À VOTRE TOUR

Lettre à une jeune travailleuse de la construction (d’histoires)

L’été, les vacances… Enfin du temps pour écrire !

Je sais bien que profiter de ses vacances estivales pour écrire paraîtra saugrenu aux yeux de la plupart d’entre vous. D’accord pour les voyages, les spectacles et les activités de plein air, mais écrire ? Pas question !

Pour moi qui enseigne pendant 10 mois et écris quand je le peux, les choses sont différentes. Bien sûr, j’aime également pouvoir exploiter ma liberté estivale à fond pour bouger et voyager, mais le fait est que j’aime écrire. Que j’ai besoin d’écrire. Et pour y arriver, la seule matière première vraiment nécessaire, c’est le temps. Temps dont je suis, je l’admets, très jaloux.

Toujours est-il que le 20 juin dernier, en fin d’après-midi, alors que je programmais une réponse automatique d’absence du travail dans ma messagerie, j’ai reçu un courriel. Quoi ? Une élève ?

Elle – appelons-la Marie-Sophie – me confie que pour son projet personnel de fin d’études, elle a décidé de relever un défi : écrire un roman. Elle aimerait que je l’aide à cheminer. Là, tout de suite, cet été. « Sache que je suis extrêmement motivée dans ce projet et que je serais très heureuse de pouvoir travailler avec toi. »

Je lui ai répondu aussitôt. Ô si tôt.

« Bravo, Marie-Sophie !

Nous en reparlerons à la rentrée !

Bonnes vacances ! »

Ce message envoyé, je me suis immédiatement senti « cheap » et incohérent. Elle veut écrire et elle dispose de plus de deux mois pour le faire. Le temps qu’offrent les grandes vacances est aussi précieux pour elle que pour moi. Et si elle a su mobiliser son courage pour me demander de l’aide, c’est qu’elle avait, en quelque sorte, foi en mes compétences.

Je me suis donc repris dans un deuxième courriel en lui conseillant d’écrire un premier jet le plus vite possible, sans censure ni rature. Je lui ai aussi recommandé un ouvrage sur l’écriture que je considère comme incontournable pour un débutant : L’Art d’écrire, de Pierre Tisseyre.

Elle m’a répondu vers 23 h, le soir même, pour me dire qu’elle avait terminé le livre de Tisseyre. Je ne sais pas vous, mais moi, j’ai été impressionné. En quelques heures seulement, elle a déniché un exemplaire de L’Art d’écrire, et l’a dévoré. Elle m’a aussi partagé son début de manuscrit. Bon.

Dès lors, ma conscience d’enseignant a repris le dessus sur mon égocentrisme estival. Je me suis promis de lui offrir quelque chose de plus substantiel pour l’aider dans ses débuts. Et j’y arrive.

L’objectif de Marie-Sophie – écrire un roman – constitue, pour beaucoup de gens, un véritable rêve. Quelques-uns perçoivent l’écriture comme une porte d’accès à la gloire en se projetant dans le conte de fées qu’a vécu J.K. Rowling. D’autres y voient un projet de retraite, un exutoire, un mode de vie même. Dans mon cas, au fil du temps, l’écriture est devenue une voie d’accès privilégiée vers l’accomplissement de soi. J’ai donc entrepris de lui détailler ma propre perception – qui diffère de celle de beaucoup d’écrivains — de la route à suivre pour réussir à écrire un roman. En vaquant à mes tâches domestiques, j’ai pris quelques notes, éparses, que j’ai ensuite tenté d’organiser. Il en a résulté une métaphore un peu simpliste que je tente, ici, de rendre éloquente.

« Chère Marie-Sophie,

[En sortant les ordures et les trucs destinés au bac de recyclage.]

Écrire un livre, c’est construire une maison.

[En me rendant à la boîte aux lettres, au coin de la rue.]

D’abord, il te faut un terrain, une idée de départ. Un personnage, une situation, un but, une atmosphère.

[Alors que j’ouvrais la porte du cabanon.]

Il te faut ensuite un plan, sinon impossible d’obtenir un permis de construction ! L’important, c’est qu’il existe. Qu’il précède le travail d’écriture, du moins pour tous ceux, comme moi, qui ne peuvent écrire au même rythme chaque semaine. Ce plan permet de tester et de développer l’idée de départ. Il sert aussi d’aide-mémoire et il rend possible le fait de changer d’idée. Car comment pourras-tu dévier de ce qui est prévu si rien n’est prévu ?

[Alors que je tondais la pelouse.]

