Le début d’une nouvelle ère

Le défi du nouveau groupe d’entraîneurs du Rocket de Laval est double : développer la prochaine génération de joueurs du Canadien et changer l’atmosphère dans l’entourage de l’équipe. Rencontre avec Daniel Jacob, Joël Bouchard et Alex Burrows.

« Il fallait amener ça ailleurs »

Le Rocket a de nouveaux entraîneurs… et des vestiaires rafraîchis

Joël Bouchard et ses adjoints Alex Burrows et Daniel Jacob vivront leur première très grosse semaine dans l’organisation du Canadien. À partir de demain déjà, les plus beaux espoirs de l’organisation sauteront sur la glace soit pour des séances d’entraînement, soit pour affronter leurs homologues des Maple Leafs de Toronto et des Sénateurs d’Ottawa.

Le défi du nouveau groupe d’entraîneurs est double. D’une part, il faut développer la prochaine génération du Canadien, le plus vite possible, pour aider le grand club. Il n’y a aucune place à l’erreur, surtout que la banque d’espoirs a, pour l’instant du moins, bonne réputation.

D’autre part, Bouchard et son groupe ont le lourd mandat de renverser la tendance à l’intérieur même du Rocket. Le club-école doit-on le rappeler, a trouvé le moyen de finir bon dernier de la Ligue américaine la saison dernière. Le nouvel entraîneur-chef a tout de suite voulu établir la nouvelle philosophie, notamment en changeant le look des vestiaires.

Exit les tapis gris de bureau, les bancs bleu clair. Désormais, tout le vestiaire est aux couleurs du Canadien, tapis rouge et sièges bleu CH, pour rappeler l’objectif premier : faire gagner l’organisation. Avec en prime l’ajout d’un logo géant du Rocket au centre, pour faire comme l  grand frère.

« J’ai dit à Marc : je veux faire ci, je veux faire ça. Marc a été extraordinaire, il comprenait. Je voulais un environnement qui me représente et qui représente le Canadien de Montréal. On en a fait une partie, il en reste encore à faire. Je suis content de ce qu’on a amené à date dans le vestiaire. Il fallait amener ça ailleurs. »

« Je voulais être confortable dans l’environnement. »

— Joël Bouchard, entraîneur-chef du Rocket de Laval

Bouchard assure qu’il n’a pas changé le décor « juste pour montrer ses muscles » et faire comprendre à tous qu’il y avait un nouveau shérif en ville. Plutôt, ces changements en apparence cosmétiques lui permettent, et permettent aussi aux joueurs, de voir où il veut se rendre.

Mais Bouchard n’est pas reconnu pour les demi-mesures. Plusieurs fois au cours de l’entrevue, il rappelle sa hantise des zones grises. Il suffit de le voir mimer sa prise de décision pour le réaménagement des locaux, en claquant des doigts avec autorité, pour comprendre que le Rocket n’aura pas un entraîneur qui s’excusera de ses décisions.

« Il n’y a pas d’ego. Ce n’est pas ça. Mais ça, je ne le sens pas, ça, je le garde, ça, je le sens, ça, je le change. »

Partage des tâches

Au quotidien, Bouchard a également décidé quelles allaient être les tâches de ses adjoints en vue de la prochaine saison.

« Si quelque chose ne marche pas, je ne cherche pas à montrer du doigt. J’ai comme philosophie qu’on est ensemble là-dedans. On doit partager le défrichage des tâches et la gestion des dossiers. »

« Daniel [Jacob] va s’occuper des défenseurs et du désavantage numérique. Alex [Burrows] va s’occuper de l’avantage numérique et travailler avec moi avec les attaquants. »

— Joël Bouchard, entraîneur-chef du Rocket de Laval

Bouchard rappelle avec raison que Burrows a déjà joué en avantage numérique, notamment lors de ses saisons très offensives avec les Canucks de Vancouver. Même l’an dernier, dans un rôle réduit chez les Sénateurs, Burrows participait aux réunions d’avantage numérique simplement par intérêt pour le coaching.

De son côté, Jacob a touché à tout dans ses rôles d’adjoint avec l’Armada de Blainville-Boisbriand, où il a côtoyé Bouchard durant quatre saisons, et avec les programmes U17 ou U18 de Hockey Canada. Il était d’ailleurs responsable des défenseurs et du désavantage numérique avec Hockey Canada. Jacob est lui-même défenseur de formation, d’abord avec McGill, puis dans diverses équipes européennes en Autriche et en Serbie.

