REER

Superhéros EN PÉRIL FINANCIER

Âgée de 45 ans, Cath Asstrof, alias la Chauve-souris, est piégée par ses épargnes insuffisantes. Parviendra-t-elle à prendre son envol ?

UN DOSSIER DE MARC TISON GRAPHISME PHILIPPE TARDIF

CATH ASSTROF, ALIAS LA CHAUVE-SOURIS

Dans le noir

ÉVASION

FICHE SIGNALÉTIQUE

Nom : Catherine Asstrof (surnommée Cath)

Âge : 45 ans

Identité secrète : la Chauve-souris

Caractère : disciplinée, grand courage physique, mais financièrement prudente

Travail : traductrice pigiste

Régime de retraite : aucun

Mère chef de famille monoparentale

Deux enfants de 13 et 15 ans

Propriétaire d’une maison de plain-pied en banlieue

Projets : mener ses enfants à l’université, prendre sa retraite à 60 ans

Le bat-cellulaire de la Chauve-souris résonne. Bat-drinnng ! ! ! Le chef de police est en ligne.

« Le Pingouin s’est échappé !

— Je file au Biodôme !

« Il veut sans doute remettre sur pied son trafic d’héroïne. Méfiez-vous.

— Il ne m’attrapera pas », réplique l’héroïne.

En effet, la femme de 45 ans s’est maintenue dans une forme splendide.

Sous son masque se cache Catherine Asstrof – ses amis l’appellent Cath. Voulant voler de ses propres ailes, elle est traductrice pigiste, avec un petit contrat pour l’Insectarium – un travail alimentaire, dit-elle.

Vingt ans plus tôt, une chimiothérapie lui avait fait perdre temporairement tous ses cheveux. L’épreuve l’avait incitée à reprendre à son compte l’idée du fameux justicier masqué : la nuit venue, la jeune femme sans cheveux deviendrait la Chauve-souris !

Si un homme pouvait le faire, elle le ferait aussi. « Pas de chauvinisme ! », s’était-elle écriée.

Depuis, le cancer s’est résorbé, les cheveux ont repoussé, mais la motivation est demeurée. Elle n’a toutefois jamais eu les moyens de son riche inspirateur. À défaut d’une bat-cave, elle a installé un bat-sous-sol, dans sa petite maison de banlieue.

Elle enfile ses bat-bottes, saisit son bat-bâton, monte à bord de sa bat-voiture et ferme la portière.

« Bat-tinsse, jure-t-elle. Je ne m’habituerai jamais à ce rideau dans le dos. »

Malheureusement, ses responsabilités de supermère chef de famille monoparentale, qu’elle devait concilier avec son boulot non rémunéré de superhéroïne, ne lui ont pas permis d’épargner autant qu’elle aurait voulu.

BUDGET

Revenus bruts : 85 000 $

Revenu net : 80 000 $ (5000 $ de dépenses de bureau à domicile)

Revenu après impôts : 59 000 $

Coût de la vie : 52 600 $

Cotisations REEE : 2000 $

Cotisations REER : 4000 $

REER : 32 000 $

CELI : 5000 $

REEE aînée : 2500 $

REEE cadet : 1200 $

Maison : valeur de 350 000 $

Solde hypothécaire : 210 000 $

LE CONTACT

La Chauve-souris est dans le noir le plus complet. Pour y voir plus clair, elle appelle le planificateur financier Raphaël Hainault.

« Je ne peux plus continuer à l’aveugle, confie-t-elle. J’ai peur de frapper un mur.

— Quand voulez-vous prendre votre retraite ?

— Idéalement, j’aimerais me poser vers 60 ans.

— Je peux vous préparer un plan de vol. »

Ils prennent rendez-vous.

LE RENDEZ-VOUS

Deux jours plus tard, Raphaël Hainault invite la Chauve-souris à entrer dans son bureau.

— Aïe !

Sa cape est restée prise dans la porte.

Célibataire, Cath Asstrof est la mère de deux chauves-souriceaux de 13 et 15 ans, dont elle veut payer les études universitaires.

