Santé

bras de fer entre barrette et le gouvernement

L’entente conclue avec les médecins spécialistes viendra-t-elle compromettre les engagements du ministre de la Santé envers les infirmières ? Gaétan Barrette réclame une hausse de 5,2 % de son budget, alors que le Conseil du trésor prévoit plutôt lui accorder une hausse de 4 %, a appris La Presse.

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Un différend de 500 millions

QUEBEC — Le gouvernement Couillard a un mois pour régler un différend important entre le Conseil du trésor et le ministre de la Santé, Gaétan Barrette. L’enjeu du bras de fer ? Plus de 500 millions que réclame le titulaire de la Santé pour la croissance des dépenses de 2018-2019, dont le règlement de la crise avec les infirmières.

Mécontent devant le règlement du litige avec les médecins spécialistes, le ministre Barrette, semble-t-il, craint qu’on ait considérablement réduit sa marge de manœuvre pour l’an prochain, et compromis ses engagements à l’endroit des infirmières. Or il avait demandé une augmentation de 5,2 % de son budget pour l’an prochain. Mais le Conseil du trésor compte limiter le mégabudget de la Santé – 38 milliards – à une augmentation de 4 %, a appris La Presse.

Le Conseil des ministres est actuellement mobilisé par ces arbitrages qui doivent être prêts pour le dépôt du budget, durant la troisième semaine de mars, le 20 ou le 22, selon le plan. Les décisions pressent puisqu’il faut tenir compte des semaines de relâche parlementaire – et de l’absence de Philippe Couillard, en mission à Paris – début mars. Exceptionnellement, le Conseil des ministres se réunira ce soir plutôt que mercredi pour devancer des décisions.

Au cœur des inquiétudes de Gaétan Barrette : son intention de donner le feu vert à l’embauche de 3000 nouvelles infirmières – une facture annuelle à terme de 240 millions environ. Mais de toute façon, il ne se trouverait pas 3000 personnes pour occuper ces postes à court terme.

Les partisans de la ligne dure soulignent aussi que cette facture n’est pas un surplus net – il faudrait soustraire les heures supplémentaires, à taux et demi, qui seraient économisées. Même chez les infirmières, l’éradication des heures supplémentaires ne fait pas l’unanimité. Une dirigeante syndicale a déjà été mise de côté pour avoir proposé de transformer toutes les heures supplémentaires en postes supplémentaires, rappelle-t-on.

À l’interne, le ministre Barrette rappelle qu’il est à la source de la seule économie tangible réalisée dans son secteur – une entente avec l’industrie du médicament générique a fait épargner 320 millions par année à Québec.

Hausse du budget et des coûts

À la dernière revue des finances publiques, en novembre dernier, Québec annonçait que la Santé verrait son budget augmenter de 4,2 % en 2017-2018. Pour l’année qui commence, la croissance devait être de 3,8 %. En proportion, le budget de l’Éducation avait augmenté davantage, à 5,4 %, et ce devrait être encore le cas cette année – 4 % prévus l’automne dernier, ce sera plutôt 4,2 %. L’an dernier, l’argent avait été aiguillé surtout vers le primaire-secondaire. Cette année, l’enseignement supérieur devrait être privilégié, indique-t-on.

La croissance du budget de la Santé sera un peu plus haute que les 3,8 % prévus, convient-on, on s’attend à 4 % comme ordre de grandeur. Les enveloppes ne sont pas fermées, mais il n’est pas question de se rendre aux 5,2 % attendus par la Santé. Philippe Couillard a déjà rappelé récemment qu’en santé, « les besoins seront toujours illimités ». Avec tout le budget du ministère des Relations internationales, « on fait un avant-midi dans le réseau de la santé », illustre-t-on.

La hausse des coûts du système de santé est autour de 3,7 % dont 2,7 % passent à la rémunération des médecins et des syndiqués. Pour les syndiqués, il faut ajouter la montée dans les échelons. Ce qui laisserait moins de 1 % seulement pour le développement de nouveaux services.

