L’ARRIÈRE-BOUTIQUE

Pensé autrement

Rendez-vous à Verdun, dans un condo-loft sis dans d’une ancienne école. La matinée est grise et plutôt frisquette, mais dans l’appartement de Tamara Bavdek, qui est aussi le siège de sa petite entreprise, flotte un parfum d’ailleurs… La porte à peine ouverte, l’invitation est lancée pour une belle évasion. En guise de passeport, un bijou signé This Ilk.

L’antre de la créatrice est petit, mais aérien : une seule pièce surmontée d’une mezzanine au cœur de laquelle la designer a installé son atelier. De là-haut, elle passe des heures à imaginer ses prochaines créations et à les fabriquer, une à une à la main, avec une bonne dose de minutie et deux fois plus de passion.

Tamara s’est entourée des objets qui la font vibrer pour l’accompagner dans ce processus, ceux qui évoquent les contrées exotiques où elle a eu la chance de mettre les pieds et qui sont autant de sources d’inspiration. Une planche de surf, des masques africains, des poufs triangulaires de Bali, une peinture australienne… Chaque petit coin recèle son lot de surprises, ce qui n’est pas étonnant, finalement, de la part d’une bijoutière qui aime surprendre avec ses créations !

UNE CHOSE ET SON CONTRAIRE

This Ilk cultive les contrastes. D’abord par le choix de ses matériaux – lourds ou fins, soyeux ou bruts – qui s’entremêlent sur un même objet. 

« On perçoit souvent mieux les subtilités d’une chose quand on l’appose à son contraire. Il faut que ce soit “bold”, mais délicat, féminin, mais un peu rock, gros, mais léger… »

— Tamara Bavdek

Ses collections se suivent d’ailleurs sans se ressembler, explorant tour à tour des pôles diamétralement opposés : d’une part, un côté sombre, glamour et graphique exprimé dans les créations automne-hiver ; de l’autre, des rondeurs, des couleurs et des accents exotiques pour le printemps-été.

Point de rencontre entre ces deux approches, une dentelle utilisée de façon non traditionnelle, et à laquelle viennent se greffer des pièces de métal. Cet agencement donne aux créations This Ilk un style unique et reconnaissable entre tous. « Il est difficile de créer quand toutes les options sont ouvertes. Choisir la dentelle comme principal matériau est une façon de m’encadrer et ça me permet d’explorer toutes ses possibilités. »

LA DENTELLE COMME UNE RÉVÉLATION

La créatrice avoue, étonnamment, ne pas être amatrice de dentelle. Le hasard a toutefois voulu qu’elle s’y intéresse dans un moment d’incertitude…

Bachelière en design industriel, elle errait dans de petits boulots, cherchant sa voie. C’est dans cette période qu’elle est tombée sur un court métrage d’Andy Warhol mettant en vedette l’actrice et mannequin Edie Sedgwick. Le style unique de cette dernière – cheveux courts et boucles d’oreilles grand format en corde torsadée – l’a happée. « Je me suis dit que c’était exactement ce que je voulais comme style ! En cherchant les matériaux pour reproduire quelque chose de semblable, je suis tombée sur la dentelle. Puis, en faisant quelques recherches en ligne, j’ai réalisé que cette piste n’avait pas été exploitée. J’ai eu l’impression d’être tombée sur l’idée du siècle ! »

Filon intéressant, en effet, car le matériau offre une multitude de possibilités et a comme atouts sa légèreté et le fait de n’émettre aucun cliquetis, contrairement à d’autres matériaux utilisés en joaillerie.

Les dentelles des années 60 et 70, qui sont plus géométriques, retiennent son attention dès le départ. Ignorant tout de la confection de bijoux, elle utilise d’abord une technique simple consistant à mettre la dentelle sur un crochet, puis raffine sa technique en intégrant graduellement des métaux.

