Opinion

Les intégristes
de la croissance économique

Il y a quelques jours, je me suis livré à un exercice spécial. Je suis allé dans les rues de Montréal pour demander aux gens ce qu’ils aimaient du Québec. J’ai entendu bien des mots doux pendant mon escapade, mais la rencontre qui m’a le plus fait plaisir était celle d’une femme latino-américaine, mère de deux enfants.

Cette maman m’a dit que ce qu’elle aimait de cette nation, c’était la possibilité de rouler en vélo dans les rues la nuit ou de se promener avec ses enfants sans jamais avoir peur. Elle m’a parlé longuement de ce grand privilège que le temps qui passe nous amène souvent à banaliser.

Dans un article de L’actualité du 6 septembre 2013, signé par Pierre Fortin, on apprenait que l’échelle dite de Cantril, utilisée par la société Gallup et les Nations unies, plaçait le Québec comme la deuxième nation la plus heureuse sur Terre, juste après le Danemark, et je suis certain que le sentiment de sécurité a une influence sur cette envie collective de célébrer la vie. Un indice d’épanouissement humain dont on ne parle jamais quand vient le temps de critiquer la performance économique de la province.

Ce Québec pacifique, réfractaire à la violence et aux armes, comme en témoigne son acharnement sur le registre des armes à feu, est un acquis qu’on doit à une tradition de décideurs politiques qui savaient que lorsque l’économie ne marche pas main dans la main avec le social et le communautaire, l’instabilité sous toutes ces formes n’est pas loin derrière.

Pour s’en convaincre, il suffit de se rappeler combien la violence et la peur de l’autre sont endémiques chez nos voisins du Sud, qui vivent pourtant dans la plus grande économie de la planète. Une paranoïa collective qui explique qu’aujourd’hui, aux États-Unis, il y a presque autant d’armes que d’individus et que les plus privilégiés doivent parfois s’enfermer dans des forteresses appelées des gated communities pour oser fermer l’œil. Entre havres de paix et prisons dorées, mon grand-père dirait certainement que la maison la plus sécuritaire est celle qu’on peut laisser ouverte.

Je suis de ceux qui se méfient de ce plaidoyer interminable pour l’économie, qui en occulte les côtés sombres. Cette obsession pour la croissance qui amènera bientôt les Chinois à réaliser que l’argent ne sert absolument à rien quand l’eau et l’air sont irréversiblement souillés. C’est à cause des intégristes de l’économie qu’une partie de l’Alberta, qui semble être le modèle à copier, se transforme petit à petit en paysage apocalyptique, avec des conséquences écologiques incommensurables pour les générations futures.

C’est à cause de cette course à la possession qu’aujourd’hui, seulement 1 % des gens les plus fortunés détiennent 50 % de toutes les richesses de la Terre, sans pour autant être rassasiés. Des gens qui ont oublié, comme le veut cette sagesse, qu’on ne devrait jamais voir la terre comme un héritage de nos parents, mais plutôt comme un emprunt à nos petits-enfants.

Oui, je crois que la création d’emplois est une chose très importante ! Mais au-delà de l’économie, le Québec que je préfère s’évalue aussi par son indice de solidarité économique et sa croissance inclusive, qui sont à la base de ce grand privilège que nous avons de dormir en toute sécurité avec notre famille, sans craindre une violation de domicile.

Et n’en déplaise à tous les fanatiques de la productivité, ce Québec-là se construit en ralentissant parfois pour ménager ceux qui ont vieilli ou ont hérité de lourds bagages de vie les empêchant de suivre la cadence. Ce Québec-là, c’est celui qui sait qu’un trio économique constitué de banquiers devrait toujours être noyauté par des travailleurs sociaux et communautaires pour ne pas s’écarter de cet essentiel dont m’a parlé cette mère de famille latino.

À compter d’aujourd’hui, Boucar Diouf anime La nature selon Boucar sur les ondes d’Ici Radio-Canada Première. Enregistrée
les jeudis soir au parc La Fontaine, l’émission sera diffusée le samedi de 11 h à 12 h.

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