Capteurs de rêves

La science des rêves

Entrevue avec Tore Nielsen, directeur du Laboratoire des rêves et cauchemars de l’hôpital du Sacré-Cœur.

Que connaissent les scientifiques sur les rêves ?

Étonnamment, encore très peu de choses. Parmi tous les domaines de spécialité sur le sommeil, le rêve demeure le moins connu. La recherche sur le sommeil s’est orientée vers les désordres du sommeil, comme l’insomnie ou l’apnée du sommeil, parce que ça répondait aux besoins des patients. Quant aux rêves, les gens s’y intéressent, mais il est très difficile pour la science d’en percer les secrets. Techniquement, il y a le problème méthodologique d’accéder au contenu – tout ce qu’on a, c’est la parole des sujets. Le rêve est aussi intangible, impossible à mesurer. Et il faut avoir une idée de ce qu’on cherche dans les rêves.

Pourquoi avoir consacré votre carrière à un domaine aussi complexe ?

Ça vient de mes expériences personnelles. J’ai toujours été un grand rêveur. Dès l’âge de 5 ans, je rêvais intensément, et j’avais toute une gamme de types de rêves que je faisais. Pour moi, c’était naturel d’essayer de comprendre ça. Mais ç’a été difficile parce qu’au début de ma carrière, le domaine était en chute libre.

Pourquoi rêve-t-on ?

C’est la question scientifique la plus importante. Et encore ici, on sait très peu de choses. Il est intéressant de noter qu’on n’apprend pas à rêver : on le fait spontanément. À mon avis, cela montre que le rêve fait partie d’un mécanisme automatisé ancré dans nos gènes.

Il y a des rêves typiques que beaucoup de gens font : se faire poursuivre, tomber, faire l’amour, voler, se retrouver nu en public. Je pense que la capacité de faire ce genre de rêves est génétique, qu’elle fait partie de nos mécanismes d’adaptation et d’apprentissage.

Est-ce que tout le monde rêve ?

Il y a des gens qui disent ne jamais rêver. Est-ce un problème de rappel ? Ou est-ce que, vraiment, il n’y a rien ? On ne le sait pas.

En général, les femmes se souviennent mieux de leurs rêves que les hommes. Pour nos expériences, on sélectionne souvent les gens qui ont un bon accès à leurs rêves. Mais ça introduit un biais, parce qu’on ne peut pas généraliser les conclusions à tout le monde.

Les rêves ont-ils une utilité ?

J’essaie de rester objectif. Je crois que oui, mais je ne sais pas comment. Il y a des études qui suggèrent que, si on rêve d’une certaine façon, ça peut être associé à la mémoire ou à l’apprentissage. Mais on n’a pas encore une masse critique d’études pour tirer des conclusions claires. Une théorie est que le rêve sert à diminuer l’émotivité associée à l’apprentissage, pour que tout ce qui reste soit l’information.

C’est une idée intéressante, mais il n’y a pas assez d’études pour valider ou rejeter ce modèle. Ici, au laboratoire, on poursuit les études en ce sens pour essayer de faire progresser les connaissances.

Pourquoi les rêves sont-ils étranges ? Si leur rôle est l’apprentissage, pourquoi n’évoquent-ils pas plus directement la vie réelle ?

C’est vrai que les rêves nous plongent dans un univers fantasmagorique. Pour Freud, chaque rêve était une métaphore déguisée. Il y avait une histoire réelle, latente, qu’on pouvait décoder à partir de l’histoire du rêve. Je suis moins porté à penser comme ça. Je crois que c’est plutôt l’émotion qui transpire du rêve qui est importante. L’histoire d’un rêve est souvent gérée par l’émotion. Les gens troublés, par exemple, font des cauchemars. Si on regarde les émotions, on voit un miroir. Si on regarde le contenu spécifique, on voit des choses bizarres.

Certaines personnes prétendent pouvoir interpréter les rêves. Y croyez-vous ?

La matière des rêves est très personnelle, et elle révèle souvent des choses de façon inconsciente, qui sont autrement bien cachées. Je crois qu’il est possible d’utiliser les rêves pour favoriser la connaissance et la croissance de soi. Alors oui, je crois à l’interprétation guidée par des gens expérimentés. Mais ce n’est pas simple, ce ne sont pas des formules toutes faites qui s’appliquent à tout le monde.

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