Fromagerie Fuoco

L’Italien des Laurentides 

Envie d’une mozzarella di buffala bien fraîche pour une salade caprese ce week-end ? Le meilleur endroit pour en trouver n’est peut-être pas le marché Jean-Talon, mais les Laurentides.

Rosa Fuoco n’a pas beaucoup aimé ce qu’elle a entendu quand son fils Jason est venu lui annoncer qu’il deviendrait éleveur de bufflonnes, pour en faire du fromage. Il venait à peine d’avoir 21 ans. Deux ans avant, c’était la production de basilic qui l’intéressait. Encore avant : les biocarburants. « Je lui ai dit : tu n’auras pas de vie, c’est trop dur, raconte-t-elle aujourd’hui. Il était si jeune, j’étais sûre qu’il allait changer d’avis. À cet âge-là, c’est dur de se décider. »

Jason écoute en souriant sa mère parler. Elle n’avait pas tout à fait tort sur un point : la veille, il s’était couché à 2 h 30, pour se lever à 5 h 30, le prix à payer quand on s’occupe de chacune des étapes de production d’un fromage depuis la coupe des foins jusqu’à la distribution en boutique.

« Je ne dors pas, je fais des siestes. Je manque de temps, il y a beaucoup, beaucoup de choses à faire. »

— Jason Fuoco

Mais elle s’est trompée sur le reste : sept ans plus tard, Jason produit encore du fromage, il adore ça et obtient même des éloges. Son Fuoco, un fromage à pâte molle et à croûte lavée, a remporté en 2016 le prix du meilleur fromage canadien au lait de bufflonne et, en 2015, le prix du meilleur fromage canadien au Concours international des fromages, organisé en Angleterre. Et sa mozzarella fraîche est servie (entre autres) dans des restaurants de la Petite Italie – oui, là où l’on ne jure souvent que par les produits importés de la botte.

Jason Fuoco attribue l’essentiel de sa réussite aux bons soins qu’il accorde à ses animaux. Il les nourrit exclusivement de foin sec, sans recourir au foin d’ensilage, moins cher, mais aussi moins digeste, explique-t-il. Ses bêtes sortent dehors tous les jours, sauf quand le mercure descend trop bas, l’hiver, pour leur éviter des engelures (il en a d’ailleurs perdu deux, ainsi, surpris par un coup de froid particulièrement précoce).

Un amour sincère

Jason ne bouscule pas les cycles naturels de reproduction avec des injections d’hormones. « Le goût du lait d’une bufflonne bien nourrie est beaucoup plus riche, plus sucré, nettement meilleur », remarque-t-il en marchant dans son champ de Saint-Lin–Laurentides entouré de ses bêtes imposantes, aux cornes en arc de cercle (qu’il évite de couper, là encore par conviction, pour respecter l’animal). Ses animaux sont calmes, curieux de voir des étrangers, mais sans plus. Un « petit » d’au moins 300 livres (adultes, les femelles font au moins 1000 livres et les mâles, plus de 2000 !) revient sans cesse vers Jason pour quémander une caresse, que son maître distribue sans compter. « C’est le 1511 ? », demande Jason, ne voyant pas l’étiquette à l’oreille de l’animal. Oui, c’est bien cela. « Il est vraiment, vraiment colleux, lui. Comme un petit chien de compagnie. »

On comprend alors que, si Jason Fuoco s’est lancé dans cette aventure d’abord et avant tout pour se distinguer, pour trouver « ce produit » original qui lui permettrait de devenir un entrepreneur prospère, il aime sincèrement son travail et ses bêtes aujourd’hui.

« J’ai pensé abandonner trois jours après avoir reçu mes bufflonnes, je ne savais pas tout à fait comment m’y prendre. »

— Jason Fuoco

S’aventurer dans un chemin peu fréquenté comporte un défi majeur : celui de trouver les conseils avisés de spécialistes. Son père, « gentleman farmer », a bien eu des vaches, mais les bufflonnes, c’est autre chose. C’est donc vers l’Italie qu’il a dû se tourner pour obtenir les conseils de vétérinaires et d’éleveurs. « Ça aide de parler l’italien ! », rigole ce fils d’immigrants.

Et c’est au pays de ses ancêtres, aussi, qu’il est allé apprendre à faire de la mozzarella fraîche à ses débuts. « Sans l’aide de mes parents, je n’y serais pas arrivé, remarque-t-il. J’ai pu récupérer leur ancienne ferme, je loue leurs champs. Mais pour un jeune, partir de rien, c’est presque impossible au Québec, il n’y a pas assez de soutien. »

Jason produit maintenant ses fromages dans les locaux voisins des Fromagiers de la Table Ronde, qui l’ont aidé depuis ses débuts. Mais il rêve bientôt d’être chez lui. Il pointe, de l’autre côté de la route, un champ où il espère construire une ferme pouvant accueillir un troupeau plus imposant, dans de meilleures conditions, où il pourra produire son fromage et accueillir les visiteurs pendant l’été. Sa mère, Rosa, peut bien le regarder avec autant de fierté. Son père aussi, même s’il est plus discret. « Je suis content parce qu’il fait quelque chose qu’il aime et qui le rend fier. » C’est dit.

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