Chronique

Des accents
de Hitchcock

On pense à Hitchcock. Inévitablement. À North by Northwest. À Psycho. Il y a même une scène de douche. C’est tout dire…

Et pourtant, Xavier Dolan jure qu’il ne s’est pas inspiré du maître du suspense pour son nouveau film, Tom à la ferme, adaptation de la pièce de Michel Marc Bouchard sous forme de thriller psychologique.

Selon le cinéaste, les références à Hitchcock, dès lors qu’il est question d’un thriller, tiennent du lieu commun. Il n’a jamais vu La mort aux trousses, connaissait à peine l’œuvre du gros Alfred avant de tourner son film. Les rapprochements n’auraient donc, selon lui, pas lieu d’être.

On a envie de lui rétorquer que certaines images, diffusées ou pastichées à répétition, s’imprègnent dans notre esprit malgré nous. Et que des séquences célèbres du cinéma sont si ancrées dans la culture populaire qu’elles ont pu nourrir indirectement, voire inconsciemment, une œuvre et un artiste.

Xavier Dolan n’aime pas qu’on le compare à d’autres cinéastes. À Almodóvar, qu’il jure ne pas avoir beaucoup fréquenté, mais à qui il a souvent été associé. À Wong Kar-wai, dont Les silences du désir semblent avoir marqué pour plusieurs l’esthétique des Amours imaginaires.

On le comprend. Dolan a un regard singulier et une signature unique salués ici comme à l’étranger. Un style qui a été forgé, qu’il le veuille ou non, même s’il se prétend moins érudit qu’il ne l’est réellement, par les codes universels du cinéma, ses grandes œuvres et ses auteurs les plus marquants.

Tom à la ferme a remporté le prestigieux Prix de la critique internationale lors de la dernière Mostra de Venise, où il a été présenté en compétition l’automne dernier. On ne s’en étonne pas le moindrement, tellement ce film surprenant est habité de références cinéphiliques.

Grâce à un jeu de contrastes entre plans larges et plans rapprochés, entre silences lourds et musique anxiogène (signée Gabriel Yared, mais rappelant à bien des égards celle du mythique Bernard Herrmann, complice de Hitchcock), Dolan réussit à créer une ambiance d’angoisse, d’avilissement et d’oppression. Un climat de psychose, pour rester dans le vocabulaire hitchcockien.

Le jeune cinéaste montre une autre facette de son impressionnant registre, s’appropriant les conventions du cinéma de genre. Tom à la ferme n’est pas marqué par les envolées lyriques, les extravagances visuelles et les fulgurances romantiques de Laurence Anyways. C’est une œuvre beaucoup plus sobre, sans esbroufe, qui gagne en fluidité et en subtilité.

Un film cohérent, d’une tension implacable, habilement construit, avec sensibilité et intelligence.

Si Xavier Dolan le réalisateur semble en pleine maîtrise de ses moyens, l’acteur, lui, n’a jamais paru plus assuré à l’écran. Le comédien, parfois hésitant dans ses précédents films, joue avec un aplomb qu’on ne lui connaissait pas (comme du reste dans le récent Miraculum de Podz). Son père (Manuel Tadros) et lui s’offrent d’ailleurs une scène pivot mémorable, dans le bar du coin, le bien nommé Les Vraies Affaires, où la révélation d’un secret fait chavirer le récit.

Tom à la ferme n’est pas une simple transposition, mais une véritable adaptation cinématographique de la pièce de Michel Marc Bouchard, qui signe le scénario avec Dolan. L’histoire d’un jeune Montréalais qui se rend aux funérailles de son amant, dans une campagne reculée, pour y comprendre que la mère de ce dernier (Lise Roy, magnétique) ignore tout de leur liaison et de l’homosexualité de son fils.

Tom, un publicitaire aux cheveux peroxydés, rencontre Francis (Pierre-Yves Cardinal), le frère de son défunt amoureux, gardien du secret de leur relation et lui-même porteur de sombres souvenirs enfouis. Entre les deux se joue un duel troublant, haletant, d’une tension chargée à la fois de désir et de violence.

Pierre-Yves Cardinal impose, avec son physique et sa dégaine de jeune mâle alpha, un climat de terreur et d’intimidation. On a peine à croire qu’il a remplacé Éric Bruneau – parti tourner avec Denys Arcand – au pied levé, trois semaines avant le début du tournage, tellement ce rôle de fermier viril et troublé semble taillé sur mesure pour lui.

Les accès de colère de Francis, son intolérance, son désarroi, son paternalisme se mélangent dans un cocktail explosif, qui effraie autant qu’il attire Tom, dans un contexte de deuil si difficile à absorber qu’il s’accompagne d’un syndrome de Stockholm.

Le lieu, cette ferme, comme le village de Bodega Bay dans The Birds, devient une prison que Tom voudrait fuir, mais qu’il n’arrive pas à quitter. Même si plusieurs occasions s’offrent à lui. Il semble y être appelé, happé, presque malgré lui. On y a besoin de lui, finit-il par se convaincre, pour traire les vaches et donner naissance aux veaux, loin des faux-semblants du monde publicitaire.

Un lieu comme une échappatoire et une cellule tout à la fois. D’où même une amie appelée en désespoir de cause (Evelyne Brochu) ne peut l’extirper. Et que Dolan, libéré du carcan de la pièce de théâtre et de son huis clos, filme dans l’obscurité des éclairages naturels, dans le doré des épis qui lacèrent le visage, dans la lumière ocre d’une étable où deux êtres aux antipodes l’un de l’autre dansent un improbable tango, sans atteindre la crédibilité du récit. Ce n’est pas un mince exploit.

Xavier Dolan ne cessera de nous étonner. Il vient d’avoir 25 ans. Il aura bientôt réalisé cinq films en six ans. Surdoué boulimique et surmené, qui répète sur toutes les tribunes qu’il a besoin de se reposer, de faire table rase, de vivre et d’aimer.

Ce qui ne l’empêchera pas d’espérer une sélection en compétition au Festival de Cannes pour Mommy, son prochain long métrage, presque terminé, avec Anne Dorval de nouveau dans un rôle maternel. Une boucle bouclée sur la Croisette, où il a été découvert à 20 ans à peine avec J’ai tué ma mère ? On croise les doigts. Pour nous et pour lui.

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