relations amoureuses

Aîné cherche âme sœur

Après la mort de leur conjoint ou une séparation, les aînés restaient souvent célibataires. Aujourd’hui, ils sont de plus en plus nombreux à tenter de refaire leur vie amoureuse.

UN DOSSIER DE CHLOÉ MARRIAULT

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Quand l’amour n’a pas d’âge

Sites de rencontre, agences matrimoniales, activités pour les aînés, vacances leur étant destinées… Les aînés ont recours à différents moyens pour trouver un nouveau partenaire. Ce qu’ils cherchent ? Une relation sérieuse, sans forcément habiter sous le même toit.

Dans l’entrée de l’appartement de Réal Latulippe trône sur une table basse une photo de lui et de Lise Lamoureux au restaurant, tout sourire, deux jours après leur rencontre. Une autre, pendant leur croisière aux Bermudes, quatre mois après leur premier rendez-vous. Au mur, un tableau avec l’inscription « Le chemin du bonheur est si étroit que si l’on veut y circuler à deux, il ne faut faire qu’un ».

Assis sur le divan du salon, main dans la main, les yeux qui pétillent, le couple, visiblement complice, fait le récit de sa rencontre. Veuf depuis 2010, Réal Latulippe s’était inscrit il y a sept ans à une agence de rencontre. « J’ai rencontré cinq ou six femmes, mais ça ne cliquait pas. Une ne voulait même pas que je lui donne la main », raconte l’homme aujourd’hui âgé de 79 ans.

Lise Lamoureux, 69 ans, veuve depuis neuf ans, avait quant à elle essayé les sites de rencontre, mais n’avait pas été convaincue. « C’est un peu comme du magasinage, c’est froid. Je me suis tannée. » Ce qu’elle recherchait ? « Quelqu’un qui bouge, une personne dynamique qui veut faire des activités. Et quelqu’un d’autonome, qui n’a pas besoin d’être avec moi tout le temps », explique-t-elle, sémillante. Elle était inscrite depuis un an à l’agence Rencontre Fleury quand la gérante lui a proposé de rencontrer Réal Latulippe.

Après une longue conversation téléphonique, ils conviennent de se rencontrer pour boire un café « le 11 mai 2017 à 16 h 35 », précise Réal Latulippe, qui avait apporté une rose. Leur premier rendez-vous est un blind date, l’agence de rencontre n’utilise pas de photos. Tout de suite, les deux se plaisent. « Il est romantique, gentleman, honnête, dynamique. J’étais tranquille à l’intérieur, comme si je savais que c’était la bonne personne pour moi », se souvient Lise Lamoureux.

Les deux s’entichent et vivent depuis une idylle sans encombre. Danse sociale, randonnée, horticulture, cuisine… : le couple fringant enchaîne les activités et partage les mêmes centres d’intérêt. « Notre relation est belle et simple. On a les mêmes valeurs, on a été éduqués de la même façon », confie Lise Lamoureux.

Sites de rencontre et agences matrimoniales

Arrivés à la retraite, les aînés se retrouvent parfois seuls à la suite de la mort de leur conjoint. D’autres font soudain face à leur compagnon, une fois les enfants partis du nid. Pour certains, c’est le moment de se séparer… Et de refaire leur vie. Mais ne travaillant plus, il peut leur être difficile de faire des rencontres hors du cercle d’amis. Un marché s’est donc mis en place : sites de rencontre, agences matrimoniales, activités pour les aînés, vacances leur étant destinées…

Comme Réal Latulippe et Lise Lamoureux, Ed*, 70 ans, a fait appel à une agence de rencontre. Lui était seul depuis un peu plus d’un an à la suite d’une rupture.

« Je me demandais comment procéder pour trouver l’âme sœur. Comme je disais à mes copains, je ne me voyais pas commencer à faire la tournée des bars. »

— Ed, 70 ans

« J’avais éliminé la possibilité de demander à mon entourage de faire des présentations, car si la relation avec quelqu’un qu’on nous a présenté se passe mal, ça crée des malaises. Alors, j’ai dit à l’agence Intermezzo que je cherchais une amoureuse. » La plupart des aînés qui choisissent une agence vantent « l’accompagnement personnalisé », un environnement plus chaleureux et des profils filtrés.

Après quelques rencontres infructueuses, il fait la connaissance de Béa*, 60 ans, en février dernier. Cette dernière, également séparée, n’avait pas connu de relation sérieuse depuis neuf ans. Depuis, elle parle d’une relation « extra » : « Je ne croyais pas que ça m’arriverait. J’ai trouvé la perle rare », s’enthousiasme-t-elle.

