Chronique

Le faux débat du décrochage au Québec

Saviez-vous qu’un élève qui échoue à son cours de maths de 4e secondaire est considéré comme un décrocheur ? Qu’il fait partie des 36 % d’élèves souvent qualifiés de décrocheurs, même s’il réussit tous ses autres cours ? Tous sauf un.

Est-ce vraiment l’image qu’on a en tête quand on pense aux décrocheurs ?

J’enrage chaque fois que je lis des analyses sur le taux élevé de décrochage au Québec (ou le faible taux de diplomation après cinq ans). J’enrage parce qu’on revient constamment sur notre retard abyssal sur les autres provinces, alors que ce retard abyssal, il n’existe pas. Ce qui existe, ce sont des systèmes d’éducation très différents, qui sont difficiles à comparer.

Je prends le cas des maths à dessein, car il illustre à merveille l’une des raisons – pas la seule – qui expliquent pourquoi le Québec a un taux si élevé de « décrochage », selon les données de Statistique Canada.

Les élèves du Québec, faut-il savoir, sont nettement plus forts en maths que ceux d’ailleurs au Canada et que de la plupart des pays du monde. Cette prédominance ne date pas d’hier : tous les tests depuis un quart de siècle, tant canadiens qu’internationaux, le confirment.

La barre est plus haute au Québec

Pourquoi sommes-nous si forts en maths et avons-nous, en même temps, un taux de diplomation au secteur public si faible par rapport aux autres ? L’une des raisons, justement, c’est que nos cours de maths sont plus exigeants, qu’ils produisent des enfants plus solides, mais aussi qu’ils entraînent plus d’échecs, dont plus de « décrochage ».

Vous ne me croyez pas ? C’est pourtant clair quand on analyse les derniers résultats du Programme pancanadien d’évaluation, rendus publics il y a 10 jours. On a fait passer le même examen à 27 000 élèves représentatifs de 2e secondaire (8e année) dans les 10 provinces.

Ainsi, les provinces qui ont les pires résultats sont aussi celles qui ont les meilleurs taux de diplomation au secondaire. Curieux, non ? Les élèves de Nouvelle-Écosse ont obtenu des résultats désastreux en lecture, en sciences, mais surtout en maths, où ils finissent bons derniers au Canada, mais la province a le plus fort taux de diplomation au pays (84 %). Constat très semblable pour le Nouveau-Brunswick, le Manitoba, la Saskatchewan et Terre-Neuve.

À l’inverse, le Québec a le pire taux de diplomation après cinq ans, même en incluant le secteur privé (environ 69 %), mais ses élèves réussissent mieux que les autres quand on leur donne le même examen. 

Dit autrement, la barre est plus haute au Québec que dans bien d’autres provinces. Prenez un élève moyen de Nouvelle-Écosse ou du Manitoba, faites-lui passer notre cours de maths, et il risque fort de devenir « décrocheur » lui aussi.

Parlez-en aux Ontariens. Dans la province voisine, le débat récurrent ne porte pas sur le gros taux de « décrochage », mais sur les moins bons résultats en maths en comparaison avec le Québec. Est-ce nos profs qui sont mal formés, nos méthodes, notre culture ? se demandent-ils.

Vous ne me croyez pas ? Alors, comment expliquer que la note de passage des cours est de 60 % au Québec, contre 50 % dans toutes les provinces canadiennes ? Pourquoi le diplôme est-il obtenu après des examens ministériels centralisés au Québec, mais pas en Ontario ?

Oui, mais ne donne-t-on pas certains diplômes au rabais au Québec, comme les certificats, ce qui fait gonfler nos chiffres ?

Soit, peut-être y a-t-il des abus, mais ces diplômes sont ni plus ni moins la réponse du système à une évidence vécue partout en Occident : ce ne sont pas tous les élèves qui peuvent réussir certains cours de maths, ou certaines analyses littéraires de 5e secondaire. 

Est-ce que, pour autant, les gars qui échouent à ces cours vont faire de mauvais briqueteurs, plombiers, chauffeurs de camions lourds ?

Des diplômes au rabais, il y en a aussi en Ontario et en Nouvelle-Écosse. Il y en a même en Finlande, pays pourtant adulé en éducation, où j’ai été reçu en visite dans une école : vers l’âge de 14-15 ans, on y sépare les élèves doués des autres et l’entrée à l’université est réservée aux meilleurs, point.

Oui, mais notre système a empiré depuis cinq ans, avec « l’austérité ».

Peut-être, mais ça ne paraît pas dans les récents résultats des examens pancanadiens : entre 2010 et 2016, nos résultats en maths, en lecture et en sciences sont tous en forte hausse, davantage qu’ailleurs au Canada.

Autre élément : nos « décrocheurs » finissent par obtenir leur diplôme au cours des années suivantes, si bien que c’est au Québec qu’un élève a la plus forte probabilité (98 %) d’avoir un diplôme du secondaire au Canada, loin devant la moyenne canadienne (87 %), selon Statistique Canada.

Pourquoi j’écris cela ? Parce que cette autoflagellation récurrente de notre système d’éducation ne nous aide pas à prendre de bonnes décisions, elle nous nuit. Et la dernière chose dont on a besoin dans ce monde hyper concurrentiel, c’est de prendre de mauvaises décisions et d’entreprendre, ce faisant, une énième réforme.

Bien sûr, la lutte contre le décrochage doit demeurer un effort de tous les instants, bien sûr que le Québec a encore de grands efforts à faire, surtout chez les garçons. Et, oui, nous avons de féroces concurrents en Ontario et en Alberta, où les résultats aux examens sont aussi très bons, notamment en lecture.

Mais de grâce, cessons de nous flageller.

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