« Vous avez des objectifs qui sont ambitieux, mais un peu difficiles à réaliser, commence le planificateur.

« Je pense que vous devriez penser davantage à vous, quitte à ce que vos enfants aient un peu de dettes d’études, qu’ils utilisent les prêts et bourses… »

Il résume : 

« Il va falloir mettre cap sur l’épargne.

— Pas question que je me sépare de ma cape. Je vais épargner autrement. »

Selon les calculs du planificateur, l’héroïne masquée pourrait épargner 15 000 $ par année, versés dans son REER. Cette cotisation produirait un remboursement d’impôt de 3000 $, qui s’ajouterait à la cotisation de l’année suivante.

Même avec un rendement raisonnable de 4,5 %, cette récolte ne lui suffit pas pour prendre sa retraite à 60 ans en conservant son coût de vie actuel.

« Il va falloir mettre la main à la pâte un petit peu plus longtemps que prévu.

— Je ne suis pas pâtissière, je suis traductrice.

— C’était une image.

— Pas illustratrice, traductrice.

— Selon mes calculs, vous devrez travailler jusqu’à 65 ans, mais de 60 à 65 ans, vous pourrez ralentir à 75 % de ce que vous travaillez actuellement. 

— Je travaille 35 heures. Je réduirais donc à 26 h et 15 minutes par semaine.

— C’était une approximation. »

LE PIÈGE

Son revenu aurait pu lui permettre d’accumuler davantage d’épargnes. Il y a quelques années, elle a perdu plusieurs dizaines de milliers de dollars dans un investissement malheureux.

« Un coup de tête qui m’a menée à un cheveu de la faillite », raconte la Chauve-souris.

« Il se présentait sous le nom de Jaucqueur. Hilare Jaucqueur. Un farceur de la pire espèce. Il promettait un rendement de 18 %, à capital garanti. Je m’étais laissé convaincre par son sourire enjôleur. Il s’appelait en fait Gervais Viday-Lecompte. J’aurais dû me méfier. Mais Je l’ai fait coffrer. »

DANGER : LONGÉVITÉ

En planification de retraite, le risque de longévité – le risque de survivre à ses épargnes – est un point essentiel. Raphaël Hénault a (vraiment !) fait ses devoirs.

« Le gros problème des chauves-souris – c’est un point que j’ai vérifié sur internet –, c’est qu’elles ont le record de longévité chez les petits animaux. Vous risquez de vivre longtemps. 

— Ah non ! », se désole la noctambule.

Aura-t-elle assez d’épargnes pour soutenir son coût de vie jusqu’à 96 ans, âge auquel elle aura 25 % de probabilité d’être encore vivante ?

« En raison de votre longévité, on pourrait tirer un grand avantage à retarder le moment où vous allez faire la demande de la RRQ et de la pension de la Sécurité de la vieillesse », évoque le planificateur.

En commençant à retirer ses rentes gouvernementales à 70 ans plutôt qu’à 65 ans, elle toucherait 29 000 $ par année plutôt que 20 500 $, jusqu’à son décès, aussi tardif soit-il.

« Mais est-ce que j’ai suffisamment de revenus entre 65 et 70 ans ? Je ne veux pas me couper les ailes.

— Vous pourriez vendre la maison et libérer 100 000 $, qui pourraient être utilisés pour les premières années de la retraite… »

Bat-dring ! ! !

C’est le chef de police.

« Il y a urgence pour un sauvage.

— On dit sauvetage », corrige la Chauve-souris, riant sous cape.

Elle s’élance vers sa bat-voiture.

Lumière au bout du tunnel

Rencontre au sommet

Le lendemain, Raphaël Hainault rappelle la Chauve-souris.

« Il faut avoir une autre discussion sur votre édifice financier.

— Il est situé rue Saint-Jacques. Rejoignez-moi sur le toit. »

Faisant fi de la méprise, Raphaël Hainault accepte l’invitation.

Depuis leur précédente rencontre, il a réfléchi à quelques stratégies qui permettraient à la Chauve-souris d’accroître malgré tout les REEE de ses enfants.