« Dan est là pour seconder Alex, je suis là pour seconder Dan, Dan est là pour me seconder, précise toutefois Bouchard. On est tous là pour travailler ensemble. C’est sûr que la philosophie globale, à la fin, je l’amène avec eux, mais on doit aller dans la même direction. »

D’ailleurs, pour observer la chimie du groupe d’entraîneurs à la veille de leur première saison ensemble à la barre du Rocket, La Presse a eu l’occasion de s’asseoir avec Bouchard, Burrows et Jacob pour discuter relations et philosophies. 

Table ronde avec Joël Bouchard, Alex Burrows et Daniel Jacob

Joël, pourquoi avoir choisi Alex Burrows ?

Joël Bouchard : Pourquoi pas ? Est-ce qu’il y a beaucoup de gars qui ont eu son cheminement, ne pas être repêché puis gravir les échelons de la ECHL à la Ligue américaine puis à la LNH ? Il a eu un rôle offensif, un rôle défensif, un rôle d’énergie. C’est un passionné, un travaillant. Les joueurs vont pouvoir s’associer à lui comme joueur et comme gars qui vient de prendre sa retraite. C’est ce que je recherchais.

On a pris notre temps parce que je voulais voir la situation d’Alex avec les Sénateurs d’Ottawa. Ça fait longtemps qu’on se connaît. On a toujours eu une bonne relation. Alex m’a toujours démontré beaucoup de passion pour le hockey junior et pour le développement des jeunes. Même son agent m’avait déjà dit qu’un jour ça lui tenterait de devenir entraîneur.

Tu voyais qu’il voulait faire du coaching. Il ne voulait pas être assis chez lui à ne rien faire. Il voulait rester dans le hockey après sa carrière. Sachant que c’était une possibilité qu’il se fasse racheter, c’était déjà dans sa tête. Quand c’est arrivé, on s’est assis, on a mis cartes sur table. Je lui ai expliqué ça sans mettre de gants blancs. Il devait y mettre les heures nécessaires. Il voulait vraiment le faire, et il voulait le faire avec le Rocket. Il a été courtisé par d’autres organisations, mais c’était son choix de rester ici et d’embarquer dans notre philosophie. Alex, c’est beaucoup de passion, mais pas juste de la passion. C’était aussi un bon joueur. Il a déjà marqué 35 buts. C’est un plombier de luxe, travaillant, qui complétait bien les duos et qui faisait sa job.

Il va y avoir une période d’adaptation normale. Mais les ordinateurs, les vidéos, tout ça, c’est facile à apprendre. Ce qu’Alex a vécu comme joueur, il n’y a pas d’université pour ça. Il n’y a pas de Harvard du hockey.

Pourquoi Daniel Jacob, deux fois plutôt qu’une [Joël l’a embauché avec l’Armada de Blainville-Boisbriand, puis maintenant avec le Rocket] ?

Joël Bouchard : Daniel a quitté un emploi universitaire stable et sécuritaire [à l’école de hockey Redmen]. Il voulait essayer autre chose. Il voulait avancer dans le hockey. Il a embarqué avec nous à l’Armada, ça a pris cinq minutes et on était confortables. Il a aussi embarqué dans le programme d’excellence de Hockey Canada.

L’adaptation est facile. Il sait comment je travaille et je ne suis pas toujours évident sur certaines choses pour certaines personnes. Il va le comprendre. Il va savoir ce que je veux. Des fois, je suis un peu dernière minute. Il est travaillant et dédié. Son expérience avec Hockey Canada a été enrichissante pour lui, mais il a aussi connu du succès. Il s’adapte, c’est un joueur d’équipe. Il est capable de faire un peu de tout. Il est polyvalent et il comprend son travail d’adjoint. Il sait qu’il doit protéger l’entraîneur-chef sur les balles qui peuvent tomber.

Quand j’ai parlé avec Marc Bergevin, je lui ai dit que je voulais vraiment emmener Daniel avec moi. Il a compris. Encore une fois, on va dire les vraies choses, une autre équipe de la ligue a appelé pour jaser avec Dan. Je ne l’ai pas laissé lui parler. Son travail avec Hockey Canada avait été reconnu ailleurs dans la LNH.

Alex, pourquoi avoir dit oui ?

