Sentiers Notre-Dame-de-Katapakan

Le voyage intérieur

Parcourir 215 km à pied pour se rendre du Saguenay au Lac-Saint-Jean? Ampoules aux pieds, sac sur le dos, malgré la pluie et le vent: les gens qui détestent marcher peuvent arrêter ici leur lecture. Le pèlerinage de Notre-Dame-Katapakan est pour les gens qui aiment un peu, beaucoup, passionnément, à la folie marcher. Athées ou religieux? Aucune importance. Suffit d’être un peu nomade dans l’âme.

C’est au retour de son deuxième pèlerinage de trois mois sur le célébrissime sentier de Saint-Jacques-de-Compostelle que Sylvie Cimon a eu le déclic. «Et pourquoi on n’aurait pas quelque chose de semblable chez nous aussi?», s’est demandé cette mère de quatre enfants et autant de petits-enfants, consciente que tous n’avaient pas le temps ou les moyens financiers ou physiques de suivre son exemple. Or, des routes, ce n’est pas ce qui manque au Québec. Pas plus que les beaux paysages, les refuges et les marcheurs d’ailleurs. C’était décidé. Elle créerait un «Petit Compostelle» dans le coin de pays qui l’a vue naître.

Avec Florence Masson, Sylvie Cimon a passé les cinq années suivantes à répertorier les chemins existant dans la région, éprouvant les meilleurs tracés pour rejoindre deux étapes, recensant les possibilités de ravitaillement en cours de route, testant les hébergements, installant un nombre incalculable de balises pour mettre au monde, en 2009, ce sentier d’une douzaine de jours de marche. Sylvie Cimon ne s’en cache pas, elle est chrétienne pratiquante et c’est assurément pour cela que le sentier débute par la montée vers la vierge Notre-Dame-du-Saguenay et se termine à la grotte de Notre-Dame-de-Lourdes, à l’Ermitage Saint-Antoine de Lac-Bouchette. «Mais il ne faut pas être religieux pour faire un pèlerinage!», répétera-t-elle plusieurs fois quand nous testerons en sa compagnie des portions du circuit, consciente de l’effet repoussoir que peut avoir la connotation religieuse du mot «pèlerinage». Toutes les raisons sont bonnes de marcher. Se remettre en forme, oublier son ex, renouer des liens mère-fille, méditer, faire des rencontres ou tout simplement profiter de la beauté des paysages.

«On peut donc aussi considérer simplement que c’est le plus long sentier de marche reliant le Saguenay au Lac-Saint-Jean», souligne-t-elle. Et se concentrer davantage sur les attraits naturels, culturels et historiques, plutôt que religieux du Katapakan, un mot qui signifie «chemin» en montagnais, langue des autochtones de la région. On foule les rives d’une rivière Saguenay large comme un fleuve, d’un lac Chicoutimi grand comme une mer intérieure: il y a de quoi s’en mettre plein la vue.

Cela dit, aussi épatant soit-il, le circuit n’est pas pour tous. Oui, il faut être en forme et avoir une bonne endurance. «Je le conseille aux gens qui veulent s’entraîner pour aller à Compostelle», dit Mme Cimon, en experte. Et non, ce n’est pas toujours une partie de plaisir à l’état brut. Aucune portion du sentier n’a été construite exprès pour le Katapakan, ce qui implique qu’il a fallu définir le tracé en fonction des chemins déjà établis, même s’il s’agit parfois de routes secondaires – on se promène alors dans l’accotement, aux côtés des voitures et des camions – ou de chemins pour les véhicules tout-terrain. Pas très bucolique. Grosso modo, le quart du trajet se fait en bord de route, le quart sur des sentiers de randonnée, le quart dans des pistes cyclables, et le quart dans des villes et villages. Très souvent, le dénivelé n’est pas le principal défi pour les mollets, mais la dureté de l’asphalte ou du ciment des trottoirs.

À moins de partir en groupe organisé, il faut aussi faire preuve d’une bonne dose de confiance en soi et de débrouillardise. Le guide du pèlerin laisse beaucoup de latitude aux marcheurs (trop, trouveront certains), leur offrant le libre choix d’étirer les journées, d’en faire sauter quelques-unes, d’opter pour un hébergement ou un autre. Il faut bien connaître sa condition physique, ses limites, et être conscient que les étapes peuvent être plus pénibles si la pluie ou le froid se mettent de la partie. Du coup, si l’on choisit de réserver toutes ses paillasses avant de partir, on pourrait se retrouver bien embêtés lorsque, au gré d’une étape plus pénible, on souhaitera s’arrêter plus tôt que prévu. Mais ne pas le faire comporte aussi le risque de se buter sur des auberges affichant complet. Il faut aussi prévoir certains transports avec une agence de covoiturage, ou partir avec deux véhicules pour en laisser un au départ et un à l’arrivée; les services d’autocar ne desservent pas toutes les étapes.

«On n’a pas voulu planifier de manière trop précise, dans les moindres détails, pour laisser une belle liberté aux gens», dit Sylvie Cimon. On comprend aussi que cela fait partie de l’expérience. «Il ne faut pas qu’un pèlerinage soit trop facile… Il faut qu’on le termine fier de soi, émerveillé par notre force personnelle.»

