Éditorial 

Vacances collectives, pour le meilleur et pour le pire

Et c’est parti pour les 47es vacances de la construction ! Près du quart des Québécois sont en vacances pour les deux prochaines semaines. Cette tradition, unique au monde, a-t-elle toujours lieu d’être ? Il est temps de se poser la question.  

Depuis hier, près de deux millions de Québécois sont en vacances. C’est le quart de la population du Québec et un peu plus que la population de la ville de Montréal. Ça fait beaucoup de monde sur les routes. Et une tonne de monde à la frontière américaine et à l’aéroport Pierre-Elliott-Trudeau.

Ces « vacances de la construction », mise sur pied par le gouvernement du Québec par décret en 1971, sont un phénomène unique au monde. À l’époque, ce congé obligatoire coïncidait avec la fermeture des usines pour entretien au milieu de l’été et devait permettre aux travailleurs qui sautaient d’un chantier à l’autre d’avoir deux semaines de congé continues pendant la belle saison plutôt que de négocier deux jours à gauche et à droite avec tel ou tel entrepreneur.

Près d’un demi-siècle plus tard, pendant deux semaines, plus de 75 % des 157  000 travailleurs du milieu de la construction sont tenus de prendre leurs vacances estivales à partir de l’avant-dernier dimanche de juillet. La plupart des chantiers résidentiels, commerciaux, institutionnels et industriels se vident de leurs travailleurs. La majorité des entreprises qui les approvisionnent ferment aussi leurs portes. Les conjoints-conjointes se voient aussi entraînés dans le flot. C’est l’effet domino.

Désagréments collectifs

Ces vacances massives viennent avec leur lot d’éléments irritants. Chaque année, les routes sont quatre fois plus meurtrières pendant les vacances de la construction que pendant le reste de l’année. Les prix des hôtels, des billets d’avion et même de l’essence montent en flèche.

Et il y a la perception du public. Un appel à tous nous a permis de voir cette semaine qu’une grande partie de nos lecteurs trouvent bien étrange ce congé obligatoire en plein milieu de la saison la plus propice aux chantiers (voir écran suivant). Après tout, disent plusieurs, un pays d’hiver se doit d’utiliser chaque minute de beau temps pour faire avancer les travaux. Les fermiers, nous ont écrit plusieurs, ne prennent pas leurs vacances au milieu de l’été.

Cônes orange, toujours  !

La critique est légitime, mais fait fi de deux éléments importants. D’abord, ce n’est pas 100 % des travailleurs de la construction qui sont en congé obligatoire, mais bien 75 % cette année. Les 37  000 personnes qui travaillent sur les grands projets de génie civil, sur la voirie ou sur des travaux d’urgence sont exclues.

Au cours des deux prochaines semaines, les équipes affectées à la construction du pont Champlain, à la réfection du pont Mercier et au réaménagement de l’échangeur Turcot — pour ne nommer que ces trois grands chantiers montréalais — seront au travail. 

Pas de congé de cônes orange  ! Ces travailleurs prennent des vacances à tour de rôle entre le 1er mai et le 1er octobre.

S’il juge un projet prioritaire, le gouvernement peut aussi suspendre par décret le congé obligatoire. Il l’a fait pour le Stade olympique en 1975. En échange, il a dû payer les employés en heures supplémentaires. Il existe donc une certaine flexibilité dans cette approche.

Deuxièmement, la «  saison  » des chantiers n’est plus ce qu’elle était. Les progrès dans les techniques de construction permettent aux ouvriers de travailler à l’année. Ils ont d’ailleurs droit à un deuxième congé fixe dans le temps des Fêtes.

Pilote automatique

Pour le moment, peu de patrons et de travailleurs de l’industrie demandent sur la place publique à ce que la pratique bien unique des vacances de la construction soit revue. Elle est entrée dans les mœurs et est reportée d’une convention collective à l’autre. Sur le pilote automatique.

Et qui dit pilote automatique dit aussi angles morts. Un demi-siècle plus tard, alors que l’économie du Québec est plus moderne et diversifiée que jamais et que l’industrie de la construction est en plein boom, le temps est peut-être venu de réévaluer cette tradition. D’étudier ses impacts sur l’économie du Québec, mais aussi sur les ouvriers affectés.

Devant faire face à un achalandage plus grand et à des prix plus élevés pendant leurs vacances, ces derniers trouvent-ils tous leur compte dans ces vacances de masse  ? Dans la province où les femmes sont les plus présentes sur le marché du travail, comment vivent-elles ces dates imposées par une industrie à prédominance masculine  ? Les familles ont-elles besoin de plus de flexibilité dans leurs choix de vacances  ?

On peut aussi se demander quel est l’impact sur d’autres industries qui fonctionnent au ralenti pendant deux semaines ou dans le cas de l’industrie du tourisme, qui voit ses activités concentrées sur deux semaines plutôt que six, huit ou dix ?

Force est de constater qu’il existe bien peu d’études analysant le phénomène et qu’il est temps de s’y attarder. Après, si l’on décide de s’en tenir à la tradition, on le fera en toute connaissance de cause et on s’assurera que ce qui est vu comme un avantage social n’est pas en fait un désavantage.

Où vivent les travailleurs de la construction ?

Les chiffres de la Commission de la construction du Québec en disent long sur le lieu de résidence des travailleurs de la construction au Québec. La Commission a remis seulement 13 800 « chèques de vacances » (indemnités de congé) dans l’île de Montréal, alors que 39 200 chèques ont été remis pour la région de Laval/Laurentides/Lanaudière et 31 800 en Montérégie.

Les vacances de la construction en chiffres

22 juillet au 4 août : dates officielles des vacances

420 millions $ : montant des chèques distribués pour les vacances, soit 5 % de plus que l’été dernier

120 000 : nombre de travailleurs de la construction qui sont tenus de prendre leurs vacances au cours des deux prochaines semaines

37 000 : nombre des travailleurs de la construction dans les secteurs du génie civil, de la voirie et des travaux d’urgence, exclus des vacances obligatoires

40 milliards $ : investissements annuels dans le secteur de la construction

+9,5 % : accroissement des heures travaillées sur les chantiers entre le premier trimestre 2017 et le premier trimestre 2018

Source : Commission de la construction du Québec

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