Séparation

Cette charmante belle-mère

Laurence* n’a jamais connu son père biologique. Son beau-père est entré dans sa vie lorsqu’elle avait 2 ans et, pour elle, il est devenu son papa. Sa maman et lui ont donné naissance à un petit garçon. Lorsque papa a quitté maman, elle a voulu le visiter comme le faisait son frère une fin de semaine sur deux. Or, pour sa mère, c’était hors de question puisqu’il n’était pas son « vrai » père. Laurence était accablée, d’autant plus qu’un « vrai » père, elle n’en avait pas. Pire encore, comme maman et papa n’avaient plus de contacts, Laurence devait ouvrir la porte à celui qu’elle considérait comme son père lorsqu’il venait chercher son frère pour la fin de semaine.

Cette situation vécue nous a été racontée par Lorraine Filion, médiatrice familiale et travailleuse sociale. « Lors d’une séparation, il arrive que les ex-conjoints se livrent une guerre et utilisent les enfants comme monnaie d’échange, remarque-t-elle. Souvent, dans une telle situation, le désir de vengeance est davantage pris en compte que les besoins de l’enfant. » Plusieurs parents peuvent avoir tendance à minimiser l’impact de leur séparation avec leur conjoint sur l’enfant qu’ils ont eu d’une précédente union, si l’on en croit Marie-Christine Saint-Jacques, professeure titulaire à l’École de service social de l’Université Laval. « Toutefois, une séparation est une perturbation dans la trajectoire de l’enfant, explique-t-elle. Il s’est déjà habitué à une première séparation, puis au nouveau conjoint et à la vie de famille recomposée. Maintenant, il doit s’habituer à une nouvelle séparation. Ce n’est pas un événement anodin, particulièrement si l’enfant a développé un lien significatif avec son beau-parent. Il faut le reconnaître. »

La profondeur du lien

Lorsque Maude a commencé à fréquenter son ex-conjoint, Alexandra avait 9 ans. Rapidement, elles sont devenues très proches. « La première fois que je me suis assise à côté d’elle pour l’aider à faire ses devoirs, elle était toute surprise et excitée, raconte Maude. Personne n’avait jamais fait ça pour elle et elle était en 4e année. Aujourd’hui, elle est au cégep et je suis très fière parce que nous sommes parties de loin. » Après sa séparation, Maude est restée en contact avec Alexandra. « Nous avons vraiment passé beaucoup de temps ensemble, affirme Maude. C’était clair pour nous deux que nous allions toujours rester dans la vie de l’autre peu importe ce qui arriverait. »

« La décision du parent de favoriser ou non les contacts entre son enfant et l’ex-beau-parent devrait toujours se prendre en regardant l’intérêt de l’enfant et selon la profondeur du lien développé entre les deux », indique Marie-Christine Saint-Jacques, qui se spécialise dans les questions de recomposition familiale. Pour analyser le lien, il faut prendre plusieurs variables en considération. « Un lien important peut se développer même si le beau-parent n’est pas arrivé dans la vie de l’enfant lorsqu’il était bébé et même s’il voit encore ses deux parents biologiques, affirme Mme Saint-Jacques. Ce n’est pas non plus seulement une question d’années passées en famille recomposée. À partir du moment où le beau-parent joue un rôle significatif dans la vie de l’enfant, celui-ci vit une perte au moment de la séparation. »

La responsabilité des adultes 

En intégrant un adulte dans la vie de son enfant, un parent favorise la création d’une forme d’attachement entre les deux. « Lorsque c’est le cas, pourquoi imposer une cassure ?, questionne la chercheuse. Comme parent, il faut se demander quel serait le gain pour notre enfant de couper le lien. » 

Il est possible toutefois que le beau-parent refuse de maintenir une relation avec les enfants de son ex-conjoint. C’est ce qu’a vécu Marie-Pierre. Fortement attachée à sa belle-mère, cette dernière a refusé tout contact avec elle une fois séparée de son papa. « Marie-Pierre m’a dit qu’elle était une enfant oubliée, raconte Lorraine Filion. Elle n’avait pas oublié sa belle-mère, mais elle disait que sa belle-mère l’avait oubliée. L’attachement n’est pas toujours partagé. Marie-Pierre a vécu cet épisode comme un rejet et elle s’en sentait responsable. Elle croyait qu’elle avait fait quelque chose de mal et sa belle-mère n’a pas voulu venir expliquer son choix en médiation. Marie-Pierre a dû entreprendre une thérapie. »

Aux yeux de la médiatrice, les adultes ont une responsabilité par rapport aux liens qu’ils créent avec des enfants. « Il est important de prendre le temps d’expliquer aux enfants la décision de l’adulte de rompre le lien dans un cas comme celui-ci afin de déculpabiliser l’enfant », précise-t-elle. 

La séparation d’une famille recomposée implique aussi souvent d’autres enfants avec qui des liens se sont formés. Le père d’Anaïs, par exemple, a fréquenté la mère de sa meilleure amie de la garderie. « Ils sont restés ensemble deux ans et notre amitié a continué à grandir, raconte-t-elle. Lorsqu’ils se sont séparés, j’étais triste puisque j’aimais que ma meilleure amie soit ma demi-sœur. J’allais la voir moins souvent, tout comme sa mère. Heureusement, mon père ne m’a pas obligée à couper les ponts. »

Des exemples d’arrangement 

Sans vouloir être brusques, plusieurs parents séparés se diront que c’est déjà compliqué de partager le temps de garde des enfants entre eux, sans devoir ajouter les ex-beaux-parents dans l’équation ! « C’est certain que lorsque les deux parents biologiques sont présents dans la vie de l’enfant, c’est difficile d’entretenir des liens réguliers avec le beau-parent, reconnaît Lorraine Filion. Toutefois, il y a moyen de préserver certains contacts. » « Il faut se demander comment ce lien significatif pourra se poursuivre tout en subissant inévitablement une transformation », conseille Marie-Christine Saint-Jacques. 

Les deux spécialistes y vont de plusieurs exemples de formules à considérer : rendez-vous téléphoniques, repas au restaurant hebdomadaire ou mensuel, invitation du beau-parent aux événements sportifs et parascolaires, activité à l’occasion de l’anniversaire de l’enfant, une semaine de vacances ensemble, etc. « Il n’y a pas de recette à suivre, c’est vraiment du sur-mesure », affirme Mme Filion, qui aide de plus en plus de parents à vivre des deuxièmes et des troisièmes séparations en médiation. « L’idéal est de ne pas trop s’enfermer dans un carcan, indique Mme Saint-Jacques. Il faut envisager la meilleure solution possible dans sa situation. On peut aussi demander l’opinion de l’enfant et lui permettre d’exprimer ses émotions. Ensuite, il faut expliquer clairement à l’enfant ce qui se passera avec son beau-parent, quand il pourra le voir et lui parler, sans toutefois faire de promesses qui ne pourront être tenues. Plus les choses sont prévisibles pour l’enfant, plus il sera sécurisé. » La formule évoluera au fil du temps. « Parfois, chacun refait sa vie et la relation s’effrite après un certain temps, remarque Mme Saint-Jacques, mais l’important est que la transition se fasse en douceur. »

* Les prénoms des enfants ont été changés pour préserver leur anonymat. 

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