Chronique

Un processus perverti, inconstitutionnel

On pouvait dire jusqu’à récemment que le gouvernement Harper avait résisté à la tentation de politiser la Cour suprême. Même s’il a nommé six des neuf juges actuels, d’ailleurs, la Cour a fait subir une série de revers spectaculaires au gouvernement fédéral.

On pouvait le dire, mais là on ne peut plus. L’affaire Nadon nous montre à quel point le processus de sélection des juges à la plus haute instance judiciaire du pays est discrédité. Et une enquête du Globe and Mail nous apprend que… c’est encore pire qu’on ne le croyait.

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La nomination des juges à la Cour suprême est la prérogative du premier ministre. Sur avis du ministre de la Justice, il nomme en principe un juriste éminent. Aux États-Unis, le président choisit le candidat sans être tenu à une quelconque procédure. Aussi politique soit-il, le président doit choisir un candidat respecté, car il devra subir l’épreuve de la « confirmation » par le Sénat.

Au Canada, il n’y avait ni processus formel de sélection ni procédure de confirmation. Le premier ministre recevait l’avis du ministre de la Justice, qui consultait les juges en chef et des membres influents du Barreau. Un processus totalement opaque.

Quand ils étaient dans l’opposition, les conservateurs avaient critiqué ce processus. Avec raison : à l’heure où la Cour suprême du Canada fait et défait les lois, on ne peut plus se permettre d’avoir un système en vase clos.

Les libéraux ont trouvé le compromis suivant : un comité de sages était chargé de dresser une courte liste à même une liste de huit noms fournie par le ministre de la Justice. Ce comité comprenait des députés, mais ils étaient minoritaires et aucun parti ne pouvait contrôler l’issue du vote. Le comité comprenait des doyens de facultés de droit, des représentants du Barreau et du public.

Ce système fonctionnait bien, mais il avait le défaut d’être assez lourd.

Quand les conservateurs sont arrivés au pouvoir, ils ont changé de modèle, prenant prétexte de la complexité (selon eux) inutile de ce comité.

Désormais, le comité est composé de cinq membres : trois du parti au pouvoir, un du NPD et un du PLC. Ce comité, tenu au secret, reçoit une liste de noms du ministre de la Justice et dresse une courte liste de trois.

On voit tout de suite le problème : les conservateurs contrôlent le jeu de A à Z. De la liste de départ jusqu’à la liste de sortie. D’autant qu’un vote à la simple majorité suffit.

Néanmoins, les nominations qui ont résulté de ce modèle ont été impeccables, et personne ne trouvait vraiment à redire. Même les députés de l’opposition qui y participaient (comme Stéphane Dion) applaudissaient l’esprit de collaboration et d’excellence qui présidait à ses délibérations. Ils avaient atteint l’unanimité sans souffrir.

Jusqu’à… l’affaire Nadon.

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Tout le monde se demandait par quel chemin tortueux ce juge semi-retraité de la Cour fédérale d’appel avait pu 1) se retrouver sur la liste des « meilleurs candidats » soumise par le ministre Peter MacKay au comité; 2) comment ce comité avait pu en faire un des trois meilleurs juges du Québec; et 3) comment le premier ministre avait pu le choisir.

On le sait maintenant grâce à l’enquête du collègue Sean Fine. Le ministre MacKay, après des consultations bidon avec les membres les plus respectés de la communauté juridique du Québec, a présenté au comité une liste de six noms : Marie-France Bich et Pierre Dalphond, deux juges très respectés de la Cour d’appel du Québec ; et… quatre juges de la Cour fédérale.

Non pas que les juges de la Cour fédérale soient nécessairement de moindre calibre. Mais premièrement, un doute bien connu existait quant à leur admissibilité à la Cour suprême (en mars, la Cour suprême a conclu qu’ils ne peuvent être nommés).

Et deuxièmement, aussi bons soient-ils, pourquoi quatre sur six ?

Parce que les conservateurs en ont marre des juges « trop libéraux » qu’eux-mêmes ont nommés. La Cour fédérale est réputée plus respectueuse du pouvoir exécutif. Et le champion entre eux est le juge Marc Nadon, juge sans histoire et parfaitement charmant, mais sans fait d’armes non plus, et qui est le seul (de 12) par exemple à n’avoir pas blâmé le gouvernement canadien dans le dossier Khadr.

Plus étonnant encore, nous apprend le Globe : la liste finale comprenait la juge Bich (le choix évident), la juge Johanne Trudel de la Cour fédérale (un choix nettement plus prestigieux que le juge Nadon)… et Marc Nadon.

On connaît la suite. Le juge Nadon est maintenant de retour à temps partiel à l’ancien tribunal où il coulait des jours heureux avant de devenir une arme politique contre son gré.

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Tant qu’à ridiculiser le système ainsi, mieux vaudrait abolir ce comité fantoche. Je ne comprends pas comment il se fait que le NPD et le PLC acceptent encore d’y participer. Françoise Boivin (NPD) et Dominic LeBlanc (PLC) se sont faits flouer comme des idiots et n’avaient qu’une chose à faire : claquer la porte. Ils ne l’ont pas fait.

On se retrouve maintenant avec une Cour suprême privée d’un juge québécois depuis presque un an.

Pis : on se retrouve avec une institution attaquée comme jamais par l’exécutif.

Il faudra bien en venir à la seule option décente : instituer un comité de sélection indépendant.

À l’heure actuelle, le processus n’est pas seulement pervers. Il viole l’esprit de la Constitution.

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