Chronique

Comme dans Lance et compte

Si Réjean Tremblay avait écrit cette scène dans Lance et compte, tout le monde aurait dit : « Ben, voyons donc, ça se peut pas… »

Et pourtant.

Tard vendredi soir, les meilleurs hockeyeurs de moins de 16 ans du Québec affrontaient ceux de l’Ontario en finale des Jeux du Canada, en Alberta. Deux clubs qui se connaissent et se détestent. Une guerre de tranchées. Après trois périodes, l’égalité persistait. Un but en or allait déterminer la couleur de la médaille.

En prolongation, le meilleur compteur du tournoi, Zachary L’Heureux, a gêné le travail du gardien ontarien. Punition. Le Québec s’est retrouvé à court d’un homme. Deux minutes « extrêmement longues », pour reprendre les mots de L’Heureux, qui assistait impuissant aux tirs de l’Ontario.

Mais son gardien William Blackburn et ses coéquipiers ont résisté aux attaques. Une minute après être sorti du banc des punitions, Zachary L’Heureux a eu une chance de racheter sa faute. Il ne l’a pas ratée. Son but a procuré au Québec une première médaille d’or en hockey masculin aux Jeux du Canada depuis 1987. C’était 16 ans avant la naissance du héros du jour.

Une scène finale digne de Lance et compte. En fait, les deux dernières semaines rocambolesques d’Équipe Québec auraient fourni du matériel pour une nouvelle saison de 13 épisodes.

« Tout était planifié au quart de tour depuis des semaines. Sauf qu’à notre arrivée à Red Deer, nos valises n’ont pas suivi », raconte l’entraîneur-chef Martin Laperrière, prêté par les Remparts de Québec.

Seuls les sacs de hockey se sont rendus à destination. « Veux, veux pas, c’est devenu une distraction. Aux pratiques, dans la rue, on avait toujours les mêmes vêtements. Les gens de la mission sont venus nous aider. Ils nous ont apporté des brosses à dents, des bobettes, des bas. Tu aurais dû voir ça quand les sacs [de la mission] sont arrivés. Les jeunes et les adultes ont sauté dessus. Ça a fait tellement de bien ! »

La mésaventure a permis de renforcer les liens entre les joueurs, qui sont normalement des adversaires dans le niveau le plus fort pour leur âge, la ligue Midget AAA (quelques-uns jouent aussi dans le réseau scolaire). Toute la semaine, le groupe est resté très uni. Les gars se déplaçaient ensemble pour assister à d’autres compétitions d’Équipe Québec, comme la ringuette ou le basketball en fauteuil roulant.

« Ça nous a permis de rencontrer un jeune homme, Woody [Belfort], un basketteur en fauteuil roulant, indique Martin Laperrière. On l’avait vu à la cafétéria. Il était chummy avec tout le monde. Il passait d’une table à l’autre, il faisait des hand stands, tous les ados l’applaudissaient. Il est devenu ami avec nos gars. »

La suite vous rappellera la scène finale de la première saison de Lance et compte, lorsque l’entraîneur Jacques Mercier (Yvan Ponton) amène son fils handicapé Jimmy dans le vestiaire pour motiver ses joueurs.

« On a invité Woody dans notre chambre avant le match contre l’Ontario [en ronde préliminaire]. On ne l’a pas dit aux gars. Il a fait un petit discours. Les joueurs ne s’y attendaient pas. Le gars était tellement enthousiaste, c’était incroyable. Ça fait partie du folklore des Jeux. Ça a vraiment lié les gars entre eux. »

Par la suite, Équipe Québec n’a jamais perdu. Six victoires, aucune défaite. 39 buts pour, 16 buts contre. Une performance exceptionnelle.

« Ce qu’ils ont fait est impressionnant, m’a confié un dépisteur d’expérience de la LHJMQ. C’est un groupe qui a du caractère. Les joueurs n’ont peur de rien. Ils n’ont jamais été intimidés par l’événement, l’attention, le fait qu’ils jouaient contre l’Ontario. C’est rarement arrivé dans ma carrière, mais dans le premier match contre l’Ontario, je n’étais plus seulement un dépisteur. J’étais rendu un fan ! »

***

Comment expliquer les succès de cette cohorte 2003 qualifiée d’« exceptionnelle » par l’entraîneur-chef Martin Laperrière ? Pourquoi tant de joueurs d’impact sont-ils nés la même année au Québec ?

Ce n’est pas le fruit du hasard. Ces athlètes sont parmi les premiers « enfants de la réforme », ceux qui ont profité de la création des structures AAA et de l’encadrement conséquent.