Si vaste

La première étape est assurément l’une des plus spectaculaires, alors que le circuit emprunte les sentiers pédestres du parc national du Fjord-du-Saguenay pour saluer la gigantesque statue de plâtre blanc érigée par Napoléon Robitaille à la fin du XIXe siècle pour remercier la vierge de l’avoir sauvé d’une mort certaine quand, traversant le fjord en hiver, la glace a cédé sous le poids de sa charrette. Les deux heures de montée sont amplement récompensées par les points de vue sur le cap Trinité et la baie Éternité, leurs falaises de granit et forêts de sapins à perte de vue. On a beau faire, on s’étonne comme un touriste français de voir que ces paysages existent encore aujourd’hui, si vastes et si sauvages.

Après cet effort, mieux vaut dormir près de l’entrée du parc, pour repartir le lendemain le plus en forme possible: on mettra une soixantaine de kilomètres en trois jours pour relier Chicoutimi, en longeant la jolie baie des Ha! Ha!. Tâchez de loger, en cours de route, à l’auberge de la Rivière Saguenay, où Pauline Gagnon n’a pas son pareil pour accueillir les marcheurs et leur préparer de ressourçant petits-déjeuners santé. À Chicoutimi, le Monastère des servantes du Très-Saint-Sacrement remporte la palme de la meilleure affaire en ville (40$, copieux petit-déjeuner inclus), s’il ne vous en coûte pas trop d’avoir les toilettes à l’étage et de dormir seul, une seule chambre avec lit à deux places étant offerte.

Après viendra Jonquière, en passant notamment par les sentiers du Saguenay puis la piste cyclable où cohabitent étonnement bien cyclistes et marcheurs, pourvu qu’ils tiennent la droite. Rien à voir avec celles de Montréal à l’heure de pointe! On retombe en mode plus rural entre les champs de maïs ou de fleurs sauvages.

Les détours dans les villages permettent de sortir un peu de l’isolement, de refaire le plein au petit dépanneur (vous trouverez au mieux du fromage Boivin et des bleuets au chocolat des Frères trappistes, au pire des boissons gazeuses et des croustilles) et de découvrir des coins de pays qui, autrement, n’attirent pas les touristes. On fera quelques rencontres mémorables au casse-croûte, comme le sympathique maire de Saint-André, qui se fera un plaisir de vous faire faire un tour de son minuscule patelin (au plus 500 personnes), tellement décidé à faire connaître «aux gens de la ville» la beauté et l’importance de garder vivants même les plus petits et reculés villages du Québec. Il a même transformé la salle communautaire en dortoir, achetant lits, couvertures et draps pour les pèlerins qui y trouveront refuge pour 20$, cafés et rôties inclus. «On ne fait pas une cenne avec ça, mais on fait connaître Saint-André, et ça l’aide à survivre!»

À d’autres endroits, les traces de civilisation disparaissent presque totalement, comme lorsqu’il faut parcourir le chemin dit La Cavée, bordé de forêts touffues où ne poussent que les résineux. Moment de grande solitude. Il faut aimer. Ou accélérer le pas.

L’arrivée à Lac-Bouchette est plus gaie. Les maisonnettes colorées, fièrement fleuries, sont animées. Les familles saluent de la main les marcheurs. Sur la route qui sépare d’un côté le lac Ouiatchouan et de l’autre, le lac Bouchette, on a du mal à résister à l’envie de s’arrêter sur leurs plages de sable doré, mais il le faut: repartir et franchir le dernier kilomètre jusqu’à l’Ermitage Saint-Antoine sera trop dur. Ceux qui le désirent iront toucher du doigt des pierres rapportées de Notre-Dame-de-Lourdes, les autres profiteront de l’immense quiétude des lieux. Après de tels efforts, prière ou pas, personne n’aura de mal à trouver le sommeil.

Préparer son pèlerinage

Quand? Le printemps peut être froid, pluvieux et surchargé de moustiques. Mieux vaut l’éviter, ainsi que les journées chaudes de l’été. Les mois d’août et de septembre sont à privilégier.

Signalisation? Les panneaux ne manquaient pas en 2012, mais on promet d’ajouter en 2013 des cartes détaillées pour permettre aux voyageurs de mieux s’y retrouver. Commandez sans faute le guide du pèlerin pour préparer l’itinéraire.

Combien? Ce n’est pas donné: comptez environ 1200$ par personne (occupation simple) pour le forfait organisé par Groupe Voyage Québec, un peu moins si vous y allez par vos propres moyens, selon le type d’hébergement que vous choisirez et dont les prix peuvent varier entre 20$ et plus de 100$ la nuitée. Bonne nouvelle: il sera possible de dormir chez l’habitant cette année contre une faible rétribution. La liste sera mise à jour sur le site du pèlerinage.

Comment? À moins d’être un habitué des pèlerinages, et même encore, on déconseille fortement de partir en solo. L’option en groupe organisé est parfaite pour les personnes seules ou celles qui ne veulent pas transporter leurs bagages.

Équipement? De bons souliers de marche – des bottes de grande randonnée seront trop rigides –, des vêtements imperméables, un téléphone cellulaire, un livre de lecture (la télévision dans la chambre n’est pas la norme), des bâtons de marche pour mieux supporter le poids du sac à dos, même sur terrain plat, et des collations nutritives, l’offre des dépanneurs étant pour le moins limitée!

Informations: sentiernotredamekapatakan.org

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