Les lignes horizontales

Le goût de Paris

Chanson française

Sophie Létourneau

Le Quartanier

192 pages

Il s’agit ici de ma 15e chronique sur votre tablette et la toute première où je traite d’une auteure. Une femme auteure. Je lis davantage des auteurs masculins. Aucune raison précise. Que des raisons floues.

Chanson française se partage entre le Plateau Mont-Royal et Paris. C’est une histoire d’amour écrite par une femme et on y retrouve en effet une couleur féminine. Sur la quatrième de couverture, on écrit : « Chanson française n’est pas un roman, mais une chanson d’amour comme on l’entend chez Barbara et Françoise Hardy. »

Vous comprendrez que les chars qui explosent se font rares.

Mais c’est ici que je découvre que je n’ai aucun problème à lire une histoire d’amour qui sonne comme Barbara et Françoise Hardy. C’est tellement bien écrit. L’usage de la deuxième personne du singulier tout au long du récit donne un ton particulier et beaucoup de rythme, il est très difficile de s’arrêter et on lit d’un trait. (OK, je l’ai fait en deux traits, mais je suis un masculin et je suis convaincu que les féminines lisent plus vite que nous.)

Béatrice, jeune enseignante montréalaise, tombe amoureuse d’un Français qui habite le Plateau Mont-Royal (paraîtrait-il qu’il y en loge deux ou trois…). Christophe a des plans très précis pour le couple, mais Béatrice caresse le projet d’un échange d’un an à Paris. Le tout se complique dans une histoire que vous aurez grand plaisir à lire, même si vous êtes très garçon. J’ai moi-même dévoré 100 pages du livre et tout près de 100 ribs, en regardant le hockey dans la même journée. Je me sentais bien seulement après une des deux activités.

Béatrice emménage donc à Paris. Si vous y allez prochainement, le livre donne le goût. Il est question de terrasses et du Marais au printemps. Fait changement du voyage de slush d’avril que j’ai dans le running en ce moment.

J’aime le passage où Béatrice, à Paris depuis quelque temps, prend l’apéro avec sa sœur en visite, commande deux verres de sancerre, mais le serveur leur apporte deux chardonnays. Béatrice se lève d’un trait (je l’aurais fait en deux…), hausse le ton, force le garçon à goûter son erreur pendant que les clients se taisent en prévision d’une scène de crise, et qu’un autre serveur apporte rapidement les deux sancerres, en s’excusant.

On comprend alors qu’elle n’est plus une touriste. Je crois qu’on n’a pas tout à fait atterri à Paris tant qu’on n’a pas vécu un petit moment corsé avec un serveur. Ça brise la glace, c’est le vrai début du séjour. Comme le gardien de but qui doit recevoir un premier tir pour être vraiment dans le match.

En terminant le livre, j’ai constaté le nombre trop peu élevé de femmes que j’ai lues dans ma vie. J’ai aussi observé que les filles et femmes que j’ai connues ont sensiblement le même rapport entre elles et leurs lectures : 

Les femmes maltraitent, négligent et déforment leurs livres jusqu’à la destruction. 

J’ai déjà vu un Rafaële Germain dans un état de décrépitude si avancé que je l’ai fini moi-même pour mettre fin à ses souffrances.

Les femmes plient les coins de pages. 

Parfois, au lieu d’utiliser un signet, elles plient les pages pour se retrouver. N’importe quoi. Il arrive quoi quand il y a 47 coins de pliés ? OK, vous prenez le dernier plié… mais le livre est devenu un chou-fleur.

Les femmes possèdent des sacoches. 

Celles-ci y sont pour une grande part des dommages. Les sacs d’hommes sont carrés. Sacs de cuir rigides, porte-documents, valises, tout est plus angulaire. Et le livre y côtoie des objets avec lesquels il a déjà socialisé : cahier de notes, crayons, papeterie. Les sacoches molles s’arrondissent et deviennent des coveaux sans fond où le livre est malmené par des trousses de maquillage, gants mouillés, foulards énormes, panier de fruits bio et Patrick Bourgeois.

Les femmes lisent à la plage. 

Catastrophique. L’espèce de sac de plage, pire que la sacoche en fait de tonus vertébral, n’offre aucune protection. En résulte papier ondulé par l’eau, sable entre les pages, taches de graisse de crème solaire et les deux autres gars qui étaient dans les B.B.

Les femmes boivent des cocktails à la plage et oublient de s’organiser les alentours. 

Je ne dispose de rien de rigide pour déposer mon verre… Ah, tiens, Katherine Pancol, je te présente ma margarita, bonne dégustation.

Les femmes laissent des objets entrer dans le livre. 

J’ai vu des couvertures de livre servir de station pour pince à cheveux. D’ailleurs, mesdames, les pinces à cheveux, retrouvez-les donc, juste une fois. Arrêtez de nous demander où elles sont. Il n’y a rien qu’on sache moins qu’où est votre pince à cheveux.

Merci.

Donc. Je vais prêter Chanson française à une amie française qui n’est jamais venue au Québec. Elle va aimer. Je serai en spectacle dans le Marais pendant deux semaines fin avril, début mai. J’y réside, aussi. Et je vais trop fort probablement écouter Barbara ou Françoise Hardy en chantant comme une vieille folle, sancerre à la main, la fenêtre ouverte sur le printemps…

Il me faut juste des ribs dans l’autre main, question d’équilibre…

Bloc-notes

Le dernier roman de Michel David

L’ultime roman de Michel David vient d’arriver en librairie. Dernier volet de la série Mensonges sur le Plateau Mont-Royal, ce livre vient clore l’œuvre de ce prolifique auteur mort en 2010, dont les sagas historiques ont toutes remporté un immense succès. Michel David aura connu une véritable histoire d’amour avec le public. D’ailleurs, c’est eux que sa femme Louise David remercie dans la postface : « Michel est disparu, mais grâce à vous, lecteurs, ses livres resteront à jamais dans notre mémoire. »

— Josée Lapointe, La Presse

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