Entrevue

La fierté d’être mère
au foyer

Avec son livre Aimer, materner, jubiler (VLB éditeur), Annie Cloutier prend la défense des mères au foyer. Doctorante en sociologie à l’Université Laval, l’auteure a fait le choix de rester à la maison pour élever ses trois enfants qui ont aujourd’hui 10, 13 et 17 ans. Entrevue avec celle qui ose remettre en question le discours féministe sur la maternité.

Le discours féministe dominant prend-il vraiment compte des réalités des femmes d’aujourd’hui?

Le féminisme apporte plus qu’il ne nuit, mais au sujet de la maternité et de la vie de famille, je pense que sa position est trop théorique. Il se fonde sur des convictions et non sur des observations. Les idéologies simplifient et figent des aspects de la réalité. Le discours féministe plaît aux femmes jusqu’au jour où elles se frottent aux choix réels de la vie de mère de famille. Elles se rendent compte de la difficulté à vivre jusqu’au bout le modèle proposé par le féminisme dominant. C’est là où les femmes qui seront peut-être épuisées et ambivalentes entre leur vie professionnelle et leurs enfants se poseront de sérieuses questions. Les féministes sont conscientes qu’il y a quelque chose qui ne cadre pas tout à fait entre leur discours et la maternité. Et surtout, ça ne rentre pas dans la théorie de voir des femmes déchirées au quotidien.

Selon les féministes, les femmes devraient à tout prix avoir un emploi rémunéré qui garantit leur indépendance.

Les femmes font toutes des choix différents. Il y a des femmes de carrière qui ont de grandes ambitions et d’autres préfèrent consacrer quelques années de leur vie à leurs enfants en restant à la maison. Oui, le féminisme nous dicte de toujours avoir un emploi rémunéré qui garantit à la femme son indépendance financière essentielle. Moi, je dis qu’il faut faire des choix qui ont du sens pour soi-même. C’est ça, la véritable autonomie. Il faut respecter ces choix et ne pas les juger sévèrement. Oui, la maternité, le don de soi et le soin des enfants sont des valeurs nobles et c’est un choix possible, mais il ne faut pas être naïve et il faut se protéger financièrement, évidemment. C’est ce que j’ai fait dès le départ [et avant de se marier en 2012] en ayant un contrat d’union de fait qui me protégeait en cas de rupture. 

Pourquoi regarde-t-on les mères au foyer de travers, comme des femmes dépendantes et d’un autre temps?

Il y a des femmes au foyer qui sont mal à l’aise, surtout lors d’occasions sociales. À la question « que faites-vous dans la vie? », elles répondent « je suis à la maison », et d’un seul coup, il y a un silence de mort. Ce qui nous définit profondément aujourd’hui, c’est notre travail, notre métier. Les femmes au foyer, ça rend les gens mal à l’aise. Je reçois beaucoup de courriels de femmes qui me remercient de prendre leur défense. Heureusement que nous ne sommes pas ostentatoires ! Dans une société comme la nôtre, le paradoxe, c’est que tout le monde doit se réaliser soi-même sans que personne ne nous dise quoi faire… mais on souhaite la reconnaissance des autres. Chacun essaie d’inventer sa vie, mais quand le choix que tu fais n’est pas reconnu dans la société, ça devient difficile parfois d’assumer. Surtout quand les mères au foyer sont perçues comme un modèle à rejeter.

L’instinct maternel existe-t-il selon vous?

Le féminisme s’est beaucoup attaqué à l’instinct maternel. Il combat la plupart des prétentions à attribuer des causes naturelles à nos comportements. Comment savoir ce qui est biologique et la part du social et du culturel? Est-ce la société patriarcale qui nous a imposé cet instinct maternel ou est-ce qu’il existe biologiquement pour la survie de l’espèce? Pour moi, l’argument le plus important, qu’il soit biologique ou culturel, est que cet instinct est essentiel pour le bon développement des enfants. On ne peut pas tout nier sous prétexte que c’est ancré au plus profond de nos gênes. Le lien mère-enfant est tellement puissant, on ne peut pas en faire abstraction au nom de l’égalité. On ne peut pas dire non plus que toutes les femmes sont pourvues de manière identique de leur « équipement maternel » ni qu’elles l’utilisent de la même façon. Ici encore, nature et culture interagissent étroitement.

Est-il possible d’avoir une carrière et une vie de famille totalement satisfaisantes?

Il y a des femmes qui aspirent à tout avoir, carrière, enfants, mari, loisirs, et tout ça de manière ultra-équilibrée. Mais ça prend des capacités intellectuelles, des capacités d’organisation, de santé physique et mentale et de confiance en soi exceptionnelles. C’est un modèle de perfection qui n’existe pas ! La grande majorité des femmes ne réussiront jamais à devenir Sheryl Sandberg [numéro deux de Facebook] ! Vous voulez travailler tout en ayant une famille, oui, c’est possible, mais ces modèles sont un peu inaccessibles… Il devrait y avoir d’autres beaux exemples pour contrebalancer. Des femmes qui accomplissent des choses moins visibles dans l’espace public, à qui on ne donne pas la parole et qui contribuent à un meilleur milieu de vie. Des femmes qui militent pour des petites choses comme le maintien du parcours d’autobus pour les écoliers, la préservation de terrains patrimoniaux. On ne les voit pas dans les médias parce qu’elles ont une vie moins centrée sur le travail rémunéré, mais elles sont essentielles pour la communauté. La question à se poser, ce n’est pas comment tout avoir, mais comment choisir ce qui a du sens pour moi?

Le rapport des plus jeunes avec le féminisme est-il différent aujourd’hui?

Plusieurs sociologues notent que le rapport au travail est peut-être en train de changer chez les plus jeunes générations. Les jeunes femmes ont envie de s’épanouir autrement que dans leur vie professionnelle. En voyageant, en passant plus de temps avec leurs amis et leur famille, en étudiant plus longtemps. Leur perspective est différente. Les filles et petites-filles de féministes commencent à remettre en question certaines choses de la vie active… Elles ont hérité de la liberté de parole et de réflexion, de la capacité à s’affirmer. Elles disent, merci à vous mesdames, mais on va utiliser cette parole pour revendiquer une multitude de choix. Et ces choix passent parfois par un temps d’arrêt.

Aimer, materner,
jubiler

Annie Cloutier
VLB éditeur
232 pages, 24,95 $.

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