Au fil du temps, la jeune femme a développé ses procédés de coupe et de durcissement : elle reçoit ses dentelles en panneau et les découpe, puis les durcit entièrement ou sur les pourtours pour éviter l’effilochage. Parfois, les pièces sont aussi teintes ou peintes de façon artisanale. « Je passe beaucoup de temps à fermer les coutures à la main. Mais j’ai développé ma dextérité et ma technique a évolué, ce qui me permet de créer des modèles de plus en plus complexes et d’explorer davantage, tout en étant plus efficace. »

UN SAVOIR-FAIRE MADE IN VERDUN

C’est ainsi que This Ilk a fait son petit bonhomme de chemin, poussée par la débrouillardise et le sens esthétique de sa fondatrice. Par la méthodologie que celle-ci a développée dans le cadre de son parcours académique aussi. Il y a tout de même eu quelques périodes creuses durant ces six années.

« Je ne suis pas certaine que je me serais lancée là-dedans en sachant tout ce qu’implique la création d’une entreprise. »

— Tamara Bavdek

« J’aurais voulu que tout aille très vite au départ, mais les choses ne se sont pas produites de cette façon, ajoute Tamara. Je suis peut-être passée à côté de certaines occasions, mais finalement, je suis ma propre route et elle me ressemble. »

La compétition est forte en mode, notamment dans les bijoux. This Ilk n’est plus la seule à fabriquer des accessoires de dentelle et les copies n’ont pas tardé à apparaître. Son style en constante évolution continue toutefois d’en faire une marque qui se distingue.

« Je sens que les fondations sont en place aujourd’hui. J’ai l’impression que la machine a le potentiel de grandir », dit-elle, enthousiaste. Ses bijoux de corps – des colliers qui habillent le dos, par exemple, ou des boucles d’oreilles montant sur le pavillon de l’oreille – sont un volet à développer. Il y a aussi cette robe bijou qu’elle souhaite produire en blanc et dans une version plus longue pour les mariages… Chose certaine, elle n’est pas à court de projets ni d’idées !

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EN QUELQUES MOTS

PARCOURS SCOLAIRE : Elle est bachelière en design industriel de l’Université de Montréal.

ORIGINE : Son père est slovène et sa mère est autrichienne, mais elle a grandi dans les Laurentides.

SA GRIFFE EN TROIS MOTS : Surprenante, exploratoire, contrastée.

SI ELLE N’ÉTAIT PAS DESIGNER… Elle serait probablement danseuse-chorégraphe (la danse étant une de ses passions) ou chimiste pour comprendre la composition des choses et pouvoir les reproduire !

SOURCES D’INSPIRATION : Les voyages et les années 60 dans lesquelles elle puise une esthétique qui teinte en particulier ses collections automne-hiver.

DÉFORMATION PROFESSIONNELLE : « Je ne peux m’empêcher de regarder comment les produits sont fabriqués. J’analyse la fonctionnalité des objets et les critique constamment ! »

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LE CLAN THIS ILK

« Ilk » signifie d’un même type ou genre et identifie un groupe de personnes qui ont les mêmes intérêts.

« Une amie australienne aimait beaucoup ce mot. J’aimais, pour ma part, sa sonorité et le fait qu’ensemble, “This + ilk” rappelait la soie (silk). Par contre, je regrette un peu de ne pas avoir utilisé des mots francophones ou du moins plus faciles à retenir pour les francophones ! »

— Tamara Bavdek, designer et fondatrice de This Ilk

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UN BIJOU QUI HABILLE

À cheval sur le vêtement et le bijou, cette robe est assemblée par la designer avec les mêmes techniques que celles utilisées pour assembler ses bijoux. Tamara Bavdek, qui a longtemps boudé les associations convenues comme dentelle et mariage, projette de produire cette robe en blanc pour les grandes occasions. Dentelle et mariage, d’accord, mais autrement !

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DANS L'ATELIER

Pause a eu accès à l’atelier de Tamara Bavdek, un condo-loft rempli d’objets recueillis au fil de ses voyages et qui inspirent la créatrice dans sa confection des bijoux This Ilk.

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COLLECTION PRINTEMPS-ÉTÉ 2014

Pour sa collection printemps-été, Tamara Bavdek explore les rondeurs, les couleurs et les accents exotiques.

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COLLECTION AUTOMNE-HIVER 2013-2014

Pour sa collection automne-hiver, Tamara Bavdek puise ses idées dans l’esthétique des années 60, à laquelle elle ajoute un côté sombre, glamour et graphique.

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