Opinion : Campagne Be fair be vegan

Des vérités inconfortables

Quiconque a transité par le métro de Montréal ces derniers jours n’a pu s’empêcher de remarquer l’omniprésence des panneaux publicitaires de la campagne Be fair, be vegan. La station Berri-UQAM en est placardée au grand complet, alors qu’on retrouve 99 écrans numériques essaimés un peu partout dans le réseau.

Les panneaux présentent une image en gros plan d’animaux utilisés dans les fermes d’élevage et les laboratoires, aussi bien que ceux chassés ou pêchés dans la nature. Le leitmotiv « Différents mais égaux » apparaît sur chacun d’eux, accompagné de messages tels que « Ils tiennent à leur vie, comme nous », « Quelqu’un, pas quelque chose » ou bien « Une mère, pas une machine laitière ».

Be fair, be vegan est une organisation à but non lucratif du Colorado dirigée par un collectif végane. New York fut le théâtre de sa première campagne en 2016, où l’organisation avait pris d’assaut Time Square. Après Seattle, Melbourne, St. John's et le Connecticut, c’est au tour de Montréal d’être l’objet de la plus importante campagne de sensibilisation à la cause animale dans le monde.

Pour ceux qui ont vu ces affiches de manière distraite ou qui les ont regardées avec un réel intérêt, le message heurte, choque, suscite réflexion ou rejet, bref, ne laisse en tout cas personne indifférent.

Ces animaux sont clairement représentés comme des individus à part entière, des personnes qui ont le souci de vivre, de s’épanouir et de maintenir les liens avec leurs congénères, mais qui font face à une exploitation impitoyable.

Anthropomorphisme ? Manipulation ? Sensiblerie ? Ces critiques sont injustifiées, car elles consistent à nier les torts infligés (« oui, mais la poule ne sait pas qu’elle va être décapitée ») ou pis, tournent en dérision la compassion de ceux qui voient que quelque chose cloche au royaume de la viande.

Dénaturer l'enjeu

D’autres estiment que c’est contreproductif. Personne n’aime se faire dire que ses comportements sont immoraux. Si on ne se considère pas pour autant comme un saint, on estime être une bonne personne. Des commentateurs ne cessent de répéter comme une vérité indubitable que tout ce qui est vécu comme une accusation ou une culpabilisation a peu de chance de convaincre, que ça braque les gens. Ce qui fait dire à Patrick Lagacé dans sa chronique « J’aime la viande » que la bonne stratégie réside dans la maxime « Juste du fun ! » : démontrer que la cuisine végane peut être délicieuse, voire qu’être végane, c’est « cool ». Bref, qu’il faut rester positif et surtout, ne pas confronter les gens.

Oui, mais… non ! Il y a certes des avantages à ménager les susceptibilités. Pas au prix de dénaturer l’enjeu, cependant. Comme le véganisme est un engagement à ne pas encourager l’exploitation des animaux ayant une vie de conscience, il s’agit d’un mouvement de justice.

Or, la justice, ça peut être le fun… ou pas – en particulier quand ça implique de renoncer à des privilèges.

Miser exclusivement sur le fun peut réduire ce mouvement en style de vie qui a la cote, donc en quelque chose de passager, de plutôt superficiel, une simple question de « choix personnel ».

Il ne viendrait à l’esprit de personne de dire que la promotion de l’égalité – sans considération de sexe, d’orientation sexuelle ou d’origine ethnique – doit exclusivement passer par le fun. La prise de conscience doit inévitablement passer par la confrontation ou, du moins, par des vérités inconfortables. C’est le grand mérite de la campagne Be fair, be vegan : mettre l’accent sur le plus important, les principales victimes de l’exploitation animale. Dérangeant ? Certainement. Mais c’est le début de tout véritable débat de société sur des questions de justice.

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