Québec doit tenir compte du verdict que rendra avant les élections le Vérificateur général sur les engagements des ministères par rapport aux dépenses prévues.

Le gouvernement n’a pas demandé d’avis juridique formel pour décider d’éviter un recours juridique des médecins. Les textes étaient limpides, ne faisaient pas référence à un lien avec la rémunération des médecins ontariens, « il y avait des ententes de 2011, de 2014, [leur] cause était pas forte », et le verdict du tribunal ne faisait pas de doute, résume-t-on.

Mais surtout, des considérations politiques ont prévalu : « Est-ce que cela nous tente d’avoir des médecins furieux durant six mois avant l’élection ? », laisse tomber un membre du gouvernement. D’autres sources indiquent que la Fédération des médecins spécialistes était prête à lancer une campagne de communication percutante pour forcer la main au gouvernement.

Québec a donné le feu vert aux augmentations qu’il avait accordées aux médecins – le versement est étalé dans le temps. Pourtant, il n’a jamais demandé que l’on réévalue le « code d’actes », les gestes dont la valeur a été déterminée il y a des années.

Par exemple, certains gestes posés par les radiologistes qui prenaient près d’une heure dans le passé prennent 10 minutes actuellement. Résultat ? Un radiologiste peut voir plus de vingt patients par jour, les six premiers permettent d’éponger tous ses coûts, les suivants sont du profit pour le médecin. Autre exemple, les ophtalmologistes pouvaient traiter trois patients par jour pour des cataractes il y a quelques années. Prélever le cristallin était une opération délicate qui durait deux heures. Avec le recours aux ultrasons, le même « acte » prend 10 minutes, mais continue d’être payé comme avant.

Santé

Manifestations dans les hôpitaux de l’Outaouais

Des travailleurs de la santé ont tenu un sit-in hier midi dans plusieurs hôpitaux de l’Outaouais afin de dénoncer leurs conditions de travail. À l’Hôpital de Hull seulement, entre 11 h et 13 h, environ une centaine de syndiqués ont pris un peu de temps pendant leur pause du dîner pour aller occuper le hall d’entrée donnant sur le boulevard Lionel-Émond. Surcharge de travail, manque de personnel et heures supplémentaires sont au nombre des éléments ayant été dénoncés par les syndiqués. « Tout le monde avait un autocollant montrant une batterie faible, et on a remis un beigne à chaque membre pour leur redonner de l’énergie », a indiqué Josée McMillan, présidente du Syndicat des travailleuses et travailleurs de la santé et des services sociaux de l’Outaouais.

— Le Droit

Rémunération des médecins

Un comité de suivi annoncé, mais jamais créé

QUÉBEC — Québec s’était engagé en 2011 à créer un comité de suivi de la rémunération des médecins spécialistes afin de vérifier si le rattrapage avec le reste du Canada était chose faite. Or, il ne l’a jamais mis sur pied. Et il a accordé malgré tout de nouvelles augmentations au corps médical que les contribuables doivent aujourd’hui payer jusqu’en 2022-2023.

Ce comité visait à mesurer l’écart entre la rémunération des spécialistes québécois et ceux du reste du Canada. L’objectif était de faire une mise à jour périodique de la situation après que le gouvernement eut accordé aux membres de la Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ) un rattrapage salarial en vertu d’une entente datant de 2007 et s’échelonnant jusqu’en 2015-2016. Il fallait s’assurer que les augmentations promises étaient toujours justifiées au-delà de 2011, en tout ou en partie.

L’entente conclue en 2011 entre le ministre de la Santé d’alors, Yves Bolduc, et le président de la FMSQ, Gaétan Barrette, stipulait ainsi que « les parties conviennent de mettre sur pied un comité paritaire ayant pour mandat de suivre périodiquement l’évolution de l’écart entre la rémunération des médecins spécialistes du Québec et la rémunération de l’ensemble des médecins spécialistes des autres provinces canadiennes sur la base des dernières données disponibles, en prenant en considération tous les facteurs pertinents à cette comparaison et en mettant à jour les travaux antérieurs ».

