Chronique

Le livre contre l’asphalte

L’une des courses à la mairie qu’il faudra suivre en novembre prochain est sans doute celle qui se jouera à Gatineau. Nous assisterons à un duel entre deux candidats dont l’enjeu sera l’amélioration des bibliothèques publiques.

Oui, vous avez bien lu. Le maire Maxime Pedneaud-Jobin, en place depuis quatre ans, a décidé de faire de cet objectif audacieux l’atout de sa campagne. Non, il n’est pas tombé sur la tête. Et non, il ne prend pas de LSD. Ce maire veut améliorer le sort des bibliothèques sur son territoire. Il veut même augmenter leur nombre.

Maxime Pedneaud-Jobin a comme projet de créer une nouvelle bibliothèque dans le secteur du Plateau. Celle-ci coûtera environ 13 millions de dollars. Le conseil municipal a déjà approuvé ce projet qui accuse un certain retard.

Le maire désire également agrandir deux bibliothèques de l’immense territoire gatinois, soit celle située à la Maison de la culture de Gatineau (bibliothèque Guy-Sanche) et une seconde dans le secteur Aylmer (bibliothèque Lucie-Faris). Ces travaux coûteraient environ 46 millions de dollars.

Ce n’est pas tout : le maire caresse le rêve de voir un jour une grande bibliothèque centrale érigée au centre-ville pour remplacer celle qui se trouve à la Maison du citoyen (hôtel de ville).

Je me suis entretenu avec Maxime Pedneaud-Jobin. Ce dernier croit dur comme fer qu’il faut améliorer l’état de ces institutions. Pour lui, cela est essentiel à la vie de ses citoyens. Il m’a parlé avec passion du rôle des outils du savoir dans l’évolution d’un être humain, particulièrement quand il est jeune. Il a évoqué Jules César, qui fut le premier à ériger la bibliothèque publique de Rome. Il était tôt le matin, je sirotais un latte et ses propos ont eu l’effet d’un double espresso.

Quoi, un maire veut investir dans des livres et des outils modernes pour enrichir la connaissance de ses citoyens ? Ce gars-là est-il le petit-fils illégitime de mère Teresa ou la réincarnation de l’empereur Auguste ?

Maxime Pedneaud-Jobin m’a dit à quel point les bibliothèques sont de loin les lieux les plus fréquentés par les citoyens. Plus que les arénas, plus que les centres sportifs, plus que les salles de spectacle. Cette information m’a été confirmée par l’Association des bibliothèques publiques du Québec.

Il m’a aussi rappelé que Gatineau représente le deuxième pôle d’immigration au Québec après Montréal et a affirmé que les bibliothèques deviennent un endroit de prédilection pour les nouveaux arrivants pour qui les livres sont un moyen de s’intégrer à notre culture.

Évidemment, les visées de Maxime Pedneaud-Jobin ont rapidement créé une division au sein des 18 conseillers de districts qui siègent en majorité à titre d’indépendants à Gatineau. Certains demandent au maire de modérer ses ardeurs.

Un conseiller en particulier, Denis Tassé, voudrait que le maire « rééquilibre » les choses. Il entend par là que Maxime Pedneaud-Jobin devrait aussi penser aux routes, à l’asphalte et aux infrastructures, qui, selon lui, ont un grand besoin d’amour.

Alors, nous y voilà ! À l’inévitable opposition entre savoir et bitume, entre « cultureux » et « asphaltistes ».

C’est à cette bataille que les électeurs gatinois vont assister au cours des prochains mois, car Denis Tassé a décidé de se présenter à la mairie face à Maxime Pedneaud-Jobin et de faire campagne sur d’autres bases.

M. Tassé, à qui j’ai parlé, est un homme d’affaires bien connu de l’Outaouais. Il a longtemps dirigé l’empire d’alimentation que son père, Eugène, a mis sur pied dans les années 50. Conseiller municipal depuis 11 ans, Denis Tassé ne pensait pas s’engager un jour sur la voie de la mairie. Mais des conseillers sont venus le voir récemment pour lui demander de se présenter.

Denis Tassé a tenu à me préciser qu’il n’était pas contre les bibliothèques, bien au contraire. Mais il croit qu’on ne devrait pas injecter autant d’argent dans ces lieux de la culture et du savoir. « Nos rues sont dans un état pitoyable. On n’a pas les moyens de mettre autant de millions dans les bibliothèques dans un tel contexte. »

Denis Tassé dit viser la « satisfaction des citoyens ». L’un de ses mantras est : « Quand on est maire, on doit faire ce que le citoyen veut et pas faire ce que l’on voudrait faire. »

Cette valse-hésitation entre les infrastructures routières et les bibliothèques revient très souvent au Québec. Ève Lagacé, directrice générale de l’Association des bibliothèques publiques du Québec, m’a confié que les conseils municipaux et les citoyens débattaient régulièrement de cela.

« Si ce n’est pas les bibliothèques et l’asphalte qui suscitent un débat, c’est alors les bibliothèques et les salles de spectacles ou les bibliothèques et les centres sportif. On voit trop souvent les bibliothèques comme des lieux qui ne rapportent pas. »

— Ève Lagacé, directrice générale de l’Association des bibliothèques publiques du Québec

Voilà l’erreur que nous commettons : croire que les investissements dans les bibliothèques ne rapportent pas. À ce titre, l’asphalte ne rapporte pas non plus. Et si j’en juge par le résultat observé ces dernières décennies, non seulement cela ne rapporte pas, mais il s’agit plutôt d’un gouffre sans fond dans lequel on injecte des millions et des millions avec le résultat que l’on découvre des crevasses et des nids-de-poule au bout de quelques mois.

Alors, tant qu’à nourrir un gouffre, je préfère nettement que ce soit le cerveau, particulièrement celui d’un enfant et d’un adolescent. Parce qu’une fois que ce cerveau sera nourri, il comprendra mieux les poseurs d’asphalte véreux lorsqu’ils viendront exposer leurs machinations machiavéliques devant des commissions d’enquête.

Les bibliothèques sont les endroits les plus fréquentés

En 2014, il y a eu…

26 384 629 entrées dans les bibliothèques

18 860 255 entrées dans les cinémas

13 775 409 entrées dans les musées

6 798 593 entrées dans les salles de spectacle

1 598 479 entrées lors de la saison régulière du Canadien de Montréal

Source : Association des bibliothèques publiques du Québec

Le fonctionnement des bibliothèques publiques

Il y a deux grands types de bibliothèques : les bibliothèques publiques autonomes et les bibliothèques publiques affiliées.

Les bibliothèques publiques autonomes servent habituellement les municipalités de plus de 5000 habitants. Les bibliothèques affiliées servent les municipalités de moins de 5000 habitants.

La Grande Bibliothèque, située à Montréal, gérée par Bibliothèque et Archives nationales du Québec, tient lieu à la fois de bibliothèque publique et de bibliothèque nationale.

Les bibliothèques peuvent relever d’une municipalité ou encore être gérées sous forme de corporation.

Les municipalités sont responsables de la création ou de l’amélioration des bibliothèques. Ce sont également elles qui paient les salaires des employés et les acquisitions.

Les municipalités peuvent obtenir des subventions pour construire ou améliorer leurs bibliothèques.

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