Explications de Yanick Gagné, directeur général adjoint de la ligue Midget AAA : « Avant, il pouvait y avoir huit équipes pee-wee AA dans une seule région. Hockey Québec a créé le niveau AAA pour que les meilleurs jouent vraiment contre les meilleurs. Très jeunes, les joueurs nés en 2003 ont donc évolué dans un meilleur calibre que ceux des cohortes précédentes. Ils ont été plus challengés. C’est dans ces conditions qu’un athlète peut s’améliorer. »

« Le AAA a aussi apporté un meilleur encadrement aux jeunes. Un meilleur développement sur la glace, mais aussi hors glace. On commence à voir les retombées de tout ça. »

— Yanick Gagné, directeur général adjoint de la ligue Midget AAA

Après la contre-performance de son équipe aux Jeux du Canada de 2015, Hockey Québec a aussi changé d’approche. La fédération s’est inspirée des pratiques de Hockey Canada pour repérer rapidement le talent en bas âge.

Chaque entraîneur d’un club AAA doit maintenant évaluer ses joueurs trois fois par saison, précise Yanick Gagné. Les rapports sont remis à la fédération, qui suit l’évolution des meilleurs espoirs. Certains ont même un plan de développement individuel. C’est ainsi que dès 2015, les dirigeants de Hockey Québec ont pu repérer les meilleurs joueurs nés en 2003.

D’année en année, de camp en camp, le groupe est passé de 80 joueurs à une trentaine. Martin Laperrière et son équipe d’entraîneurs ont évalué chaque espoir en fonction de trois critères : la vitesse, le travail et l’exécution.

« Rien n’a été laissé au hasard, explique l’entraîneur-chef. On voulait tout savoir des joueurs. On a parlé aux coachs (du Midget AAA) régulièrement. On avait une conférence téléphonique toutes les deux semaines. On a organisé des matchs contre des joueurs plus âgés pour voir comment ils allaient réagir. Il n’y a pas une pierre qui n’a pas été revirée ! »

La sélection est une étape délicate. La gestion des joueurs choisis l’est tout autant.

Plusieurs hockeyeurs choisis étaient parmi les meilleurs de leur équipe au Québec. À Red Deer, on allait leur demander d’évoluer sur la quatrième ligne ou de s’en tenir à un rôle défensif en infériorité numérique. Chapeau aux entraîneurs, qui ont su convaincre tous les athlètes d’adhérer à leur plan.

« Les joueurs ont bien accepté leur rôle, souligne Martin Laperrière. C’est un groupe dans lequel on retrouve plusieurs leaders. Ce que j’aime, c’est que ce ne sont pas des criards. Des gars comme Justin Robidas, Olivier Nadeau, Joshua Roy montrent l’exemple. Mais aussi Tristan Roy, qui a joué un rôle plus effacé, mais qui est un grand leader qui n’a jamais cessé d’encourager [ses coéquipiers]. Ce leadership a été la colle de cette équipe. »

Les joueurs reviendront donc au Québec avec une médaille d’or au cou. Mais il n’existe pas de Coupe Stanley des Jeux du Canada, sur laquelle les noms des joueurs sont gravés pour la postérité.

Alors que les quelques lignes qui suivent soulignent l’exploit de cette cohorte.

Joueurs : William Blackburn, William Rousseau, Olivier Boutin, Mikael Diotte, Jacob Guévin, Tristan Luneau, Guillaume Richard, Charle Truchon, Anthony Bédard, Zachary Bolduc, Nathan Gaucher, Zachary L’Heureux, James Malatesta, Olivier Nadeau, Maxime Pellerin, Justin Robidas (capitaine), Joshua Roy, Tristan Roy, Dovar Tinling, Alexi Van Houtte-Cachero.

Entraîneurs et personnel : Martin Laperrière, Frédéric Lavoie, Maxime Desruisseaux, Maxime Ouellet, Mike Maclure. Christian Tremblay, Marcel Patenaude, Jonathan Marcotte-Levasseur.

Le Québec en tête

Après la première semaine de compétition des Jeux du Canada, hier matin, le Québec se trouvait loin en tête du classement des médailles, avec 85. L’Alberta en comptait 44 et l’Ontario, 42. Parmi les Québécois qui ont retenu l’attention, signalons le gymnaste Félix Dolci, triple médaillé d’or, le patineur Nicolas Perreault et le skieur Édouard Therriault, doubles médaillés d’or, ainsi que l’équipe féminine de ringuette, qui a vaincu celle de l’Ontario en finale.

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