Homophobie en Russie
Des attaques de plus en plus fréquentes
La Presse
Le garçon de 15 ans pensait répondre à l’annonce en ligne d’oncle Dima, un homme qui lui promettait de payer quelques roubles pour une relation sexuelle. C’est plutôt un groupe néo-nazi qui l’attendait. Pendant 20 longues minutes, il a été couvert d’injures, puis aspergé d’urine pour « guérir » son homosexualité.
Dernièrement, des dizaines de jeunes gais ont eu droit à cette terrifiante « thérapie » d’un bout à l’autre de la Russie. En toile de fond : une loi interdisant la « propagande homosexuelle », signée le 30 juin par le président Vladimir Poutine.
Affirmant soigner de futurs pédophiles, des groupes ultranationalistes piègent des adolescents gais en publiant de fausses annonces sur le net. Ils les humilient, les torturent, filment leur supplice et diffusent le tout sur les réseaux sociaux. En toute impunité.
Dans les montagnes de l’Oural, à 3000 km à l’est de Moscou, le D
Valentin Degterev a déclaré la guerre à « Occupy Pedophilyaj », un groupe fasciste actif dans sa ville, Kamensk. Jusqu’ici, le médecin a identifié 15 victimes et une vingtaine d’agresseurs.Des « sadiques », tranche-t-il en entrevue.
Mais le D
Degterev se sent seul dans sa bataille. « Les autorités les laissent agir à leur guise. »Selon le militant gai Larry Poltavtsev, ces attaques sont de plus en plus fréquentes en Russie. Et ce n’est pas un hasard. « Depuis la plus récente réélection de Vladimir Poutine, une vague d’homophobie s’est déversée sur la société russe », soutient M. Poltavtsev, immigré de longue date aux États-Unis.
Le dernier épisode de la croisade du Kremlin contre les gais a été l’adoption en juin d’une loi interdisant la promotion de l’homosexualité auprès des mineurs. « Avec cette loi, les groupes néo-nazis ont senti qu’ils avaient le feu vert du gouvernement pour torturer les homosexuels, les forcer à sortir du placard et les conduire au suicide », dit M. Poltavtsev.
Dans le monde, de plus en plus de voix s’élèvent pour dénoncer la loi controversée. Le président américain Barack Obama, qui a annulé mercredi une rencontre au sommet avec M. Poutine, a déclaré n’avoir « aucune patience pour les pays qui tentent de traiter les gais, lesbiennes ou transgenres de façon à les intimider ou à leur faire du mal. »
Le premier ministre canadien Stephen Harper a a déclaré hier: « On n'emprisonne pas et on ne tue pas des gens pour des activités libres entre deux adultes ».
Plus tôt, le ministre des Affaires étrangères, John Baird, a qualifié la loi de « mesquine et haineuse », révélant que le Canada avait tenté, en vain, de convaincre la Russie de reculer. « C’est une incitation à l’intolérance, qui engendre la haine », a-t-il dénoncé.
Le ministre Baird refuse toutefois d'aller plus loin en invitant les Canadiens à s'abstenir de participer aux Jeux olympique de Sotchi, en février 2014. « Soyons clairs: les athlètes seront là-bas pour deux ou trois semaines, a-t-il dit hier. Les Russes, eux, devront se plier à cette loi 365 jours par année. Espérons que la décence l'emportera. »
À six mois des Jeux de Sotchi, les appels au boycottage se multiplient. Une pétition de 320 000 signatures a été déposée au Comité olympique international. Des groupes militants proposent même de tenir les Jeux... à Vancouver.
À Montréal, une veillée pacifique à la chandelle se tiendra mardi soir devant le consulat de la Russie.
Des manifestations ont déjà eu lieu dans plusieurs grandes villes occidentales.
En Russie toutefois, la nouvelle législation n’a guère suscité d’émoi. En fait, la vaste majorité des Russes l’appuient sans réserve. Elle s’inscrit dans un virage conservateur effectué par M. Poutine depuis son retour au Kremlin.
« Le gouvernement fait de nous des boucs émissaires afin de camoufler ses propres échecs économiques et sociaux », estime Nikolaï Alekseïv, figure de proue du mouvement gai russe, joint par
à Moscou. « C’est aussi une façon pour le Kremlin de défier l’Occident, de montrer aux Russes qu’il se bat contre les valeurs immorales des pays occidentaux. »« Inciter à la haine et à la violence contribue à diviser la société civile et à garder le contrôle », analyse de son côté M. Poltavtsev, qui craint de voir la Russie reprendre les traits de l’empire soviétique. « L’espace accordé à la liberté d’expression rétrécit sous nos yeux. »
Aujourd’hui, les homosexuels russes préfèrent garder un profil bas. « Si vous restez discret, ce n’est pas vraiment dangereux d’être gai en Russie, dit M. Alekseïv. Mais il y a de plus en plus de cas de violences homophobes. Cette hostilité envers la communauté gaie existait avant, mais c’était latent. Désormais, les autorités alimentent le feu, qui grossit et grossit. »
À Volgograd, un gai de 23 ans a été battu à mort. À Moscou, un journaliste vedette a été congédié après avoir révélé son homosexualité en ondes. Par prudence, plusieurs mènent une double vie, allant même jusqu’à célébrer de faux mariages. « Si vous êtes démasqués, vous pouvez faire une croix sur votre carrière. Vous êtes fini, soutient M. Poltavstev. La situation est pire dans les régions rurales et les petites villes. »
À Kamensk, le D
Degterev en sait quelque chose. Malgré les nombreuses vidéos incriminantes qu’il a accumulées, il affirme n’avoir reçu aucun soutien de la police locale. Pire, les fascistes menacent maintenant de le tuer, et de s’en prendre à sa mère de 72 ans. « Les autorités n’ont pas intérêt à le protéger. Elles le voient comme une nuisance qui ternit l’image du pays à la veille des Jeux olympiques », dit M. Poltavstev.Malgré les menaces, le D
Degterev n’entend pas lâcher prise. « Je vais continuer à me battre contre les nazis. Il y a du fascisme aujourd’hui en Russie. Du vrai fascisme. »