Science

Sous les vents de Jupiter

Depuis juillet 2016, la sonde spatiale Juno scrute Jupiter de fond en comble. Quatre articles détaillant les résultats de cette mission, accompagnés de photos époustouflantes, ont paru hier dans la prestigieuse revue scientifique Nature. Faits saillants des découvertes.

Sous les belles marbrures de Jupiter, c’était l’inconnu. Jusqu’à maintenant, on ne savait rien de la mécanique interne des magnifiques bandes colorées qu’on aperçoit à la surface de la planète. Or, des études rendues publiques hier nous apprennent que les bandes de Jupiter s’enfoncent jusqu’à une profondeur de 3000 km, soit l’équivalent de la moitié du rayon de la Terre.

« Certains chercheurs croyaient que ces structures étaient très profondes, d’autres pensaient qu’elles évoluaient seulement à la surface de Jupiter », explique Tristan Guillot, astrophysicien à l’Université Côte d’Azur, en France, et auteur de l’un des articles. « Ce qu’on arrive à voir avec Juno est à mi-chemin entre ces deux idées », précise-t-il.

Chacune des bandes à la surface de Jupiter est un puissant courant atmosphérique soufflant à une vitesse qui lui est propre. D’une bande à l’autre, la vitesse peut varier de 300 km/h.

Pour Luciano Iess, professeur à l’Université de Rome La Sapienza et responsable de l’un des instruments qui ont contribué aux découvertes, comprendre la circulation atmosphérique dans une planète gazeuse était « la plus grande question ouverte en science planétaire ».

« Les gens s’intéressent à Jupiter depuis très longtemps, mais jusqu’à maintenant, on ne savait pas ce qui se trouvait à l’intérieur », avance Yohai Kaspi, professeur à l’Institut Weizmann des sciences, en Israël, lui aussi auteur de l’un des articles.

Ce dernier est arrivé à la conclusion que 1 % de la masse de Jupiter était impliquée dans cette folle danse à la surface de l’astre. Les vents sont si puissants qu’ils changent de façon notable la distribution de masse de la planète et, de ce fait, perturbent le champ gravitationnel qu’elle génère.

Voir grâce à la gravité

« Il est très difficile d’obtenir de l’information sur l’intérieur d’une planète, explique Luciano Iess. Il faut faire usage de mesures indirectes, comme les champs gravitationnels et magnétiques. »

« Ce que nous avons mesuré, c’est la manière dont la sonde Juno tombe dans le champ gravitationnel de Jupiter. L’engin spatial devient alors une masse libre dont on mesure la vitesse depuis la Terre. »

— Luciano Iess, professeur à l’Université de Rome La Sapienza

Les scientifiques peuvent ensuite identifier les anomalies dans la vitesse de la sonde. Chaque anomalie les renseigne sur le champ gravitationnel de Jupiter, à partir duquel ils évaluent la profondeur des courants atmosphériques.

« C’est la première fois que nous avons une mesure aussi précise du champ gravitationnel de Jupiter », explique Tristan Guillot, qui parle d’une précision 100 fois plus grande qu’avant. « Maintenant, on peut voir des petits détails qu’on ne pouvait pas apercevoir auparavant », ajoute-t-il.

Impact galactique

« Je suis très impressionné par la qualité des mesures », commente Jonathan Gagné, astrophysicien de la Carnegie Institution de Washington, aux États-Unis, qui n’est pas impliqué dans les découvertes. « Les données sont si précises qu’elles resteront précieuses pendant très longtemps », ajoute-t-il.

En effet, les variations dans la vitesse de Juno à l’approche de Jupiter sont de l’ordre du millième de millimètre par seconde. Cela permet de détecter des différences de 0,0001 % dans le champ gravitationnel de la planète.

Loïc Albert, chercheur à Institut de recherche sur les exoplanètes, à Montréal, se réjouit également des découvertes publiées hier. « La grande nouveauté, c’est que nous avons enfin des mesures ! Avant, il fallait se fier exclusivement à nos modèles », explique-t-il. Dorénavant, les chercheurs pourront se baser sur des « assises solides » pour déterminer les courants à la surface des planètes gazeuses et des naines brunes (des astres à mi-chemin entre les planètes et les étoiles) ailleurs dans la galaxie.

« J’ai fait ma thèse il y a 20 ans sur Jupiter, raconte Tristan Guillot. Au fil des ans, il y a eu plusieurs missions proposées afin d’étudier Jupiter, mais aucune n’était retenue. Avec Juno, tous les scientifiques se sont assemblés pour faire une proposition commune, et cela explique le succès que nous voyons aujourd’hui. »

La mission-suicide de Juno

Depuis le 4 juillet 2016, Juno orbite autour de Jupiter. Depuis lors, elle effectue une rotation autour de la géante gazeuse tous les 53 jours. Sa trajectoire est très excentrique : avant de survoler Jupiter à tout juste 4000 km, elle s’en éloigne de plus de 8 millions de kilomètres. C’est lors des passages en rase-mottes au-dessus de la planète que Juno effectue l’essentiel de ses mesures scientifiques. Toutefois, c’est aussi au cours de ces survols rapprochés que Juno doit encaisser de puissantes radiations qui endommagent ses instruments. Dans quelques années, quand la sonde deviendra inutilisable, elle plongera au cœur de Jupiter, où elle se désintégrera.

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