotion du Plan Nord. « Le gouvernement a même construit un chemin jusqu’à notre porte », souligne Guy Hébert au sujet du tracé retenu pour le prolongement de la route 167, qui passe devant la barrière du projet Matoush et qui a coûté 330 millions  – la route monte par la suite jusqu’au projet de mine de diamant de Stornoway Diamond.

Avec toutes les autorisations nécessaires, la petite entreprise d’exploration investit 20 millions par année entre 2007 et 2012 pour installer son campement. Elle entame aussi le long processus des demandes d’autorisation, aux gouvernements fédéral, provincial et à la Commission canadienne de sûreté nucléaire puisqu’il s’agit d’uranium, un élément naturel radioactif.

La campagne électorale de 2012 et l’arrivée au pouvoir du gouvernement péquiste ne troublent pas les travaux de Strateco. La nouvelle première ministre, Pauline Marois, n’est pas opposée à l’exploitation de l’uranium. « Ça dépend dans quelles conditions ça se fait », a-t-elle déclaré publiquement à la veille des élections.

Le feu vert du gouvernement du Québec se fait attendre. Strateco, qui avait obtenu entre-temps toutes les autres autorisations nécessaires pour poursuivre ses travaux d’exploration souterraine, commence à s’impatienter et intente une requête pour forcer le ministère de l’Environnement à rendre une décision.

C’est là que le ciel lui est tombé sur la tête. Cédant aux pressions des opposants à l’uranium, le gouvernement de Pauline Marois a stoppé toute activité d’exploration et demandé au Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) de se prononcer sur les avantages et les désavantages pour le Québec d’exploiter l’uranium présent sur son territoire.

Même avant le dépôt du rapport du BAPE, rendu public deux ans plus tard, l’avenir de l’entreprise a pris fin ce jour-là, le 28 mars 2013.

Le cas de Strateco a vite fait le tour de la planète minière, dit Josée Méthot, présidente de l’Association minière du Québec. 

« Quand il y a des cas comme celui-là, c’est sûr que ça refroidit les investisseurs. Les entreprises qui sont en financement doivent expliquer ce qui se passe. »

— Josée Méthot, présidente de l’Association minière du Québec

Il y a un risque pour un gouvernement à ne pas suivre ses propres règles ou à les changer en cours de route, estime de son côté Nochane Rousseau, spécialiste du secteur minier de la firme PwC. « Ça préoccupe les investisseurs étrangers, c’est certain », dit-il en donnant l’exemple de l’un d’eux qui lui a demandé de lui indiquer sur une carte le site abandonné par Strateco.

« Le gouvernement agit drôlement, lance Guy Hébert, président de Strateco. Le cas de Pétrolia est un autre exemple. »

Le premier ministre Philippe Couillard a affirmé publiquement qu’il était contre le développement pétrolier dans l’île d’Anticosti, au beau milieu des travaux d’exploration qui ont coûté des dizaines de millions à Pétrolia et dans lesquels des fonds publics ont aussi été investis.

La poursuite de Strateco suit son cours. Les interrogatoires ont été menés, le dossier sera terminé à la fin du mois de février. La cause sera entendue à Québec.

Guy Hébert se dit « très, très, très confiant » pour la suite des choses. « Il y a deux options. Ou il y a une entente hors cour et le gouvernement nous rachète nos claims, ou on gagne en cour, le gouvernement paye et on garde la propriété pour la développer plus tard. »

Le marché de l’uranium, actuellement déprimé, reprendra bien un jour, selon lui. « Les besoins sont là. C’est la seule façon de sauver la planète, comme on l’a dit à la Conférence de Paris. »

Un jour, on pourra développer les gisements d’uranium du Québec, croit Guy Hébert. « Les gens changent, la science finit par prendre le dessus », souligne-t-il.

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