Tourisme

LA CRÉATIVITÉ

S’INVITE EN VOYAGE

Le tourisme créatif a le vent dans les voiles. Les voyageurs sont de plus en plus nombreux à inclure dans leur projet de vacances un atelier de cuisine, un cours d’artisanat ou une leçon de danse. Portrait d’une tendance aux bénéfices multiples et récits de deux expériences créatives, à l’étranger et au Québec.

UN REPORTAGE DE STÉPHANIE MORIN

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Voyageurs créatifs cherchent authenticité

Les voyageurs ne sont plus ce qu’ils étaient. Désireux de sortir de leur rôle de simples spectateurs en pays étranger, plusieurs cherchent des façons nouvelles et plus satisfaisantes de s’immerger dans les cultures locales. Le tourisme créatif s’inscrit fortement dans cette tendance du « voyager autrement ». Explications.

QU’EST-CE QUE LE TOURISME CRÉATIF ?

La formule est apparue au début des années 2000. Elle désigne cette forme spécialisée de tourisme qui permet aux voyageurs de développer leur créativité à travers une expérience d’apprentissage concrète. On peut penser à des cours de peinture, de cuisine, de couture (mais aussi de design paysager, de maroquinerie ou d’origami) offerts par la population locale, pendant lesquels le voyageur joue un rôle actif pour créer un objet ou apprendre une technique particulière.

Certains ateliers durent quelques heures, d’autres peuvent s’étendre sur des semaines. Plusieurs s’adressent aux néophytes, d’autres sont destinés aux initiés. L’essentiel est que le participant mette la main à la pâte et que l’activité proposée ait des racines dans la culture locale.

C’EST NOUVEAU ?

Pas du tout ! Le tourisme créatif a toujours existé. Ce n’est pas d’hier que des voyageurs participent à une activité artistique ou créative sur leur lieu de séjour.

« C’est toutefois resté longtemps l’apanage de quelques romantiques », considère Caroline Couret, directrice du Réseau de tourisme créatif (Creative Tourism Network), créé en 2010 à Barcelone. « Les activités étaient là, mais difficiles à trouver. Il fallait connaître un ami, ou l’ami d’un ami, sur place… »

Aujourd’hui, le tourisme créatif commence à s’organiser à l’échelle internationale. Ainsi, le Réseau de tourisme créatif recense sur son site plusieurs dizaines d’activités offertes à travers le monde : Portugal, Espagne, France, Autriche, Brésil, Canada…

« Les touristes qui souhaitent vivre une expérience de tourisme créatif peuvent désormais trouver des offres adaptées, avec une garantie professionnelle. »

— Caroline Couret

Chaque destination se charge du développement, de l’authenticité et du contrôle de la qualité des projets proposés.

Ainsi, en Islande, où le tourisme créatif est en vogue avec plus d’une dizaine d’ateliers offerts, Nicolas Barreiro, fondateur de Creative Iceland, se charge lui-même de recruter de nouveaux artisans prêts à partager leur savoir-faire avec les voyageurs. « Je m’assure ensuite que les activités respectent nos standards de qualité. »

UN GUICHET UNIQUE POUR LE MONDE ENTIER ?

Plusieurs destinations n’ont toutefois pas encore adhéré à ce réseau international et un touriste qui souhaite visiter la Chine, l’Inde ou l’Afrique du Sud ne trouvera rien sur le site pour ajouter une plus-value à son séjour. Ce qui ne signifie pas que l’offre est nulle. Comme M. Jourdain qui faisait de la prose sans le savoir, plusieurs pays pratiquent le tourisme créatif sans forcément être au courant. Ni publiciser leur offre.

En effet, des centaines d’activités intéressantes, offertes aux quatre coins du globe, n’ont pas encore trouvé le chemin vers cette plateforme centralisée. Le voyageur doit donc multiplier les recherches pour dégoter l’atelier rêvé.

Selon Mme Couret, les médias sociaux, notamment ceux des offices de tourisme, restent un excellent moyen de se tenir informé des différentes expériences créatives offertes.

QUI SONT LES PARTICIPANTS ?

Selon Caroline Couret, il est impossible de tracer un portrait précis des voyageurs qui incluent une activité créative à leur séjour. Ni même de chiffrer le phénomène, qu’elle estime tout de même « en pleine expansion ». « Le public évolue sans cesse et le tourisme créatif se développe de façon tentaculaire. L’OCDE [Organisation de coopération et de développement économiques] et l’Organisation mondiale du tourisme commencent à peine à étudier cette nouvelle tendance. »

Nicolas Barreiro estime de son côté que la grande majorité des participants sont, de fait, des participantes. « Soixante-dix pour cent de notre clientèle est composés de femmes. »

« Ce n’est pas un hasard si le tourisme créatif se développe en ce moment, croit Mme Couret. Les gens souhaitent de plus en plus sortir de leur cadre habituel pour tester de nouvelles expériences. Ils cherchent un épanouissement personnel.

