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Vers une pénurie de vétérinaires pour les animaux de ferme

Le tiers des vétérinaires qui travaillent auprès des bovins et des vaches laitières partiront à la retraite d’ici 10 ans

Une pénurie de vétérinaires offrant des soins aux animaux destinés à la consommation est à prévoir au Québec, alors que très peu de nouveaux diplômés choisissent de travailler avec ces populations. Certains étudiants se détacheraient de cette branche en raison d’une méconnaissance du milieu agricole, mais également en raison de leurs pratiques alimentaires végétariennes.

Le manque d’intérêt des jeunes diplômés pour le secteur de la production animale fait craindre le pire à l’Ordre des médecins vétérinaires du Québec (OMVQ), affirme sa présidente, Caroline Kilsdonk. La situation est d’autant plus inquiétante que le tiers des vétérinaires qui pratiquent avec les vaches laitières et les élevages bovins et caprins destinés à la production de viande devraient partir à la retraite d’ici 10 ans, selon la plus récente étude du ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ).

« La présence de nouvelles tendances alimentaires chez les personnes qui entrent dans le programme a une influence », croit Mme Kilsdonk.

À la faculté de médecine vétérinaire de l’Université de Montréal, le végétarisme de la classe étudiante est plutôt perçu comme une cause secondaire au manque de vétérinaires dans le milieu de la production animalière. « C’est peut-être une raison, mais ce n’est certainement pas la première », estime Marie Archambault, vice-doyenne aux affaires académiques et étudiantes.

Elle montre plutôt du doigt l’exposition tardive des étudiants aux réalités agricoles. Cette opinion est partagée par Éloïse Johnson, présidente de l’Association des étudiants en médecine vétérinaire de l’Université de Montréal (UdeM), ainsi que par trois autres de ses pairs interviewés par La Presse.

Peu enclins à travailler auprès des animaux de ferme

Le manque d’étudiants de dernière année souhaitant travailler auprès des producteurs agricoles serait attribuable à une forte présence d’étudiants non sensibilisés à cette réalité. La plupart ont grandi en ville.

« Le problème du XXIe siècle, c’est que les gens sont déconnectés de l’agriculture. Les étudiants de première année sont peu exposés aux grands animaux. Ça ne les intéresse pas parce qu’ils ne connaissent pas ça. Il faut des ambassadeurs pour donner le goût », affirme Olivier Garon, jeune vétérinaire travaillant avec les bovins.

Depuis qu’il a reçu son diplôme, M. Garon est très occupé. Il pense que les besoins en vétérinaires dans l’élevage bovin dépassent de beaucoup l’offre de professionnels qualifiés. « Les étudiants de troisième année se font déjà offrir des jobs », affirme-t-il. Le diplôme de vétérinaire s’acquiert après cinq ans d’études.

« On n’est pas nécessairement exposé directement aux animaux de ferme et les petits animaux prennent beaucoup de place dans le programme », affirme pour sa part Jean-Philippe Béliveau, étudiant de troisième année et président du club bovin de la faculté.

Une vision négative des conditions dans lesquelles grandissent les animaux destinés à la vente pourrait également avoir un impact sur l’orientation choisie par les diplômés, croit Mme Kilsdonk, présidente de l’Ordre des vétérinaires.

« Une préoccupation accrue pour le bien-être animal pourrait être une motivation à aller vers la production, mais malheureusement, la tendance est de délaisser ces secteurs-là. »

—Caroline Kilsdonk, présidente de l’Ordre des médecins vétérinaires du Québec

Elle déplore du même coup l’opposition qui se crée entre bien-être animal et élevage. « Il n’y a pas une dichotomie entre la médecine plutôt individuelle pour les animaux domestiques et celle pour la production alimentaire. Les deux contribuent au bien-être animal », défend-elle.

Une étudiante végétarienne de la faculté qui a l’intention de travailler auprès des animaux de production croit plutôt que les producteurs en font beaucoup pour le bien-être de leurs bêtes. Elle estime qu’il y a une désinformation généralisée sur les pratiques d’élevage.

Pour ceux qui s’intéressent aux animaux de ferme, les grandes distances à parcourir, les heures de garde à faire ainsi que des perspectives d’emplois souvent hors des grands centres peuvent aussi être des freins.

Recruter autrement

La difficulté de former des étudiants s’intéressant aux grands animaux a suscité des discussions, et une modification du mode de sélection des candidats est actuellement envisagée, affirme la présidente de l’OMVQ. « La méthode de sélection actuelle sur la base d’un test psychométrique favorise des personnes ayant un profil semblable », renchérit-elle.

« C’est sûr que le processus d’admission ne favorise pas les étudiants de région », juge Jean-Philippe Béliveau, étudiant qui se dirige vers l’industrie bovine.

L’enjeu de la formation et de la rétention des nouveaux vétérinaires soignant les grands animaux est au cœur des discussions d’un groupe de travail formé en 2017. Le comité regroupe l’Ordre des médecins vétérinaires, le MAPAQ, la faculté de médecine vétérinaire de l’UdeM et l’Union des producteurs agricoles.

« Il faut donner aux gens la passion de pratiquer ce métier-là. »

— Olivier Garon, vétérinaire dans le secteur bovin

« Une chose vraiment chouette avec les grands animaux, c’est la relation suivie avec la clientèle durant 20, 25, 30 ans… », affirme Mme Kilsdonk, de l’Ordre des médecins vétérinaires.

Les vétérinaires qui se concentrent uniquement sur les grands animaux représentent cette année environ 15 % des quelque 2500 vétérinaires de la province. En 2018, ce sont 57 % des vétérinaires qui évoluaient dans le domaine des animaux de compagnie, alors que 66 % des nouveaux diplômés se dirigeaient dans cette branche.

La pénurie à prévoir n’est pas une situation propre au Québec. « C’est un problème vécu à l’international », rappelle Hélène Trépanier, vétérinaire à la Direction de la santé animale du MAPAQ.

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