Droit des trans

La comédienne trans qui rêvait de Cannes

Alors que l’on soulignait mercredi dernier la Journée internationale de lutte contre l’homophobie et la transphobie, notre chroniqueuse a rencontré des gens pour qui cette lutte a une résonance aussi intime que vitale. 

Aujourd’hui, à Cannes, la comédienne Pascale Drevillon réalisera un rêve. Le rêve d’un enfant trans mal dans sa peau et suicidaire de Mont-Rolland devenu une actrice heureuse et fière, qui a surmonté bien des obstacles. Le court métrage Pre-Drink, dont elle est la vedette, sera présenté au Marché du film de Cannes dans le cadre de l’initiative Talent tout court de Téléfilm Canada, en marge du festival.

Pascale revient de loin. « Je n’ai jamais cru que j’aurais pu être aussi heureuse qu’aujourd’hui », me dit, tout sourire, la comédienne de 29 ans, rencontrée à Montréal avant son départ pour Cannes.

Née dans un corps de garçon, elle a toujours senti qu’elle n’était pas exactement ce gars qu’elle faisait semblant d’être. « Je le savais bien. C’est pour ça que j’essayais de compenser. »

Longtemps, elle a essayé de jouer le rôle du « petit garçon idéal ». « Pendant un temps, les gens pensaient que j’allais devenir prêtre. J’ai servi la messe pendant 10 ans. J’ai chanté dans la chorale. Je faisais tout bien, tout parfaitement. Jusqu’à l’adolescence où j’ai réalisé que finalement, j’étais peut-être l’Antéchrist ! »

Elle éclate de rire. Mais on comprend en l’écoutant que ce n’était pas si drôle. À l’école, elle a vécu du harcèlement. On lui criait des noms. On la poussait. On lui lançait des roches. Sa mère a parfois dû faire intervenir la police.

« Dès la quatrième année du primaire, ça a commencé. Les gens m’ont accolé les mots “gay” et “homosexuel”. Je me disais : “Oui, j’aime les garçons. Alors ça doit être ça…” »

— La comédienne Pascale Drevillon

À 15 ans, elle a réalisé que c’était autre chose, après avoir vu un documentaire de Canal Vie sur une aviatrice qui avait subi une opération de réassignation sexuelle en France. Une révélation. « C’est vraiment la première fois que j’avais une conscience simple et réelle que ça se pouvait. »

La découverte était à la fois rassurante et terrifiante. « Je me suis dit : “Oh, my God ! Est-ce que c’est ça qu’il va falloir que je fasse si je veux exister ?” »

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À 12 ans, elle avait annoncé à sa mère qu’elle aimait les garçons. Quelques années plus tard, elle a fait une deuxième sortie du placard. « Finalement, je suis une femme… »

Sa mère, Anne-Marie, s’est d’abord demandé si ce n’était pas une échappatoire, une façon de refuser d’être un homme gay. « Je ne connaissais pas beaucoup l’identité trans. Alors je pensais que c’était ça, confie-t-elle. Et comme j’avais plusieurs amis homosexuels, ça ne me causait aucun problème. Je n’ai aucun frein envers les diversités, toute diversité que ça puisse être. »

Il a fallu se rendre à l’évidence. Pascale souffrait d’une dysphorie de genre. Elle avait, depuis toujours, le sentiment d’être née dans le mauvais corps. Il lui a fallu un certain temps pour accepter qu’il lui faille passer par le même chemin que l’aviatrice de Canal Vie. « Ça me semblait tellement un travail colossal que je l’ai retardé le plus possible. » Avant d’entreprendre sa transition, elle s’est inscrite en théâtre au cégep. Après un an, elle a tout abandonné, en proie à une détresse profonde. « Je ne pouvais plus jouer des rôles de gars. »

Elle a eu besoin de partir pour mieux se retrouver. Elle a pris un billet aller simple pour l’Irlande. « Je me suis dit : “Je me donne un mois, six mois, s’il le faut.” J’ai pris un permis de travail. J’ai dormi sur le bord de l’eau le plus souvent possible. Et je me disais : “Sois je saute, sois je rentre chez nous et je fais ma transition.” Ça ne donne rien de faire semblant que cette chose-là n’existe pas. »

