Théâtre

Le théâtre est d’or

CRITIQUE
Chapitres de la chute
Texte : Stefano Massini, adapté de son roman
Mise en scène : Marc Beaupré et Catherine Vidal
Au Quat’Sous, jusqu’au 3 novembre. Du mardi au vendredi à 19 h et le samedi à 15 h.
3 étoiles et demie

La pureté du théâtre, son essence, c’est de pouvoir TOUT évoquer sur scène avec trois fois rien. Quelques idées de génie et une troupe d’acteurs chevronnés suffisent à nous transporter au royaume de la fable.

Pour le constater, courez voir la production de Chapitres de la chute, à l’affiche du Quat’Sous, un très beau spectacle signé Marc Beaupré et Catherine Vidal. Et surtout, un fort bel exemple du pouvoir infini de l’imaginaire au théâtre.

À partir de son roman de 850 pages, Stefano Massini a écrit une pièce-fleuve, brillante et captivante, sur les excès du capitalisme. Vus à travers la « petite » histoire d’une famille d’immigrants juifs allemands. Henry Lehman et ses deux jeunes frères sont arrivés en Amérique entre 1844 et 1850. Ils se sont lancés en affaires, au début, avec leur magasin de coton en Alabama, puis dans le commerce du café et le domaine tout neuf de la finance. 

En quelques décennies, ils vont se retrouver à la tête de la banque Lehman Brothers, quatrième institution financière des États-Unis, dont la faillite symbolise, pour plusieurs, l’écueil du mirage capitaliste.

Cette histoire est passionnante, car elle raconte autant la saga de l’Amérique que celle des frères Lehman et de leur descendance. En nous entraînant de la guerre de Sécession à l’âge informatique, de la fondation de Wall Street à la crise financière de 2008, en passant par le krach boursier de 1929 et la construction du chemin de fer. Riche matière, mais abordée sous l’angle mythologique plutôt qu’économique.

Le mirage de l’argent

Malgré la durée – quatre heures trente, incluant deux entractes –, on ne voit (presque) pas le temps passer. La proposition de Beaupré et Vidal est pleine de trouvailles et les créateurs sont en parfaite maîtrise des conventions de leur art. La pièce illustre autant le mirage du système capitaliste que son rôle pour combler le vertige des humains.

Pour y arriver, la production peut compter sur six dynamiques interprètes (Louise Cardinal, Vincent Côté, Catherine Larochelle, Didier Lucien, Igor Ovadis et Olivia Palacci – tous excellents !). 

Chacun change plusieurs fois de personnage et incarne autant les rôles masculins que féminins, dans un réjouissant clin d’œil à la diversité au théâtre.

Sur la scène, pas de décor encombrant, seulement des sièges et un éclairage (toujours) soigné provenant des coulisses. Les protagonistes vont à la fois narrer et jouer cette saga du capitalisme américain avec leur corps, leur talent, mais surtout leur âme. Leur jeu est inventif, épique et, par moments, tragique, notamment lors des scènes pour évoquer le deuil, la religion et les rituels de la culture juive.

Avec le temps

Divisée en trois actes et plusieurs chapitres, la pièce avance chronologiquement dans le temps. La troisième partie est moins réussie que les deux autres ; plus le récit s’approche de notre époque, plus le jeu des interprètes semble manquer de recul et devient manichéen.

Malgré ce bémol, Chapitres de la chute illustre parfaitement l’adage : l’argent n’a pas d’odeur. « Mais pas d’odeur vous monte au nez », ajoutait Brel, dans une chanson belle et immortelle. Comme la quête éternelle du profit qui anime et rend fou. Et nous entraîne tous dans sa chute.

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