Sexualité

Le Lybrido au secours de la libido

Avant le Lybrido, il y a eu l’Intrinsa, l’Ectris et le Tefina. Le « Viagra féminin » est, depuis plus d’une décennie, le Graal de l’industrie pharmaceutique. Qui parviendra à créer la pilule qui redonnera aux femmes leur désir sexuel évanoui ? Emotional Brain croit y être parvenu.

Après avoir mené, sur 200 Américaines, des études cliniques qu’elle qualifie de concluantes, la firme néerlandaise entend présenter son invention pour approbation à l’Agence fédérale américaine des produits alimentaires et médicamenteux (FDA) au plus tard cet automne. Si la FDA approuve le médicament, celui-ci pourrait se retrouver sur les tablettes des pharmacies américaines d’ici 2016. Avant d’être disponible chez nous, le Lybrido (un titre de travail) devra toutefois passer sous la loupe de Santé Canada. Emotionnal Brain n’a pas répondu à notre demande d’entrevue.

Bien qu’on le surnomme le « Viagra féminin », le Lybrido est différent de son pendant masculin, explique le journaliste et auteur Daniel Bergner dans un extrait de son livre What Do Women Want ? Adventures in the Science of Female Desire, qui a fait grand bruit lors de sa parution le 22 mai dernier dans le New York Times Magazine.

Plutôt que de réparer la mécanique, le Lybrido agit sur la psyché des femmes, chose qu’aucun des médicaments du genre développés avant lui n’est parvenu à faire de façon concluante.

Le Lybrido, qui doit être ingéré entre trois et six heures avant le passage voulu à l’acte, contient un enrobage de testostérone à saveur de menthe qui fond dans la bouche. Une fois l’enrobage dissous, la femme avale le comprimé qui contient du sildénafil, l’ingrédient actif contenu dans le Viagra. L’idée est que le sildénafil, en dirigeant un flux sanguin supplémentaire vers les parties génitales, agit avec la testostérone pour rendre l’esprit plus conscient des impulsions érotiques et stimuler la dopamine.

Le Lybrido a une sœur nommée Lybridos. Même enrobage de testostérone, mais un ingrédient actif différent : le buspirone, une substance utilisée à l’origine pour diminuer l’anxiété. Sur son site web, Emotionnal Brain indique que Lybrido s’adresse aux femmes qui sont relativement insensibles aux indices sexuels alors que Lybridos est conçu pour les femmes ayant des mécanismes sexuels inhibiteurs.

« C’est difficile de dire si cette pilule fonctionnera, affirme Ruth Neustifter, professeure adjointe au programme Couple & Family Therapy de l’Université de Guelph en Ontario. Chose certaine, si ce n’est pas cette pilule, ce sera une autre. »

Les femmes n’étant pas poussées par la testostérone, la baisse du désir sexuel les touche davantage que les hommes. Des études ont estimé entre 10 et 15 % la proportion de femmes âgées de 20 à 60 ans qui sont atteintes du trouble du désir sexuel hypoactif (HSDD), soit une absence de désir sexuel entraînant une détresse émotionnelle. Ce chiffre pourrait grimper à 30 % si on tient compte des femmes qui éprouvent un faible désir sexuel sans nécessairement répondre aux critères diagnostics du HSDD.

Monogamie et monotonie

Les causes de la baisse du désir sexuel sont multiples. Mais c’est surtout aux femmes investies depuis longtemps dans une relation monogame que le Lybridos s’adresse.

« C’est sûr qu’en début de relation, le désir s’alimente par lui-même, observe la sexologue clinicienne Nathalie Suzanne. Après ça, il faut le cultiver, l’alimenter, l’entretenir. Bien des femmes disent avoir du désir en début de relation et n’en ont plus au bout de six mois ou d’un an. On vit à une époque d’instantanéité. »

La sexologue craint que le Lybrido soit perçu comme une solution facile à un problème qui peut être plus profond. « Le danger d’une pilule comme ça, c’est qu’on la prescrive sans faire une évaluation qui tienne compte de tous les facteurs psychologiques possibles, expose-t-elle. Une pilule ne va pas contrer toutes les anxiétés qui peuvent être à la base d’un hypodésir sexuel. »

Nathalie Suzanne ajoute qu’avant de succomber à la pilule miracle, un couple devrait d’abord travailler à ressusciter le désir.

« Je ne refuserai jamais aux gens l’opportunité d’avoir recours à ce genre de choses pour rendre leur vie meilleure, expose Ruth Neustifter. Mais, j’ose espérer que ça fera partie d’une approche rigoureuse. »

Alain Gariépy, sexologue clinicien à la clinique Deviens ce que tu es, accueille également les promesses de cette pilule du désir avec prudence. « Il peut y avoir des aspects très bénéfiques pour des gens qui trouvent que leur libido est simplement endormie et qu’ils ont besoin d’un petit boost », reconnaît-il. Or, en agissant sur le désir d’une femme, le médicament pourrait, craint-il, entraîner une perte de repères ou désorienter une femme qui n’aime plus son conjoint, mais qui continue à le désirer après avoir avalé un comprimé.

« Si on réussit à donner le goût à une femme d’exprimer sa sexualité dans un cadre de relation choisie, c’est quand même quelque chose de positif, souligne Alain Gariépy. Mais, si ça éveille une disponibilité sexuelle, indépendamment de son jugement personnel, là ça va un peu loin. Et si on donne ça à une personne sans son consentement, est-ce que ça pourrait influencer ses comportements ? Pour le moment, il manque des morceaux. »

Aux États-Unis, des médecins ont dit craindre une trop grande efficacité du Lybrido. Et si la pilule transformait les femmes en nymphomanes ?

« N’est pas nymphomane qui veut ! lance Nathalie Suzanne en notant la connotation négative du terme. Ça m’étonnerait que ça arrive. Je serais plus craintive qu’une femme, qui a en elle des sentiments de culpabilité et de honte, se sente doublement coupable ou honteuse s’il se passe quelque chose au niveau physiologique qui fait que l’appel est plus présent. »

« Notre culture a une longue histoire en termes de peur du désir sexuel des femmes et je pense que nous le constatons encore une fois avec ces commentaires, déplore Ruth Neustifter. Ces préoccupations sont à mon sens loufoques. »

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