« Les voyageurs créatifs sont davantage attirés par l’authenticité et les rencontres humaines avec la population locale que par les monuments ou les grandes icônes touristiques d’une destination. Or, ce tissu humain peut être plus difficile à percevoir lorsqu’on voyage. »

DES AVANTAGES POUR LA POPULATION LOCALE ?

Le tourisme créatif n’est pas profitable qu’aux seuls voyageurs ; il est source de nombreux bénéfices pour les populations locales. Notamment en permettant de préserver certains savoir-faire et traditions menacés de disparition.

« Il est parfois difficile pour les populations locales de prendre conscience de la richesse de leur patrimoine immatériel. Les artisans – souvent des femmes – sont valorisés en voyant que les gens se déplacent pour apprendre leurs savoir-faire. Ils réalisent qu’ils ont quelque chose à offrir. C’est une grande source d’estime personnelle et une façon d’obtenir un revenu supplémentaire, notamment dans des régions traditionnellement moins touristiques. »

Mieux, ces bénéfices sociaux et économiques importants n’exigent pas de grands investissements. Souvent, il ne manque qu’une structure pour encadrer les artisans déjà sur place. C’est ce qui s’est passé à Saint-Jean-Port-Joli. « Ici, le talent créatif au pied carré est très élevé, lance Marie-Claude Gamache, responsable des relations publiques pour l’organisme Saint-Jean-Port-Joli, village créatif, créé en juin 2014. Le village est truffé d’ateliers. On faisait déjà du tourisme créatif avant que le nom existe. »

Cet été, l’offre de Saint-Jean-Port-Joli s’est diversifiée. Aux ateliers plus longs de sculpture ou de construction de mini-maison s’ajoutent désormais des activités de quelques heures, sur la boulangerie ou l’arrangement floral.

Bref, la population est de plus en plus mobilisée. Normal, dit Caroline Couret. « Le tourisme créatif fédère des communautés en entier. »

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Saint-Jean-

Port-Joli,

village créatif

Le village de Saint-Jean-Port-Joli a été sacré meilleure destination créative en 2015 par le Creative Tourism Network. Des ateliers de sculpture sur bois y sont offerts, mais aussi de photographie, de lutherie, de boulangerie et de feutrage. Compte rendu en photos d’une journée créative sous le thème de la fibre.

Consultez le site de Saint-Jean-Port-Joli, village créatif : 

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Atelier de cuisine en Islande 

REYKJAVÍK — « Ma grand-mère ne serait pas fière ! »

Gígja Svavarsdóttir rigole. Depuis deux minutes, elle regarde les participants de son atelier de cuisine islandaise se battre avec la crêpière de fonte presque centenaire pour réussir les crêpes les plus minces possible, comme sa grand-mère les aimait.

« Elle mettait juste ce qu’il fallait de préparation pour que tout le monde ait une crêpe. Si la cuisinière faisait les crêpes trop épaisses, elle ne mangeait pas ! » 

Cette grand-maman à l’indéniable sagesse pratique est souvent évoquée pendant l’atelier de trois heures animé par Gígja et son époux Egill Gunnarsson. Le couple n’hésite pas à faire appel aux enseignements de cette femme modeste – qui a reçu sa première (et sa seule) fourchette à l’âge de 20 ans – pour présenter la culture de leur pays. 

Les Islandais ont forgé leur identité nationale en affrontant, au fil des siècles, plusieurs famines et catastrophes naturelles. La nourriture étant rare, le gaspillage était impensable. On le comprend dès qu’on pénètre dans l’ancienne conserverie rénovée de Reykjavík, où se tient l’atelier. Sur la table, deux théières brûlantes sont déposées, remplies de tisane faite de plantes indigènes. « Servez-vous, lance l’hôtesse. En Islande, on ne fait pas le service lorsqu’on reçoit. Ainsi, les convives ne prennent que ce qu’ils veulent boire ou manger, rien de plus. »

Pendant une heure, l’atelier se déroule autour de la table, devant une délicate tisane aux graines d’angélique. Il est question de la colonisation de l’île. De la langue islandaise avec son alphabet à rallonge (32 lettres !) et sa prononciation impossible. Des noms de famille composés à partir du prénom du père (ou parfois de la mère).

Les enjeux contemporains s’invitent dans la discussion. Les policiers qui n’ont pas d’arme à feu (ce qui fait sourire l’Américain du groupe). L’Islande qui continue de chasser la baleine de façon commerciale, malgré les moratoires internationaux. Or, Gígja adore le goût de la baleine. « On ne chasse que les espèces non menacées, comme le petit rorqual. » Elle raffole aussi du requin du Groenland faisandé, mets traditionnel devenu quasi folklorique pour plusieurs Islandais. Aucune question n’est malvenue… et les hôtes sont généreux pour offrir conseils et bonnes adresses au pays.