De retour à Montréal, sa décision était prise. « Ce qui a motivé le plus le changement, c’est à quel point la dysphorie avec mon corps était extrême. Ce ne sont pas toutes les personnes trans qui le vivent de la même façon. Moi, mon corps me répugnait. J’avais tellement hâte de me débarrasser de la chose. »

C’était en 2008, un an et demi avant que les opérations de réassignation sexuelle soient remboursées par l’assurance maladie au Québec. Pascale a dû se débrouiller seule, s’échinant au travail pour payer les coûts de l’intervention. Elle s’est rendue en Thaïlande avec sa mère pour la subir. Un voyage où elles ont beaucoup ri et beaucoup pleuré. Sa mère la revoit, avec les grosses tresses qu’elle lui avait faites avant d’entrer dans la salle d’opération. 

« Elle est partie avec un corps de garçon, elle est revenue avec un corps de fille. Et c’était merveilleux. »

— Anne-Marie Drevillon, mère de Pascale

Qu’il y ait un « e » à Pascal ou pas, qu’elle soit fille ou garçon n’a pas changé le regard qu’elle porte sur son enfant. « C’est ma Pascale. C’est ma fille. Même quand c’était mon garçon… C’est le même être humain qui est entré dans la salle d’opération. C’est la même personne qui est revenue pour moi. C’est mon enfant que j’aime. »

Pascale se trouve chanceuse d’avoir pu compter sur le soutien indéfectible de sa famille et de ses proches. Cet amour-là, plus fort que tout, lui a donné des ailes.

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Aujourd’hui plus épanouie que jamais, Pascale ne se considère pas femme à 100 % comme elle se l’imaginait au départ. Le gars en elle, celui qu’elle a voulu tuer en 2008, n’est pas mort, dit-elle. Et finalement, c’est très bien comme ça. « Je ne veux pas qu’il soit mort. Je me vois comme 80 % femme et 20 % homme, mettons… », dit l’actrice qui, depuis 2014, à travers un projet de performance qu’elle appelle GenderF*ucker, explore ses identités multiples.

Le film qui l’amène à Cannes, réalisé par Marc-Antoine Lemire, raconte l’histoire d’une jeune femme trans en cours de transition qui reçoit chez elle son meilleur ami pour quelques verres, avant de sortir faire la fête. Une histoire qui ne porte pas tant sur les personnes trans que sur les limites de l’amitié entre deux personnes, dit la comédienne, diplômée de l’UQAM en théâtre en 2015, qui a d’abord été pressentie par le réalisateur comme conseillère. « J’ai lu et relu le texte pour éviter les clichés le plus possible. Parce qu’on en a soupé depuis les années 90 ! Comme c’est un film sur deux personnes qui s’aiment et qui couchent ensemble pour la première fois, ça aurait été facile de tomber dans les clichés sur les femmes trans représentées comme des objets sexuels. »

Si Pascale met son identité trans de l’avant, c’est parce que, quoi qu’en disent certains, on a encore bien du chemin à faire en matière de défense des droits des LGBT. « Je sais que la bataille n’est pas gagnée. »

Ces dernières années, on a beaucoup démystifié la chose. On en parle de plus en plus et c’est tant mieux. Mais il serait temps d’en parler de façon moins superficielle, sans ramener le sujet au simple aspect spectaculaire de la transformation du corps. « Cela n’a pas de valeur humaine. Ça ne dit rien sur comment la personne se sent. »

Pascale aimerait que l’on en parle autrement, donc. Que l’on sorte du carcan binaire. Que l’on humanise le regard. Et que l’on accepte qu’il existe aussi une grande zone de flou que l’on n’est pas obligé de nommer.

Elle espère que sa transition réussie vers le bonheur, de Mont-Rolland à Cannes, puisse inspirer ceux qui vivent une détresse semblable à celle qu’elle a vécue. « Il y a tellement de moments où ce que je ressentais n’avait aucun sens et il n’y avait personne pour me dire que, peut-être, je n’étais pas complètement stupide. Pour moi, c’est important de dire aux gens que ça se peut. Que le bonheur est accessible pour tout le monde. »

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