Écris vite. Cet empressement dans l’exécution t’évitera de tomber dans ces pièges qui peuvent totalement juguler le désir d’écrire. Je parle ici du doute, d’une trop forte autocritique, du découragement. Il te sera toujours possible, par la suite, de revenir sur ton texte, de le corriger, de l’améliorer. De l’amputer des segments jugés, après coup, inutiles, ou d’y ajouter des compléments qui, à la relecture, t’apparaîtront essentiels. N’attends pas trop donc. Écris.

[En taillant l’herbe encore haute le long des clôtures et de la maison.]

Pendant cette phase d’écriture précipitée, que Stephen King nomme « porte fermée » (Écriture – Mémoires d’un métier, Albin Michel, 2001 : autre bonne référence !), garde ton histoire secrète : n’en parle à quiconque. Ne la fais lire à personne. Les commentaires d’autrui risquent de te faire dévier de ton idée de départ, de disperser ton attention, de faire éclater ta bulle.

Pour construire une maison donc, il y a des étapes à franchir, chronologiquement et structurellement parlant. D’abord les fondations et ensuite la charpente (la structure de l’histoire, puis celle du récit). Viennent les planchers, murs, portes et fenêtres (phrases, paragraphes et chapitres). Enfin, place à la finition : plâtre, moulures, peinture et couvre-planchers. Il s’agit, à cette étape, de voir à la justesse des dialogues, à la pertinence des descriptions, à la cohérence des faits, à la correction de la langue. Au fond, ici, tu inspectes tes travaux. Et quand tu t’en déclareras satisfaite, tu pourras enfin t’autoriser à sortir de ta bulle. Pas avant.

[En sarclant les platebandes.]

Cet isolement est important, car écrire s’apprend seul. Je ne parle donc pas de technique (grammaire, vocabulaire, narration, etc.), mais bien d’expérience. En cas de blocage ou d’interrogation, relis des passages d’un roman que tu aimes bien, d’un écrivain que tu considères comme un modèle, et essaie de comprendre comment, lui, il procède. Note les questions que tu te poses et continue à travailler. Les réponses viendront.

[En arrosant les plants de tomates.]

L’étape de la finition passée, quand tu te sentiras provisoirement satisfaite de ton travail, il sera temps pour toi d’ouvrir la porte. À ce stade, il faut te sentir prête à être évaluée. De plus, il est impératif de t’adresser à quelqu’un qui a un sens critique très aiguisé (professeur, réviseur, éditeur). Ce point de vue extérieur te sera utile non seulement pour améliorer ce qui n’est pas encore à point, mais aussi et surtout pour te permettre de tirer des leçons de cette évaluation, et de progresser.

[En balayant le perron de la maison.]

Il y a deux sujets de taille que je n’ai pas encore abordés : le talent et l’inspiration. Marie-Sophie, si jamais, cet été ou plus tard, tu t’interroges au sujet de ton talent, car tu crains de n’en avoir point hérité, remplace le mot talent, dans toutes tes réflexions, par les mots « temps » et « travail ». Ainsi, la phrase « Il faut beaucoup de talent pour écrire un roman » deviendra « Il faut beaucoup de travail et de temps pour écrire un roman. » Le reste ne dépendra que de toi.

Quant à l’inspiration, on a dit trop de choses à son sujet, et pas souvent les bonnes. À l’instar du talent, cette notion parfois décrite comme un cadeau venu de nulle part tend à laisser croire aux gens qu’ils ne contrôlent rien, ce qui est faux. L’inspiration, c’est ce à quoi on attribue les bonnes idées. Il s’agit, Marie-Sophie, des réponses que tu trouves aux questions que tu te poses. Toutefois, s’immobiliser pour attendre l’inspiration est futile. C’est en écrivant qu’elle se manifestera. (À ce sujet, je te recommande le film À la recherche de Forrester, avec Sean Connery.) Et si, un jour, tu te découvrais vraiment paralysée sur le plan créatif, laisse tout de côté et sors les poubelles, va chercher le courrier, tonds la pelouse et arrose les tomates. En occupant tes mains, tes pensées se remettront en mouvement et tu devras vite interrompre ces tâches pour noter la solution que tu recherchais.

En terminant, Marie-Sophie, tu as sûrement déjà remarqué que ma métaphore est imparfaite. L’une des différences les plus fécondes entre construire une maison et écrire une histoire réside dans le fait que cette maison, tu ne pourras l’habiter qu’une fois qu’elle sera terminée. Ton histoire, quant à elle, tu commenceras à l’habiter sitôt la première phrase écrite. Une fois terminée toutefois, c’est elle qui t’habitera et meublera ainsi ton imaginaire aussi bien que celui de tes lecteurs, que je te souhaite nombreux.

Voilà.

Bon été !

Écris.

S.

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