Chez l’agence Accord, créée il y a 25 ans à Montréal, les aînés représentent 20 % de la clientèle. Une part qui n’a cessé d’augmenter au fil des années. La gérante Murielle Poitras organise tous les samedis des dîners pour que les aînés rencontrent de nouveaux amis – et, idéalement, un compagnon ou une compagne. « Les personnes d’un certain âge ont évolué : elles sont plus ouvertes qu’avant, pense-t-elle. Autrefois, la période de deuil pouvait durer plusieurs années. Souvent, la maladie nous rattrapait avant même d’avoir terminé ce moment de veuvage. Évidemment, il ne faut pas oublier la religion qui était très présente il y a une trentaine d’années. »

Une volonté de garder son autonomie

La plupart des aînés cherchent une relation sérieuse, mais sans forcément cohabiter. Il faut dire qu’à cet âge, la plupart sont propriétaires et ont leur indépendance financière. C’est le cas de Lise Lamoureux et de Réal Latulippe, qui ont tous deux gardé leur appartement. Ils habitent à 15 minutes l’un de l’autre et se voient quatre jours par semaine. « Les gens ont le goût de partager de bons moments, des sorties, des activités sportives, des voyages, des moments en famille, mais ne sont pas prêts à tout vendre et à se départir de leurs biens », constate Murielle Poitras.

Selon Céline Lavoie, directrice de l’agence À deux c’est mieux à Québec, cette non-cohabitation facilite l’acceptation de la relation par les enfants. « Il n’ont pas l’impression que le nouveau conjoint va occuper la place de la mère ou du père dans la maison familiale. Cela ne ressemble pas à une famille recomposée et, finalement, on ne bouleverse pas trop les habitudes de l’entourage. Les enfants n’ont pas le sentiment d’être déshérités », observe-t-elle.

Mais alors que la plupart ont eu un compagnon de longue date, comment abordent-ils le passé ? « Ceux dont le passé conjugal a été heureux en parlent plus facilement, peuvent garder une photo dans la maison si le nouveau partenaire l’accepte », remarque Chloé Dauphinais, auteure d’un mémoire de maîtrise sur l’amour des aînés. Ed confirme : s’il connaît le détail du passé de Béa, et inversement, ils préfèrent penser à l’avenir. Certains couples vont même jusqu’à se (re)marier. En 2017, 3913 personnes de 60 ans et plus se sont mariées au Québec. En comparaison, 2702 personnes de cette tranche d’âge s’étaient unies dans la province en 2010. Une hausse à nuancer par une augmentation de la population âgée.

Penser à l’avenir, c’est aussi s’interroger sur la vieillesse : Ed a 10 ans de plus que Béa. Cette dernière raconte que son âge l’avait freinée au départ. « Cela fait peur dans le sens où je veux être avec lui longtemps. Mais s’il lui arrive quelque chose, je sais que je serai près de lui et que je prendrai soin de lui », assure-t-elle. Idem pour Lise Lamoureux, dont le compagnon a 10 ans de plus qu’elle. « Il va sûrement ralentir un jour, mais ce n’est pas demain la veille, je crois. Il faut vivre un jour à la fois, nous ferons face à la musique en temps et lieu. »

* Les prénoms ont été modifiés à la demande des intéressés.

Quelques chiffres

1,6

En 2017, sur 8,4 millions de Québécois, on comptait 1,6 million de personnes âgées de 65 ans ou plus.

1/4

Selon les projections de l’Institut de la statistique du Québec, le quart des Québécois seront âgés de 65 ans ou plus en 2031 et près du tiers, en 2061.

27

Un peu plus du quart (27 %) des personnes âgées de 65 ans ou plus vivent seules au sein d’un ménage privé. Cette situation concerne davantage les femmes (33 %) que les hommes (20 %).

Source : Direction de la recherche, de l’évaluation et de la statistique  du ministère de la Famille

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Une sexualité différente

Leur corps change avec l’âge. Certains ont eu le même conjoint pendant des décennies, d’autres ont passé des années sans relation sexuelle. Les aînés ont parfois du mal à aborder la sexualité avec leur nouveau partenaire. D’autant plus qu’elle reste un sujet tabou, même dans le corps médical.

