Geneviève Pettersen  La déesse des mouches à feu

Du venin dans la fleur

Adolescente à Chicoutimi, Geneviève Pettersen lisait Moi, Christiane F., 13 ans, droguée prostituée et trouvait bien attirant le côté sulfureux de cette histoire. Ce livre, qui a marqué des générations d’ados, visait pourtant davantage à leur faire peur qu’à les inspirer. « Pour moi et beaucoup de mes amies, ça a eu l’effet contraire. Berlin, David Bowie, la mode, même ses bottes… tout ce que je voyais, c’était : ça rocke, son affaire ! »

Catherine, la jeune narratrice de La déesse des mouches à feu, est elle aussi fascinée par Christiane F. À 14 ans, ses parents viennent de se séparer, elle s’est fait une nouvelle bande d’amis avec lesquels elle se retrouve régulièrement dans un campe dans le fond du bois, se défonce plusieurs fois par jour – mescaline, LSD, toute une panoplie de drogues synthétiques-, fait diverses expériences sexuelles.

On le comprend, Geneviève Pettersen ne fait pas dans la dentelle dans ce premier roman fort éloigné des conseils domestiques de madame Chose, son alter ego médiatique, chroniqueuse à La Presse et blogueuse, « croisement entre Janette Bertrand et Jehane Benoît », écrit-elle sur son blogue. Ses fans seront peut-être surpris… « Peut-être, mais je pense qu’ils y sont bien préparés. Ils sont habitués à ce ton grinçant et in your face. La table est mise. »

Cru, direct, parfois violent-« C’est très dur, un peu comme Lord of the Flies, tu ne te sens pas tout le temps bien »-, Geneviève Pettersen a écrit un livre d’adulte sur l’adolescence, dans lequel sa narratrice vit « en temps réel » toutes sortes d’expériences. Une héroïne qui est un peu une « p’tite chriss », égoïste, injuste, superficielle, extrême et déstabilisante, mais probablement plus fragile qu’elle m'en a l’air.

« Elle peut être autant victime que bourreau. Je tenais à ce regard objectif, à cette absence de jugement mais aussi de recul. Tout ce que je dis, c’est voici l’univers de ces jeunes, ce qu’ils écoutent, comment ils s’habillent, en évitant les clichés et en n’expliquant rien. »

Geneviève Pettersen ne fait pas que nous montrer Catherine et son entourage, elle nous les fait aussi entendre avec une justesse fascinante. « C’était LA chose la plus importante pour moi. Que mes personnages parlent la langue que les gens parlent au Saguenay. » Expressions imagées, mots inventés, construction de phrases fantaisiste, références culturelles : le langage vernaculaire de l’est du Québec est probablement le personnage le plus important du roman.

« Je voulais aller chercher ce grain oral. C’est dangereux de trahir son livre lorsqu’on l’uniformise dans un français international. Je veux que les gens du Saguenay s’y reconnaissent. En même temps, je ne voulais pas que ça fasse folklorique, je voulais un parler contemporain. »

Un travail rigoureux et minutieux qui l’a forcée à s’interroger constamment sur les lignes à franchir, à placer des indices pour qu’un lecteur extérieur saisisse l’essence de certaines expressions, et aussi à respecter le champ lexical limité de sa narratrice. « Je devais me battre avec mon propre vocabulaire. J’étais enfermée dans un petit rond et devais en sortir le moins possible. Même si, des fois, j’ai inséré des petites tricheries, pour diversifier l’affaire… »

Raconteuse

Blogue, chroniques, articles, romans : quel que soit le genre d’écriture qu’elle aborde, Geneviève Pettersen se décrit d’abord comme une raconteuse d’histoires. Si, au départ, elle s’attendait à ce que La déesse tombe davantage dans l’autofiction – « c’est peut-être plus confortable pour un premier roman »-, ce n’est finalement pas le cas. Elle s’est laissé prendre au jeu de son imagination et s’est vraiment « lâchée » en chemin.

EXERGUE

« Je revendique mon droit à la fiction ! Comme tous les écrivains, je pars de moi, il y a des anecdotes qui sont à la base de certaines scènes, mais Catherine, ce n’est pas moi. J’ai eu une adolescence rock and roll, mais rien comme cette fille-là ! »

FIN EXERGUE

L’auteure de 31 ans refuse aussi l’étiquette trash qu’on risque de lui accoler. « Même que le trash pour le trash, ça m’emmerde assez. Là, je raconte une histoire, et ça adonne que, dedans, il y a des bouts trash. » Elle ne pouvait faire autrement, croit-elle, puisqu’elle a choisi de capter ce moment où l’enfant devient ado, où il commence à y avoir « du venin dans la fleur ».

« Les filles qui commencent à se masturber, à avoir envie de faire l’amour, on ne veut pas voir ça parce que c’est confrontant. Mais ce n’est pas trash, c’est juste montrer ce qu’est un ado pour de vrai. Pas ce que je pense que ça doit être, mais un portrait sans censure. Parce que Catherine, elle ne se censure pas tant ! »

Le roman se termine avec le déluge de 1996. Catherine voit la maison de son enfance emportée par le courant, une scène très lyrique qui laisse entrevoir que les choses n’iront pas mieux pour elle. « C’est une fin fataliste, c’est l’apocalypse. Mais mon livre se passe l’année du déluge, je ne pouvais pas ne pas en parler ! C’était tellement capotant, tellement sans commune mesure avec rien… En même temps, comme c’est Catherine qui raconte, on imagine qu’elle s’en sortira. »

Son prochain roman parlera encore de l’adolescence, mais « plus tard ». Et la fin ouverte lui permettrait de faire revivre Catherine… « Je ne peux pas le confirmer parce que j’en suis aux balbutiements. Je vais me laisser une petite chance ! Mais ce monde-là m’habite beaucoup ces temps-ci. »

En tout cas, elle a encore plein de livres dans la tête. « Mais je vais continuer de jongler avec cette double personne. C’est assez l’fun. » Elle n’a rien contre madame Chose, au contraire : après des années à travailler sur commande, dans la pub et des magazines, c’est ce personnage qui lui a permis de retrouver sa « voix » d’écrivaine.

Ce qui est certain, c’est que Geneviève Pettersen a encore plein d’histoires à nous raconter.

La déesse des mouches à feu

Geneviève Pettersen

Le Quartanier, 204 pages

Extrait

« Ça s’est passé le 18 juillet 1995. Je m’en rappelle parce que c’était le jour de ma fête. Le 18 juillet, mon père a sacré le Grand Cherokee de ma mère dans un arbre au bout de l’entrée chez nous. Les anciens propriétaires avaient installé deux courts de tennis en avant, tellement le terrain était immense. On arrivait à la maison par un chemin de gravelle, pis y avait un rond-point plein de tulipes devant la véranda. C’était une grosse bâtisse victorienne vert pomme avec des pignons de tôle grise pis une piscine creusée dans la cour. Mon père avait fait enlever les deux terrains de tennis quand il avait acheté la maison. Il trouvait ça frais chié, pis ma mère aimait mieux avoir des plates-bandes à la place. »

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