L’aînée a 15 ans. Sa mère a encore trois ans pour cotiser à son REEE et profiter des droits et subventions inutilisés. Ces droits totalisent environ 5000 $ par enfant, a évalué le planificateur.

« J’aurais tendance à mettre ces 5000 $ au complet pour l’aînée au cours des trois prochaines années, quitte à laisser tomber un peu les REER. »

Avec un revenu de 80 000 $, les subventions fédérale et québécoise totalisent 45 % des premiers 500 $ de cotisation.

« Quand votre enfant sera aux études postsecondaires, vous pourrez retirer le capital du régime d’épargne-études. 

— Chouette ! », s’exclame la Chauve-souris, qui lui prête une oreille attentive.

Ces 5000 $ seront alors appliqués au REEE du cadet, qui recevra à son tour les subventions gouvernementales. Quand il commencera ses études, les 5000 $ seront retirés et versés en cotisation au REER de la Chauve-souris.

« On va chercher trois fois un avantage avec le même montant d’argent.

— C’est lumineux ! »

Haute voltige

« Il y aurait une stratégie de plus haute voltige. Mais ça prend un estomac solide. 

 – Décrivez-moi ce régime de retraite. »

La stratégie consisterait à profiter de l’actif net de 140 000 $ sur la maison pour emprunter 50 000 $ et les verser au REER.

Avec le remboursement d’impôts et l’effet de la baisse de son revenu imposable sur les mesures fiscales et sociales, la Chauve-souris récupérerait environ 30 000 $.

« De ces 30 000 $, on utilise 10 000 $ pour faire des cotisations au REEE, soit 5000 $ pour chacun des enfants. »

Son revenu imposable pour l’année passe ainsi sous 42 000 $, ce qui lui accorde des subventions supplémentaires de 15 % sur les premiers 500 $. De surcroît, les enfants deviennent admissibles au Bon d’études canadien, qui procure un montant unique de 500 $, plus 100 $ supplémentaires en subvention annuelle.

« On va donc chercher 600 $ de bons d’études, plus 60 % de subventions sur les premiers 500 $. Ce bout-là est hyper payant. »

La Chauve-souris sourit.

Du remboursement d’impôt, il reste encore 20 000 $. « Avec ces 20 000 $, vous remboursez votre dette. Au net, vous vous retrouvez avec une dette de 30 000 $. 

« Si j’étale ces 30 000 $ jusqu’à votre retraite, ça donne des paiements d’à peu près 2000 $ par année. C’est exactement le montant que vous versez actuellement dans les REEE. Ça ne vous demande donc pas un effort supplémentaire. Mais vous êtes allée chercher de grosses subventions et vous avez 50 000 $ de plus dans vos REER. 

« Toutefois, il faut vivre avec cette dette supplémentaire de 30 000 $ », prévient Raphaël Hainault.

La justicière masquée serait plus sensible aux variations de taux d’intérêt et au risque de baisse de ses revenus autonomes.

« Je ne crains pas de sauter dans le vide, mais pas avec mes finances, reconnaît la Chauve-souris. Je veux bien dormir le jour. »

Bat-véhicule de placement

Le planificateur avait prévu cette réaction.

« Il faut protéger votre cap…

— Bravo ! l’interrompt la justicière.

— Protéger votre capital », poursuit le planificateur.

« Étant donné que c’est une situation un peu difficile, il faut s’assurer qu’on va conserver ce qu’on a déjà de côté. J’utiliserais un fonds équilibré, à 50 % en actions et 50 % en revenus fixes. » Un tel portefeuille procurerait un rendement d’environ 4,5 %.

« On s’en reparle, il faut que je retourne au bureau, conclut le planificateur, en fixant le vide sous ses pieds.

— Je peux vous déposer ? »

À suivre (de près, comme tout programme d’épargne).

Merci au planificateur financier Raphaël Hainault, conseiller en gestion de patrimoine à la Financière des professionnels, de s’être prêté au jeu.

La semaine prochaine : les mésaventures financières de Luc Ratiff, alias l’Increvable Lukh.

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