Critique

Bashir et nous

Bashir Lazhar 
D’Evelyne de la Chenelière
Mise en scène de Sylvain Bélanger
Avec Rabah Aït Ouyahia
Au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui, jusqu’au 14 octobre
4 étoiles et demie

En évoquant son enfance en Algérie, Bashir Lazhar dit que sa mère est « la femme qui [lui] a donné le courage de devenir un homme ».

Du courage, il lui en faudra beaucoup, à ce brave monsieur Lazhar. D’abord pour s’exiler en laissant femme et enfants derrière lui. Puis pour recommencer sa vie au Québec et remplacer au pied levé une enseignante du primaire qui s’est pendue dans sa classe. Finalement, pour s’adapter à une société, un système, en subissant les préjugés des collègues, parents et élèves.

Quelle bonne idée du Théâtre d’Aujourd’hui de recréer ce texte ! Cinq ans après le succès du film de Philippe Falardeau, une décennie après la mise au monde de ce solo par Daniel Brière, avec le regretté Denis Gravereaux, la production signée Sylvain Bélanger est une réussite à tous points de vue : jeu, mise en scène, conception scénique.

Si vous avez une pièce à voir cet automne, c’est celle-ci !

Issu du monde de la musique rap, vu au cinéma (L’ange de goudron) et à la télévision (L’imposteur), Rabah Aït Ouyahia fait ici, à 42 ans, son baptême des planches. L’acteur est tout simplement splendide de charisme, de présence et de vérité !

Est-ce ainsi que les hommes vivent ?

On connaît le point de départ de l’histoire. Un homme d’origine algérienne est engagé dans une école comme professeur de sixième année, alors que la direction est encore sous le choc du suicide de l’enseignante qu’il remplace. Le choc des cultures, sa vision différente du monde de l’apprentissage ne l’aideront pas à s’intégrer à son nouveau milieu. Monsieur Lazhar se frottera à l’injustice et à la violence d’un pays « dangereusement en paix », pour citer Wajdi Mouawad.

On a souligné l’actualité criante de Bashir Lazhar, alors que l’Occident gère une crise des réfugiés sans précédent depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Peut-être… Or, à notre avis, cette production prouve surtout que l’œuvre est universelle et intemporelle. On peut changer le contexte, l’époque ou le pays, il restera toujours la solitude de l’étranger, l’isolement de l’homme blessé, celui qu’on ne voit pas, qu’on ne comprend pas… Pour la simple raison qu’on ne prend pas le temps de l’écouter.

Ode à l’amour

« Silence, s’il vous plaît ! » Voilà l’une des répliques qui reviennent le plus souvent dans la bouche du professeur qui s’adresse à sa classe. En 2007, on a écrit que la pièce était le reflet des carences de notre système scolaire. C’est s’en tenir à l’anecdote. Bashir Lazhar est beaucoup plus qu’une pièce sur les ratés de la réforme, ou les difficultés de l’immigration… C’est une ode à l’amour, à la justice et à l’espérance ; une fable sur le dur apprentissage de la vie, peu importe notre âge ou notre origine.

Evelyne de la Chenelière a probablement écrit l’une des pièces québécoises les plus importantes des années 2000. 

Un doux appel à la compassion et à la dignité humaine. Malgré le rejet, le demandeur d’asile restera courtois et fier. « Il a toujours de la tenue », dit son interprète dans le programme, ajoutant que c’est « la condition de l’homme racisé » de devoir être irréprochable. Envers et contre tous.

Écrite en 2002, alors que l’auteure était jeune maman, la pièce évoque aussi, en toile de fond, les doutes de la maternité ; ce que la société réserve aux enfants de l’avenir. Et dans les mots et la personnalité chaleureuse de monsieur Lazhar, on trouve un peu de cette douceur maternelle associée au pays d’Albert Camus. Un pénétrant désir d’un monde meilleur.

Quelque part au fond de notre âme, nous sommes tous Bashir Lazhar.

Critique

À Timothy pour toujours, ta Marilou

Psychédélique Marilou
De Pierre-Michel Tremblay
Mise en scène de Philippe Lambert
À La Licorne jusqu’au 28 octobre
3 étoiles

La nouvelle pièce de Pierre-Michel Tremblay offre de bons moments de comédie, mais cela repose surtout sur les bonnes idées de mise en scène et les interprètes, dont l’excellent Bruno Marcil.

Timothy Leary, figure incontournable des années 60 et promoteur du LSD, avait pour devise Turn on, tune in, drop out qu’on pourrait traduire en termes très modernes par « allumez, branchez-vous, mais lâchez prise ! ». Leary était partout il y a 50 ans, même à Montréal pour le bed-in de John et Yoko. Sa dernière parole sur son lit de mort aurait été : « magnifique ».

