Chronique

Beaucoup de bruit pour rien

J’ai soupé à un pâté de maisons de la Voie maritime, dimanche. J’étais assis dans un magnifique jardin, en plein cœur de Saint-Lambert, profitant d’une belle soirée d’été entre amis. Une soirée baignée dans la lueur de la « superlune »… et la « musique » de Heavy Montréal, qui battait son plein au parc Jean-Drapeau.

Et pourtant, je pouvais échanger avec mes amis en chuchotant, sans jamais avoir à lever la voix ou à tendre l’oreille. Et ce, même passé 22 h 30, alors que les musiciens de Slayer donnaient manifestement tout ce qu’ils avaient avant la tombée de rideau.

Se peut-il que Saint-Lambert, qui dénonce le bruit excessif du parc Jean-Drapeau depuis longtemps, fasse beaucoup de bruit pour rien ?

***

Il est vrai que le parc Jean-Drapeau accueille de plus en plus d’événements qui ont un important rayonnement sonore. En plus de la F1, il y a les Piknic Électronik tous les dimanches, les feux d’artifice deux fois par semaine, des festivals comme Osheaga et Heavy Montréal, autant d’activités qui ne pourraient avoir lieu en pleine ville, au cœur de la place des Festivals.

Le parc est le lieu idéal, après tout. Il est composé d’îles baignant dans le fleuve, il est à la fois proche et loin de Montréal, il est desservi par le métro, il n’y réside que des écureuils. Un lieu parfait pour tenir des événements bruyants en plein air.

Mais il y a Saint-Lambert…

Située à un peu plus de 1 km au sud, la municipalité fait face à l’île Notre-Dame sans qu’aucune tour ou construction ne lui cache la vue… ou le son. Sa quiétude s’en voit ainsi touchée, dénonce une poignée de résidants qui menacent de traîner Montréal en cour.

Disons-le, ils ont tout à fait raison de se battre. En fait, pour être plus précis, ils avaient tout à fait raison de se battre au cours des dernières années, de mener un combat qu’ils ont finalement gagné.

La situation, aujourd’hui, est en effet ce qui se rapproche le plus d’un compromis acceptable en milieu urbain.

Car tout est là : Saint-Lambert est un milieu urbain, bien plus qu’une banlieue. C’est un village qui trouverait bien plus sa place parmi les arrondissements de Montréal que Pierrefonds ou L’Île-Bizard.

C’est d’ailleurs ce que les résidants de cette vieille municipalité mettent de l’avant quand ils vendent leur propriété : la proximité de Montréal, l’accès rapide au réseau de métro qui dessert la ville voisine, la possibilité de traverser le canal maritime à vélo pour se retrouver en quelques minutes… au parc Jean-Drapeau.

***

Cette proximité avec la grande ville rapporte gros aux propriétaires, qui voient leur maison prendre beaucoup de valeur. Mais elle a aussi un coût, inévitablement.

On ne peut en effet avoir les avantages de l’urbain sans ses inconvénients. On ne peut exiger à la fois la proximité et la quiétude. On ne peut vouloir habiter la campagne en restant en ville.

Bref, on ne peut profiter de ce qui fait la singularité d’un secteur donné, mais exiger que ses inconvénients se concentrent entre 14 h et 15 h le mardi, une semaine sur deux, quand on est ailleurs.

La réaction des mécontents de Saint-Lambert me fait ainsi penser à cette révolte passée des citoyens du Plateau Mont-Royal contre les salles de spectacle. Ou plus encore, à cette pétition lancée il y a quelques années par des résidants d’une tour de logements de L’Île-des-Sœurs pour faire fermer un terrain de jeux sous prétexte que les enfants faisaient trop de bruit en jouant !

Comme si le fait de payer des taxes donnait à tous les contribuables un droit de veto contre tout ce qui les dérange. Appelons ça, dans le cas qui nous occupe, le syndrome « pas de bruit dans ma cour ».

***

Entendons-nous, il faut limiter et encadrer les désagréments de la ville. Mais il faut le faire en tentant de trouver un équilibre entre l’animation urbaine et le calme relatif auquel les citoyens ont droit.

Et c’est précisément ce qui s’est produit au cours des dernières années grâce aux plaintes provenant de Saint-Lambert. Des dizaines et des dizaines de milliers de dollars ont été investis dans la technologie pour diminuer le volume lors des spectacles. Des haut-parleurs ont été réorientés et des consoles ont été déplacées. De nouvelles pratiques plus respectueuses ont été adoptées afin que les tests soient plus tardifs et que tout se termine à 23 h tapantes.

Parallèlement, des moteurs moins bruyants ont fait leur place en F1, une course qui, de toute façon, ne dure que quelques heures, qualifications comprises. Et surtout, le NASCAR, cette plaie qui s’apparentait à une souffleuse à feuilles sans bouton « off », a disparu pour de bon.

Si bien qu’aujourd’hui, le bruit qui émane du parc Jean-Drapeau est toujours présent, mais il est beaucoup plus tolérable qu’avant. En fait, il est devenu tout simplement acceptable pour une ville qui avoisine une métropole.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.