Or, ce comité n’a jamais vu le jour. Le Vérificateur général en glissait un mot dans son rapport sur la rémunération médicale publiée en 2015. La création du comité « était essentielle afin de déterminer l’ampleur réelle des écarts et de s’assurer que les pourcentages d’augmentation accordés aux médecins québécois sur cette base demeuraient justifiés dans le temps », soulignait-il.

La semaine dernière, le ministre de la Santé et des Services sociaux, Gaétan Barrette, reconnaissait que les prévisions de croissance de la rémunération médicale dans le reste du pays faites au milieu des années 2000 se sont avérées inexactes : la rémunération ailleurs au pays a augmenté de façon moindre que prévu.

Mais comme aucune mise à jour des données n’a été faite au fil du temps, les spécialistes québécois gagnent plus que leurs collègues ontariens aujourd’hui. Ils dépassent la moyenne canadienne depuis 2014-2015.

« Personne n’avait pu prédire – parce que c’est de cela qu’on parle, une prédiction et non une prévision – que le Canada allait sévèrement ralentir son comportement constaté à l’époque. Et c’est ce qui a fait que les médecins québécois se sont retrouvés dans la position actuelle. […] Comme l’entente qui a été conclue contractuellement ne prévoyait pas de réouverture de ces contrats-là, bien on est là où on est aujourd’hui », a laissé tomber Gaétan Barrette jeudi dernier. Il n’a pas rappelé la clause prévoyant la création d’un comité de suivi qui, si elle avait été appliquée, aurait permis de corriger la situation, selon le Vérificateur général.

CHRONOLOGIE D’UNE SAGA

2003

Peu de temps avant les élections, le ministre de la Santé du gouvernement Landry, François Legault, reconnaît la nécessité d’un rattrapage salarial. La FMSQ parlait d’un écart allant jusqu’à 40 %. « Le gouvernement s’engage à corriger les écarts reconnus par les parties avant de s’assurer et de maintenir un niveau de rémunération concurrentiel visant à permettre la rétention et le recrutement de médecins spécialistes nécessaires au bon fonctionnement du système de santé », dit l’entente.

2007

Un accord intervient entre le ministre de la Santé d’alors, Philippe Couillard, et le président de la FMSQ, Gaétan Barrette. Le gouvernement est alors minoritaire à l’Assemblée nationale et des élections se profilent pour 2008. Québec annonce une augmentation de 25 % d’ici 2015-2016 au titre du rattrapage. Il omet alors de préciser qu’il y a aussi des augmentations supplémentaires de 8 % et une hausse de l’enveloppe de 2 % par an (l’évolution de pratique) servant à financer l’arrivée de nouveaux médecins. Le gouvernement estime alors que la rémunération des médecins passera de 2 milliards en 2007 à 3,63 milliards en 2016. Dans les faits, ce fut 4,6 milliards cette année-là. C’est une erreur considérable de 1,24 milliard.

2011

Nouvelle entente, cette fois entre le ministre de la Santé Yves Bolduc et Gaétan Barrette. Elle « s’applique en sus des dispositions déjà prévues à l’entente [de] 2007 » sur le rattrapage, précise le document. De nouvelles augmentations sont ainsi accordées pour la période 2010-2015 : 10,5 % (ce qui comprend les hausses accordées au secteur public durant cette période) alors que, publiquement, le gouvernement ne parle que de 6 %. On ajoute à l’enveloppe de rémunération des médecins une somme de 251 millions pour financer diverses mesures. Les parties s’engagent à créer un comité de suivi sur le rattrapage. Ce comité ne sera jamais créé. Des élections auront lieu un an plus tard.

2012

Nouvellement élu, le gouvernement Marois suspend le versement de certaines sommes prévues aux ententes. Le gouvernement Couillard le fera aussi par la suite. C’est à ce moment qu’une « dette » est contractée envers les médecins spécialistes.

