ÉDITORIAL INDUSTRIE MUSICALE

Sueur contre miettes

Il n’y a rien comme la mort pour aider l’œuvre d’un artiste. Le décès inattendu de Prince a propulsé ses albums au sommet des palmarès. Sur l’internet, par contre, sa musique reste presque introuvable. Il n’y a qu’une poignée de chansons sur YouTube ou Spotify.

L’artiste refusait d’y diffuser sa musique. C’était pour des raisons esthétiques, car on y charcute les albums en tubes pour consommation rapide. Et aussi pour des raisons commerciales, à cause des miettes versées aux artistes.

Il reste pourtant un peu de tarte à distribuer. Bien sûr, l’internet a saigné les revenus de l’industrie de la musique. Mais la chute brutale s’est arrêtée l’année dernière. Pour la première fois, les revenus ont augmenté de 3 %.

Même si elle ne compense en rien une décennie pénible, cette hausse démontre qu’il existe peut-être une piste d’atterrissage.

Le nouveau marché passe par les sites d’écoute en continu (streaming). Aux États-Unis, ces revenus dépassent désormais ceux des ventes de chansons et albums numériques, et aussi ceux des ventes physiques (CD et vinyles).

Ce renversement ne s’est pas encore opéré au Québec, mais la tendance reste la même. Jusqu’où mènera-t-elle ? Difficile à dire. Le marché est « encore en transition », résume le rapport synthèse à ce sujet de l’Institut national de la recherche scientifique.

On peut toutefois déjà tirer deux conclusions. Dans le nouvel univers numérique, nos artistes ne sont pas assez payés. Et ils ne sont pas assez vus.

RÉMUNÉRATION

YouTube est le site le plus populaire d’écoute en continu. À lui seul, il dépasse Spotify et Apple combinés. Mais il ne fournirait que 4 % des revenus de l’industrie. La raison : la vaste majorité des internautes préfèrent ne pas s’abonner, quitte à devoir subir des pubs.

L’espoir d’une rémunération plus juste se trouve dans les sites payants. Du moins, en théorie… Car en pratique, les créateurs y reçoivent aussi des miettes de peanuts.

Le droit d’auteur est complexe. Les prestations varient selon le type d’écoute (liste de lecture, choix personnels, etc.) Elles peuvent être négociées par les étiquettes de disques ou conventionnées par la Commission du droit d’auteur du Canada.

Cette catégorie est risible. Un artiste reçoit l’équivalent d’une cenne noire par 100 écoutes.

Ce tarif, qui est en révision judiciaire, devrait être haussé.

Quant aux tarifs négociés, il faudrait plus de transparence. L’opacité règne encore sur les nouvelles plateformes, et moins on peut suivre l’argent, moins on peut négocier.

Les chiffres confondent en effet. Spotify vaut des milliards, mais dit enregistrer des déficits. On a envie de citer Jean Leloup : « Mais où va tout le pognon ? »

VISIBILITÉ

Comme Prince, Adele et Taylor Swift ont boycotté des sites d’écoute en continu. Nos artistes n’ont pas les moyens de les imiter.

Ils essaient au contraire d’émerger dans cet océan de contenu. D’appâter les internautes, pour qu’ils achètent ensuite un billet de concert, un t-shirt ou peut-être même un bon vieil album.

Or, il se vend une moins grande proportion de musique québécoise sur l’internet que dans les magasins de disques.

Le web est plus difficile à contrôler. Par exemple, les quotas francophones pour les radios s’appliquent difficilement aux sites d’écoute en continu, dont les algorithmes restent mystérieux. Il faudra des stratégies de promotion inventives. Peut-être des pages d’accueil ou des listes de lecture spécifiques pour le Québec.

Les consultations annoncées par le fédéral et le provincial serviront à y réfléchir.

UNE SOLUTION CONTROVERSÉE

La solution la plus controversée, mais possiblement la plus lucrative, serait d’imposer une redevance aux fournisseurs d’internet.

Sur papier, l’idée est logique. À la fin des années 90, environ 5 % des dépenses des Québécois allaient à la culture. Aujourd’hui, ils dépassent cette somme pour acheter la technologie qui donne un accès gratuit à la culture.

En pratique, cela pose toutefois trois problèmes majeurs. L’accès à l’internet est devenu un service essentiel qui ne sert pas qu’à la culture ; il est déjà trop cher ; et une hausse risque d’être refilée aux clients.

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