Un sujet en or face au conservatisme et à la rectitude politique actuelle que le dramaturge Pierre-Michel Tremblay utilise pour parler surtout de Marilou (Alice Moreault) – qui veut faire de Leary son sujet de maîtrise en anthropologie – et de ses parents (Jacques Girard et Isabelle Vincent), anciens hippies plus que conformistes, mais inconfortables dans leur peau vieillissante.

Bruno Marcil dans tout ça ? Il est le fantôme de Timothy Leary, la bonne et/ou mauvaise conscience de tous, le directeur de thèse de Marilou attiré par la jeune femme et un dramaturge européen de passage à Montréal. Sans parler de ses rôles secondaires… Bref, c’est son spectacle à lui et c’est tant mieux.

Car le texte de Pierre-Michel Tremblay ne s’avère pas toujours à la hauteur du sujet. Il sombre parfois dans la comédie burlesque (où Jacques Girard excelle, tranchant du coup bizarrement avec le reste de la très bonne distribution) et la philosophie bon marché, notamment lors du monologue final assez plat de Marilou.

La mise en scène enthousiaste de Philippe Lambert sauve souvent la partie et le spectateur de l’ennui avec l’utilisation psychédélicieuse de musiciens sur scène et d’éclairages au diapason. 

Les jeux de micros, de portes, de divans, dans une utilisation maximale de l’espace, gardent aussi la barque à flot.

Mais, à notre humble avis, l’histoire assez banale de Marilou et de sa famille n’était probablement pas l’embarcation idéale pour aborder des thèmes riches comme l’humanisme, l’émancipation, la transgression et la liberté. Même si on assiste à de bons moments comiques, on voit peu à peu le sujet échapper à son auteur et faire plouf ! à la fin.

Que reste-t-il des beaux idéaux des années 60 selon Pierre-Michel Tremblay ? Deux fois rien. Un homme qui souffle « magnifique » lors du trépas et un moine qui lave les pieds des gens fatigués. Le retour de Dieu ? 

Critique

Quelle famille !

Les enfants d’Adam 
D’Auður Ava Ólafsdóttir
Mise en scène de Luce Pelletier
Au Studio Hydro-Québec du Monument-National, jusqu’au 8 octobre
3 étoiles

Rien n’est plus tragique que le comique, estimait Eugène Ionesco, le père du théâtre de l’absurde. Avec Les enfants d’Adam, l’auteure islandaise Auður Ava Ólafsdóttir nous plonge dans un univers dramatique et absurde, dans lequel les situations comiques sont intercalées de graves interrogations existentielles, de conflits entre les générations et autres questions sur le sens de la vie.

La production à l’affiche au Monument-National fait partie du cycle scandinave amorcé en 2015 par le Théâtre de l’Opsis. La compagnie et sa directrice artistique, Luce Pelletier, y abordent notre « nordicité commune » au Québec et aux pays de la Scandinavie. Avant de monter une pièce suédoise l’hiver prochain, la metteuse en scène nous fait découvrir Les enfants d’Adam, pièce atypique de la romancière islandaise qui avait signé Rosa candida, et qui est présentée ici en première nord-américaine.

L’histoire tourne autour d’Élisabeth, de ses trois enfants et de son gendre (qu’elle méprise), le temps d’un brunch dominical pas comme les autres. Sauf pour son fils unique et adoré ­ – Mikhaël, qui vit depuis quelques années à l’étranger –, la mère, âgée et veuve, est devenue un fardeau pour ses enfants. Leur unique préoccupation est de savoir si elle a bien pris ses médicaments… Or, Élisabeth (exquise Dorothée Berryman !) les a convoqués pour une raison précise. Elle a enfin décidé de s’épanouir et de ne plus jamais dépendre de sa progéniture. Pour le meilleur et pour le pire.

Tribu dysfonctionnelle

Les personnages ont tour à tour de drôles de raisonnements qu’on pourrait résumer par cette réplique de la fille cadette : « On s’attend à une chose et la vie nous en envoie une autre… » Si Adam est mort et s’illustre par son absence, on en parle constamment. Comme si le passé avait échappé à cette tribu dysfonctionnelle, et qu’il lui fallait attendre la libération de la mère pour faire face à la réalité. D’ailleurs, les révélations d’Élisabeth sur son mari « très habile de ses mains » feront éclater l’identité et le vernis de cette famille conformiste.

Luce Pelletier semble avoir eu de la difficulté à tracer une ligne dramatique claire à ce texte totalement déjanté.

La structure éclatée, avec ses multiples couches et nombreuses ruptures de ton, est illustrée par des monologues au micro adressés au public et des chorégraphies loufoques et endiablées. Agréables et surprenants au début, ces recours à répétition aux pas de danse et à la musique techno finissent par lasser.

Heureusement, tout le quintette d’interprètes – Dorothée Berryman, Anne-Élisabeth Bossé, Daniel Parent, Sébastien Dodge et Marie-Ève Pelletier – est à la hauteur de cette partition difficile.

Au final, on a droit à une soirée étrange et amusante, mais qui nous laisse sur notre faim.

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