2014

Le nouveau ministre de la Santé, Gaétan Barrette, convient avec la FMSQ d’un accord sur l’étalement des hausses déjà promises aux spécialistes. Les augmentations sont échelonnées jusqu’en 2021. Québec s’engage en plus à accorder aux médecins les hausses salariales consenties au secteur public (5,25 %).

2018

L’entente entre le gouvernement Couillard et la FMSQ revoit le versement des augmentations promises. Elle prévoit des hausses de 11,2 % (ou 511 millions par an) pour la période 2015-2023 et le remboursement de la « dette » qui totalise maintenant 1,5 milliard et qui sera effacée en 10 ans. Québec retire la clause de parité salariale avec le secteur public (5,25 %) qu’il avait lui-même accordée. L’enveloppe de rémunération des médecins spécialistes passera à 5,4 milliards en 2022-2023, prévoit-on.

SANTÉ

« Déchirer » l’entente ?

Québec pouvait-il « déchirer » la fameuse entente qui le lie aux médecins spécialistes ? Alors que le débat sur la rémunération de ces professionnels de la santé fait rage dans la sphère politique, La Presse a sondé des juristes afin de savoir si le gouvernement pouvait renier sa signature. Réponse : oui et non.

Coûteux pour le gouvernement

Les parties qui signent un contrat sont liées par ce contrat. C’est l’idée qui sert de base à nos sociétés, ont expliqué en chœur les avocats consultés par La Presse. « C’est le droit commun qui s’applique, à n’importe quelle partie, publique ou privée », a indiqué Patrice Garant, professeur émérite à l’Université Laval et auteur du livre de référence en matière de droit administratif. Un gouvernement qui voudrait annuler un contrat passé s’exposerait donc à être condamné à des dommages, a souligné Pierre Gabriel Jobin, professeur émérite à McGill.

Impossible de plaider l’enrichissement injustifié

Il n’est donc pas possible pour le gouvernement de simplement plaider que les médecins se sont enrichis injustement, comme peut le faire un conjoint à la fin d’une union de fait dans laquelle il estime avoir perdu de l’argent. « L’enrichissement injustifié ne peut pas être utilisé, en droit, dans le cadre d’un contrat. S’il y a un contrat qui s’avère préjudiciable à l’une des deux parties, cette partie victime ne peut pas réclamer de l’autre en vertu du principe d’enrichissement injustifié », a indiqué Me Jobin. Les parties doivent vivre avec l’entente qu’elles ont acceptée.

Des exceptions

De rares exceptions permettent à une personne de ne pas exécuter ses obligations contractuelles. L’erreur grave et la force majeure sont du nombre, a expliqué Me Garant. La force majeure est à oublier : l’événement doit être complètement imprévisible pour entrer dans cette catégorie, et même une crise économique n’y correspond pas. Le spécialiste Patrice Garant avance toutefois que les prévisions de croissance erronées des salaires des médecins ontariens utilisées pour négocier l’entente pourraient peut-être servir de base à un argumentaire. Mais « ce serait très difficile », a-t-il ajouté.

Possible pour l’Assemblée nationale

S’il est très difficile pour un gouvernement d’annuler un contrat dont il est signataire, il n’en est pas de même pour le Parlement. « Avec une loi spéciale, l’Assemblée nationale, grâce à la souveraineté parlementaire, peut faire n’importe quoi qui n’est pas inconstitutionnel », a exposé Nicholas Jobidon, professeur à l’Université d’Ottawa. « Il y a une grosse différence entre les actions de l’exécutif et les actions du législatif. » Parmi les limites que la Constitution pose au pouvoir des parlementaires : la Charte canadienne.Mais comme celle-ci ne protège pas le droit de propriété, les médecins spécialistes devront se lever de bonne heure pour démontrer que la loi spéciale viole leurs autres droits fondamentaux, a plaidé Me Garant.

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