Alex Burrows : J’y ai toujours pensé. Quand tu joues, on te dit toujours que c’est important de penser à ton après-carrière. Le hockey, c’est une passion, et j’ai toujours su que je voulais rester impliqué dans le hockey. Avec de jeunes enfants, tu dois aussi commencer à penser à eux, à revenir au Québec. Être à la maison, près de la famille et des amis, c’est intéressant.

Je connais Joël depuis longtemps. On parle le même langage. Il a été un de mes mentors quand j’ai commencé dans la LNH. Je le regardais s’entraîner, lui, Ian Laperrière et les autres. Je voulais rester dans le hockey après ma carrière, et quand l’opportunité s’est présentée, ça avait beaucoup de sens pour moi et pour ma famille. J’étais heureux de pouvoir tout de suite sauter au calibre de la Ligue américaine et de pouvoir apprendre de Joël et de Daniel.

Daniel, as-tu hésité longtemps ?

Daniel Jacob : Ça a dû me prendre 17 bonnes secondes. Pour trois raisons. Un, Joël, on travaillait déjà bien ensemble. J’aime sa façon de fonctionner, sa manière de voir le hockey. Il n’a pas peur non plus de challenger. Dans la vie, tu ne peux pas te contenter du statu quo, surtout au hockey. Deux, le Canadien de Montréal, c’est un rêve de ti-cul. Et trois, personnellement, on veut toujours avancer et c’était une belle occasion de le faire en terrain connu avec une belle organisation.

Comment est Joël comme patron ?

Daniel Jacob : On parle de passion. C’est un gars passionné qui fait les choses pour les bonnes raisons. Quand il dit que c’est blanc, c’est blanc. Quand il dit que c’est noir, c’est noir. C’est quelque chose que tu retrouves de moins en moins dans la vie. Il va être exigeant, mais si c’est bien fait, il va te le dire aussi. C’est quelque chose que j’apprécie. Il va nous challenger, et ce sera pareil pour les joueurs. Les zones grises, c’est trop compliqué. Il y a tellement de pertes de temps à cause de ça. Tout a du sens, et on y va à 100 %. On prend des décisions, puis on fonce et on vit avec les conséquences. Il est là 24 heures sur 24, pas seulement pour ses joueurs, mais pour son staff aussi.

Joël, tu as vécu beaucoup de choses dans ta carrière. Tu dis que tu comprends tout ce que les joueurs peuvent vivre. Raconte-moi une épreuve qui t’a changé ?

Joël Bouchard : Ma méningite, en 2000, a changé beaucoup de choses. Avant, comme plusieurs, je vivais dans le passé ou dans le futur. C’est dur, des fois, de vivre dans le moment présent. L’être humain vit beaucoup avec le regret : je n’ai pas eu ça, j’aurais voulu avoir ça, je me suis fait avoir ici, lui ne m’aimait pas. J’aurais, j’aurais, j’aurais… Je devrais, je devrais, je devrais… Mais être dans le présent, dire je dois, ce n’est pas toujours naturel pour l’être humain.

Ce moment-là m’a convaincu de m’occuper de mes affaires, dans le moment présent. On est chanceux de faire ce qu’on fait. On le dit parfois à la blague, mais je le crois : c’est « Game 7 Every Day ». On peut bien faire des plans 15 ans d’avance, tu peux bien me demander comment ça va aller à Noël. Noël, c’est comme si c’était dans 10 ans pour moi. On a un travail à faire, là, maintenant.

Alex, as-tu été soulagé que ton contrat soit racheté par les Sénateurs ?

Alex Burrows : Oui. Je ne ferai pas de cachettes. J’avais des discussions avec ma femme. On se disait que ce ne serait pas la fin du monde. Certains disent que c’est la catastrophe que ta carrière se termine ainsi. Je ne voyais pas ça comme ça. Il était temps de passer à autre chose.

Joël Bouchard : Quand il a eu la nouvelle [que son contrat était racheté], on s’est rencontrés le soir même. On n’a pas eu besoin de se parler longtemps.

Alex, comment vis-tu le fait d’être rendu de l’autre côté du mur ? C’est spécial, tu jouais avec Michael Chaput il y a deux ans, maintenant tu es son entraîneur.

Alex Burrows : Je me sens bien là-dedans. En même temps, ils vont savoir qu’ils doivent être prêts. On va les pousser, mais on va aussi les aider. On va les faire travailler et ils vont s’améliorer. Si on peut les faire monter à la LNH, tant mieux, et s’ils restent avec nous, on va essayer de vivre une belle expérience cette saison. La dernière saison à Ottawa, je suis resté sur la quatrième ligne toute l’année. J’ai eu une panoplie de jeunes qui sont passés sur mon trio. J’ai bien pris ce rôle-là, de les aider à se sentir confortables.

