Chronique

Éric Duhaime n’est pas gai

De toutes les révélations qu’Éric Duhaime a faites hier au micro de son émission du FM93, à Québec, celle qui m’a le plus surpris est qu’il est gaucher.

Je savais qu’il était de droite, qu’il était Québécois, qu’il était de la génération X et qu’il était gai (le monde est petit et le monde jase). Mais qu’il était gaucher, je ne le savais pas.

Mais bon, Éric Duhaime a sorti les tambours et les trompettes, pas pour nous dire qu’il était gaucher, mais qu’il était homosexuel. Et, surtout, qu’il a écrit un livre sur le sujet.

« Ben oui, j’suis gai, pis après ? », a-t-il dit en prenant le micro en compagnie de son collègue Bernard Drainville.

J’ai d’abord salué intérieurement le geste d’Éric Duhaime. Toute démarche en vue d’une meilleure acceptation des droits des LGBTQ mérite notre admiration et des louanges.

Mais, en après-midi, après avoir lu cet essai qui a pour titre La fin de l’homosexualité et le dernier gay, j’ai déchanté. Je me suis même trouvé un peu con d’avoir pensé un instant qu’Éric Duhaime allait écrire des choses sensées et senties sur l’homosexualité en 2017.

Visiblement, Éric Duhaime souhaite brasser la cage en abordant sans détour une série de thèmes dans le but de nous dire qu’il n’y a plus grand-chose à faire de nos jours pour les homosexuels, car le Québec (à croire que la terre s’arrête là) est très tolérant à leur égard.

Éric Duhaime a raison sur une chose : la société québécoise est l’une des plus ouvertes à ce sujet.

Comme gai, je ne voudrais pas vivre ailleurs qu’ici. Mais reste que tout est loin d’être réglé et que tout ne se déroule pas comme dans une chorégraphie de La La Land.

Tant mieux si Éric Duhaime n’a pas l’impression d’être une victime, tant mieux s’il est épanoui et qu’il projette cette image auprès de son public. Mais le tableau qu’il brosse est approximatif et rempli de préjugés et d’énormités.

À plusieurs reprises, il utilise le terme « lobby gai » pour désigner le groupe de leaders de la communauté homosexuelle québécoise. Selon lui, le fameux « lobby gai » nourrit la victimisation des membres de la communauté LGBTQ.

Tableaux à l’appui, il se scandalise de découvrir que les différents gouvernements (fédéral, provincial et municipal) ont accordé depuis 2002 la somme de 5,4 millions à des organismes qui assurent la défense et la promotion des droits des gais et des lesbiennes. Ma réaction a plutôt été de me dire que cette somme était dérisoire.

S’il faut en croire Éric Duhaime, les organismes qui viennent en aide aux gais en détresse (notamment les adolescents) ou ceux qui font de l’éducation auprès du public en général n’ont plus besoin d’aide des gouvernements. Pour lui, « les Jasmin Roy de ce monde appartiennent à une autre époque ».

Éric Duhaime a fait son coming-out public hier, mais n’a pas envie de devenir un symbole. C’est son droit. L’auteur, qui en est à son quatrième essai, écrit qu’il ne souhaite pas être le prochain Dany Turcotte ou le prochain Daniel Pinard, encore moins (précise-t-il) un « Michel Girouard des temps modernes ».

Pourquoi « encore moins » Michel Girouard ? Duhaime nous dit qu’il est gai, mais qu’il n’a pas envie d’être associé à tous les gais. Comme l’a si bien dit un de mes amis un jour, alors que nous assistions au défilé de la Fierté et qu’on entendait des commentaires méprisants de la part de certains gais sur certains participants, « si les gais se mettent à juger les autres gais, on n’est pas sortis du bois ».

Duhaime consacre tout un passage à l’acronyme LGBTIQQA2s. C’est vrai que pour le commun des mortels, c’est devenu compliqué, tout cela. Il faut se promener avec un lexique.

Mais je suis tombé en bas de ma chaise quand j’ai lu qu’il n’avait pas envie de faire partie du même groupe que les autres minorités sexuelles. Les lesbiennes, ça passe. Mais pas les autres.

Éric Duhaime n’a de gai que son envie de « s’assoupir » à côté de l’homme qu’il aime, comme il l’écrit. Il oublie, qu’encore en 2017, être gai, c’est être un peu militant, c’est s’assurer que les droits de ses confrères et consœurs soient respectés, c’est savoir accompagner les plus jeunes qui doivent lutter pas seulement contre les gros cons de notre société, mais contre leurs démons intérieurs.

Cet ancien politicien a le droit de penser qu’il n’y a plus rien à faire et que les gais peuvent vivre comme bon leur semble. Mais réalise-t-il qu’en fermant les yeux sur la réalité, la vraie, la dure, la sournoise réalité, il nuit à l’avancement de la lutte que les gais doivent encore mener ?

Éric Duhaime n’est pas gai. Il est un polémiste de droite bourré de préjugés qui a orchestré minutieusement le lancement de son livre dans le but de faire parler de lui tout en ménageant les esprits conservateurs qui s’abreuvent à son micro.

Ce coup de théâtre amorcé dimanche soir par une annonce sur les réseaux sociaux (« Demain j’ai une GRANDE annonce à vous faire, possiblement la plus importante de ma carrière médiatique ») et qui s’est poursuivi avec une longue infopub faite hier sur les ondes du FM93, tout cela me procure un goût amer.

La nature a fait qu’Éric Duhaime est gai. La nature a fait qu’il pense comme il pense. J’aurais souhaité que la nature fasse les choses autrement.

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