CHRONIQUE

Laïcité : une idée importée

Les thuriféraires de la laïcité qui veulent transposer ici le modèle français ignorent l’histoire, la leur comme celle de la France.

La laïcité, en France, a résulté d’un siècle de batailles féroces entre les partisans de l’ancien régime, puissamment soutenus par l’Église et l’armée, et les démocrates qui tenaient aux acquis de la Révolution de 1789. Toute l’histoire du XIXe siècle a été marquée par des affrontements souvent sanglants entre « calotins » et républicains.

L’histoire du Québec est tout autre. Une longue soumission à l’Église suivie d’une « révolution » bien tranquille. Il aura suffi d’une chiquenaude (la rébellion pacifique des nouvelles élites) pour que l’édifice déjà vermoulu s’effondre, sans même que le clergé réagisse.

Il n’y a jamais eu une tradition laïque enracinée et continue au Québec. Même à l’époque de la Révolution tranquille, le Mouvement laïc ne rassemblait qu’une poignée de personnes et il est vite tombé dans l’oubli. Détail significatif : c’est le même homme, Daniel Baril, qui est le porte-parole de ce mouvement depuis… 40 ans ! On ne peut pas dire que le groupe se soit renouvelé !

La découverte du concept de laïcité, au Québec, a coïncidé très exactement avec la « crise » (crise manufacturée par quelques démagogues à grande gueule) des accommodements raisonnables. N’en cherchons pas la raison. Il s’agit de la réaction viscérale d’un peuple jusqu’ici homogène à l’immigration de minorités visibles.

La laïcité a le dos large, assez large pour servir de paravent à la xénophobie. Le même phénomène se produit en France, où la leader d’extrême droite Marine Le Pen n’a que ce mot à la bouche pour justifier son programme anti-immigration. L’islamophobie, qui est, faut-il dire, plus répandue en France qu’au Québec, s’abrite aujourd’hui derrière de nobles principes comme l’égalité homme-femme… et tant pis si les premières victimes de cette absurde chasse au foulard sont des femmes vulnérables, et tant pis si cet engouement suspect pour la laïcité pure et dure réduit au rang de valeur secondaire la liberté de religion (une liberté fondamentale analogue à la liberté de pensée et d’expression).

La laïcité n’est plus une valeur de gauche en France, pas plus d’ailleurs qu’au Québec, la preuve en étant que Québec solidaire s’est dissocié du projet de charte du PQ. C’est le signe que ce débat-là, loin d’être un affrontement entre souverainistes et non-souverainistes, met en jeu deux visions de la société, l’une axée sur l’ouverture et la tolérance, l’autre sur la peur et le repli.

Le Québec devrait s’inspirer de la France dans d’innombrables domaines, mais pas dans celui-là. Ce serait la singer dans ce qu’elle a de plus contestable, notamment son indifférence à l’endroit des grandes libertés individuelles qui prévalent en Amérique du Nord.

L’État français s’est donné plusieurs législations qui vont contre la liberté d’exprimer des opinions politiquement incorrectes. La France, grande partisane de la « diversité culturelle » (pour protéger son cinéma), refuse de reconnaître les langues régionales (basque, breton, occitan, etc.) qui vivotent encore sur son territoire malgré des siècles d’oppression. Sur les dizaines de milliers d’élus à divers niveaux, les musulmans se comptent sur les doigts d’une main. Après avoir interdit la kippa et le simple foulard aux écoliers, l’État interdit maintenant l’espace public aux (rarissimes) femmes portant le niqab, ce qui force la police à contrôler leur identité – une répression inutile et vexatoire qui a donné lieu à des confrontations explosives.

La culture authentique du Québec n’est pas celle de la France. C’est celle d’une société nord-américaine de tradition libérale. D’où le fait que la laïcité à la québécoise ne peut être que modérée, ouverte et inclusive, sur le modèle du rapport Bouchard-Taylor.

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