Ici avec le Rocket, Joël va les fouetter plus que moi. Si le message passe moins avec Joël, je vais essayer de les prendre d’un autre angle et essayer de faire passer le même message avec un ton différent. Tout en gardant la vision commune qu’on a les trois ensemble.

Daniel, tu as un parcours fascinant comme joueur. Un seul match dans la Ligue américaine, puis départ pour la Serbie. Qu’est-ce que tu retiens de cette expérience ?

Joël Bouchard : Il a fait l’émission Making the Cut [une téléréalité de hockey diffusée à CBC en 2004] ! Il a été repêché par les Panthers de la Floride.

Daniel Jacob : J’étais un très mauvais joueur de hockey. J’ai arrêté pour faire d’autres sports. Puis, à un moment donné, j’ai recommencé et ça a fonctionné. C’est là que l’émission m’a mis sur la carte. De mon expérience comme joueur, je retire une grande capacité d’adaptation. Il n’y a plus grand-chose qui va me mettre à terre ou faire en sorte que je sois à bout de ressources. C’est ce qui fait ma force. Je n’ai pas peur de me lancer dans des situations difficiles.

Joël, comment résumer ta philosophie comme coach ?

Joël Bouchard : C’est simple. Quand on a la rondelle, on est offensifs. Quand on n’a pas la rondelle, on est défensifs. Il y a une ligne mince entre les deux pour la transition. Travail acharné, investissement, passion. C’est noir ou c’est blanc. Aucun joueur ne va partir en se demandant ce que je pense. Ils savent ce que je pense. Des fois, les gens me regardent derrière le banc et disent : « Tu étais intense, tu n’étais pas content. » Au contraire, j’étais content. Intense, mais content. La zone grise, conter des menteries, je ne suis pas assez intelligent pour ça de toute façon.

Les entraîneurs du Rocket se prononcent

Les trois meilleurs joueurs de l’histoire de la LNH ?

Alex Burrows

Wayne Gretzky, Mario Lemieux, Sidney Crosby.

Joël Bouchard

Wayne Gretzky, Mario Lemieux, Sidney Crosby.

Daniel Jacob

Les mêmes trois. Passer à côté ne serait pas logique. Je nommerais bien Bobby Orr, je sais qu’il était incroyable, mais je ne l’ai jamais vu jouer.

Ton joueur actuel préféré dans la LNH ?

Alex Burrows

Anze Kopitar, des Kings de Los Angeles.

Joël Bouchard

Jamie Benn, des Stars de Dallas. Il est fort, il joue des deux côtés, il passe sous le radar. Je l’adore. Et il marque des points en plus.

Daniel Jacob

Brent Burns, des Sharks de San Jose. Je suis assommé que quelqu’un puisse jouer à l’attaque et à la défense et avoir du succès. En plus, il a un look d’enfer.

Le plus beau moment de ta carrière ?

Alex Burrows

En 2011, quand, avec les Canucks, on a battu les Sharks en cinq matchs pour accéder à la finale de la Coupe Stanley.

Joël Bouchard

Toutes mes expériences et mes médailles avec le Canada. [Il a gagné l’or deux fois aux Championnats du monde juniors, en 1993 et en 1994, et au Championnat du monde en 1997. Il a aussi gagné l’argent en 2017 et l’or en 2018 comme directeur général d’Équipe Canada junior.]

Daniel Jacob

Tous mes premiers matchs comme entraîneur. Ce sentiment-là du premier match. Avec Hockey Canada, ce premier match spécial, avec les petits papillons dans l’estomac.

Le plus beau moment de ta vie ?

Alex Burrows

La naissance de mes enfants.

Joël Bouchard

Quand mes parents sont venus me voir jouer mon premier match dans la LNH. Ce sont des gens de l’est de Montréal. Ils ont pris l’avion vers Calgary. Je pense que ma mère prenait l’avion pour la première fois. Mon père est venu dans le vestiaire. C’est un gars de L’Isle-aux-Coudres, dans Charlevoix. Il était bûcheron. Ça partait de loin pour lui. Il m’avait dit : « Tu as amené le nom de notre famille dans la LNH. » Je n’avais pas réalisé l’impact que ça pouvait avoir sur ma famille.

Daniel Jacob

La naissance de mon garçon. 

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