« Après plusieurs années, c’est délicat, c’est très sensible de recommencer à vivre quelque chose de si intime », confie Béa*, 60 ans. En couple pendant 25 ans, elle s’est séparée de son conjoint il y a 9 ans. Durant ces années, elle n’a pas eu de relation sérieuse, seulement quelques aventures. Avec Ed*, 70 ans, elle confie cependant vivre une sexualité très épanouie. « Je me sens mieux dans mon corps aujourd’hui qu’il y a 10 ans. Je vis la même sexualité que celle que j’avais à 30 ou 40 ans. Je ne pensais pas revivre ça aussi intensément. » Pour elle, cette facilité vient aussi du fait qu’avec l’âge, « on sait ce que l’on veut et ce qu’on ne veut pas », et qu’on ne « craint pas de dire ce que l’on ressent ». Avec son conjoint, elle note que la communication est prioritaire.

Si la sexualité, dans ces nouvelles relations, peut être vécue comme un renouveau, elle est parfois plus complexe. Isabelle Wallach, anthropologue et professeure au département de sexologie de l’Université du Québec à Montréal, a récemment mené une étude auprès de 25 Québécoises âgées de 65 ans et plus. Elle s’est aperçue que les femmes avaient quelquefois honte de leur corps et que cela pouvait représenter un frein pour s’engager dans une nouvelle relation.

« Il y a l’enjeu de la minceur, les signes physiques du vieillissement… Cela peut créer une réelle anxiété. Certaines vont la dépasser en trouvant des solutions comme éclairer à la bougie, se mettre sous les draps, avoir un peignoir à proximité. D’autres vont jusqu’à renoncer à la sexualité à cause de leur corps. »

— Isabelle Wallach, anthropologue et sexologue au département de sexologie de l’UQAM

« Les hommes ont des craintes à propos de leur puissance, redoutent de décevoir une femme pouvant avoir eu d’autres expériences sexuelles gratifiantes, ont des craintes concernant leur aspect physique qui reflète leur âge », ajoute Matey Mandza, docteur et chercheur en gérontologie et vice-président de l’Association québécoise de gérontologie. Les hommes font souvent état de difficultés érectiles ; les femmes, de sécheresse vaginale.

Alors, la sexualité évolue. « La performance et la satisfaction sexuelle demeurent importantes, mais elles s’accompagnent avec le temps d’une plus grande dose de tendresse. La sexualité est encore très importante, stimulante et essentielle », confie Ed.

Une sexualité plus à risque

La sexologue Isabelle Wallach regrette que, dans l’imaginaire collectif, la sexualité soit associée à la jeunesse et qu’on imagine les personnes âgées asexuées. « On a souvent une idée un peu romantique de la sexualité chez les aînés, avec un engagement, alors qu’il y a des unions ouvertes, des personnes qui ont de multiples partenaires, des hommes qui ont des relations sexuelles tarifées… Et finalement, on retrouve la même diversité que dans l’ensemble de la société », souligne-t-elle.

La sexualité des aînés est peu abordée par le personnel médical et ils ne font pas l’objet de sensibilisation sur les maladies sexuellement transmissibles. Résultat : « Les personnes âgées ne se considèrent pas comme à risque et beaucoup n’utilisent pas de condoms, observe Isabelle Wallach. Pourquoi ? Les hommes peuvent avoir des difficultés à en mettre un en cas de difficultés érectiles. Et on associe le préservatif avec la prévention de la grossesse. » Pour elle, il faut faire de la prévention dans les lieux où se trouvent les personnes âgées et mettre des condoms à leur disposition.

La situation en CHSLD

Aujourd’hui, dans les institutions comme les CHSLD, les allées et venues régulières du personnel soignant et les chambres partagées limitent les possibilités d’intimité des personnes âgées.

« Quel que soit leur état de santé, les aînés institutionnalisés peuvent avoir envie et être capables de conserver une activité sexuelle. Le personnel doit se montrer compréhensif et tolérant et proscrire toute attitude négative telle que la répression, la culpabilisation, la moralisation ou la dérision. »

— Matey Mandza, gérontologue

Pour Matey Mandza, cela passe par une formation adéquate. Il estime que « les soignants devraient apprendre à respecter l’intimité des résidants, par exemple, en frappant avant d’entrer dans une chambre ».

« Même la masturbation peut devenir difficile. Les professionnels ont une vision erronée et âgiste de la sexualité », regrette Isabelle Wallach. Elle remarque que, depuis quelques années cependant, il y a un réel intérêt pour le sujet de la part du personnel médical et que les choses commencent à évoluer. Le centre d’hébergement Paul-Émile-Léger, à Montréal, a d’ailleurs mis en place en 2004 une « chambre d’intimité », qui permet à ses résidants de s’isoler.

* Les prénoms ont été modifiés à la demande des intéressés.

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