À TABLE ! 

Heureusement, on n’aperçoit pas de requin faisandé ni de petit rorqual tranché sur le long comptoir garni de vivres où Egill nous invite à passer. Mais il y a ici de quoi piquer la curiosité, notamment une demi-tête de mouton calcinée (avec les dents, l’œil et la peau noircie par un chalumeau), posée bien en évidence. 

Autour : du pain cuit à la vapeur par géothermie, du hareng mariné, de l’agneau fumé, du skyr, du beurre. Pour boire, les choix sont étonnants : une boisson gazeuse à base de malt ou du « mysa », le petit-lait prélevé lors de la transformation laitière qui est resté, depuis l’époque des Vikings, une boisson traditionnelle. 

Et la tête de mouton n’est pas simplement là pour la décoration… « C’est un plat typique en Islande, dit Egill. On mange tout : la joue, la langue, les yeux… » Les yeux ? Sans blague ? « Bien sûr ! » Pour le prouver, il extrait l’œil de la tête avec un couteau et le coupe en quatre. La tête a été bouillie ; l’œil est devenu solide, mais l’iris sombre reste bien visible. Egill avale sa partie en souriant avant de déposer les autres quartiers dans nos assiettes, à côté de cubes de joue et de langue. 

Personne ne se défilera. Mais personne ne demandera une deuxième part de ce bout de viande peu savoureux, à la texture grasse et gélatineuse. Les limites alimentaires de plusieurs ont été dépassées… 

Lorsque Gígja sort ses crêpières, tout le monde est soulagé. 

« On sert des crêpes lors des grands rassemblements et en Islande, les plus grosses fêtes ont lieu lors des funérailles. Souvent, le défunt a choisi le menu, la musique, comme s’il disait : “Je vais manger ceci ou chanter cela avec vous avant de partir.” » 

Les participants ont tous la chance de tester leurs talents. Après deux ou trois essais, les crêpes sont fines, dorées.

La créativité est peu sollicitée, mais le plaisir est partagé. « Chaque famille a sa recette de crêpe, ajoute Gígja. On y étend de la confiture et de la crème fouettée, puis on plie la crêpe en quatre. Ma grand-mère disait toujours de ne pas mettre de la confiture sur toute la crêpe. Pour elle, c’était un signe de gloutonnerie et le moyen le plus certain de ne plus jamais se faire inviter nulle part ! » 

Infos : Les ateliers sont proposés chaque jour sur réservation et sont offerts en anglais. Des ateliers en français peuvent être organisés sur demande. Coût : 87 euros (environ 125 $) par personne. 

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Mosaïque

à Barcelone 

Dans le barri Gòtic (quartier gothique), un studio offre des ateliers de mosaïque (pour adultes et pour enfants) selon la méthode utilisée par Antoni Gaudí. Des fragments de céramique sont mis à la disposition des participants, qui les agencent pour créer cadres photo, miroirs, sous-verre… 

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Coutellerie dans la Loire 

Les nombreux ateliers de tourisme créatif offerts dans l’Hexagone sont regroupés sur le site Creative France. Plusieurs se tiennent à Paris, mais pas tous. Dans les Pays de la Loire, il est possible de fabriquer son propre couteau pliant – du manche à la lame – lors d’un cours de quatre heures. 

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Fabrication

de chaussures

à Florence 

Des dizaines d’ateliers créatifs de cuisine, d’artisanat ou d’art sont offerts dans toute l’Italie et sont recensés sur le site Studia in Italia. À Florence, il est possible de participer à un cours intensif de fabrication de chaussures qui s’étend sur deux semaines. Chaque étape est supervisée, depuis le choix du matériau jusqu’à l’assemblage final… 

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Barbecue au Brésil 

La ville de Porto Alegre, dans le sud du Brésil, possède un riche patrimoine associé à la culture gaucho. Parmi les ateliers proposés, l’un est consacré au churrasco, le barbecue traditionnel brésilien. Les participants apprennent notamment comment choisir la viande, l’apprêter et l’embrocher pour obtenir les grillades les plus savoureuses. Aussi offert : un atelier sur l’art du maté. 

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Dumpling

en Chine

À Pékin, il est possible de participer à une foule d’ateliers créatifs offerts par le Centre culturel chinois. En vrac : dumpling, calligraphie, danse et musique traditionnelles, lanterne ou arrangement floral. 

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Henné

au Maroc 

À Marrakech, Creative Interactions offre des ateliers de langue et de culture arabes (le plus court dure 90 minutes) auxquels il est possible de greffer une activité créative, sur la préparation d’un tajine ou le design d’un dessin au henné.

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