Femen

Elles s’amènent au Québec

Lorsque Xenia Chernyshova s’est présentée à la porte du magasin Ikea de l’arrondissement de Saint-Laurent, le 25 octobre 2012, ce n’était évidemment pas pour mettre la main sur un fauteuil Karlstad ou une armoire Pax. À demi nue, les seins maquillés de fleurs de lys – « en hommage à Diane Dufresne » –, la jeune femme a déambulé en silence dans les allées avant d’être interceptée par des agents de sécurité. Sur son ventre plat, il était écrit : « Impossible de m’effacer ». Sur sa pancarte brandie à bout de bras, un slogan de Femen : « Women are still here » (Les femmes sont toujours là).

Rappelons que le géant du meuble suédois a créé un tollé, l’automne dernier, après avoir effacé les femmes de son catalogue destiné à l’Arabie saoudite. Femen a tôt fait de réagir en prenant d’assaut les magasins de Paris, de Hambourg et de Montréal. Alors qu’en Europe, les militantes ont mis la pagaille dans les rayons, l’offensive québécoise a été plus discrète. Les photos ont néanmoins circulé jusque dans Paris Match. Femen Québec était officiellement né.

Femen est « un mouvement international d’activistes topless courageuses aux corps couverts de slogans et aux têtes couronnées de fleurs », est-il indiqué dans son manifeste. Le groupe a désormais des ramifications partout : du Brésil à l’Algérie, de l’Allemagne à la Belgique, de la Suède à l’Égypte. « Femen, c’est le commando du féminisme, son avant-garde de combat, une incarnation moderne d’amazones intrépides et libres », disent ces femmes. C’est un féminisme d’action plus que de réflexion, un féminisme radical, agressif dont l’objectif premier est « la victoire totale sur le patriarcat ».

Tel un électrochoc, Femen vient secouer le mouvement féministe intellectuel, souvent vu comme ringard et dépassé. Leur tactique ? Le « sextrémisme », qu’elles définissent comme une « sexualité féminine incarnée dans des actes politiques extrêmes d’action directe ». Le corps devient bannière, devient arme. Avec leur couronne de fleurs sur la tête, leur beauté dénudée et leur stratégie marketing bien ficelée, ces militantes attirent à tout coup l’attention des médias. 

À la tête du groupuscule québécois, il y a Xenia Chernyshova, comédienne de 27 ans. D’origine ukrainienne, elle a grandi à Sept-Îles. Lors d’un séjour dans son pays natal en août 2012, elle a assisté par pure coïncidence à une manifestation de Femen à Kiev. Une des leaders, Inna Shevchenko, y a découpé à la tronçonneuse une croix orthodoxe pour protester contre l’emprisonnement des membres de Pussy Riot, groupe punk-rock féministe russe. Après ce geste d’éclat, elle s’est exilée en France, où elle vient de demander l’asile politique. « Ç'a été la rencontre d’une vie, confie Xenia. À mon retour au Québec, je savais que je devais agir. Ça s’est imposé à moi naturellement. »

L’International Topless Jihad Day, le 4 avril, a donné lieu à la deuxième manifestation de Femen Québec. Au centre-ville de Montréal, une dizaine de personnes, poitrine découverte, ont manifesté pacifiquement devant le consulat de la Tunisie. Des militantes Femen ont fait de même en Grande-Bretagne, en Allemagne, en Australie, en Suède, en Belgique et en Italie en soutien à Amina Tyler, une membre tunisienne de Femen qui s’est retrouvée en danger après avoir diffusé sur Facebook une photo d’elle la poitrine dénudée. Ce geste lui a valu des menaces sérieuses et elle est depuis recluse dans un endroit secret, empêchée par sa famille de sorties, de communications et d’école, afin d’éviter les représailles.

En France, les membres de Femen ont brûlé le drapeau salafiste devant la Grande Mosquée de Paris, dénonçant les atteintes aux droits des femmes dans les pays arabo-musulmans. Elles ont été arrêtées par les forces de l’ordre. De plus en plus violent, Femen essuie un lot de critiques, d'insultes et de menaces. Son site web est souvent piraté.

Militantisme doux

La cellule québécoise, toujours embryonnaire, n’est pas aussi radicale. Les façons de faire restent à définir. « Le mouvement est moins agressif qu’ailleurs où les femmes ont parfois milité au péril de leur vie, confirme Xenia Chernyshova. Femen Québec prendra l’allure qu’on souhaite lui donner, les leaders n’imposent rien. »

« L’agressivité ne passe pas ici, mais ce n’est pas vrai que les revendications doivent se faire uniquement dans la douceur. Sinon, rien ne bouge, ajoute Mylène Mackay, proche de Femen Québec.» Le mouvement n’est pas structuré et les membres vont et viennent selon les manifestations. « On n’est pas une secte uniforme ni un parti. On n’a pas de carte de membre, dit-elle. Chaque femme a sa personnalité, ses limites et ses préoccupations. »

« Le but est de ramener le féminisme au goût du jour, élargir le réseau, rajeunir l’effectif et créer la passation », avance Marie-Pier Labrecque, aussi alliée de Femen Québec.  

« Les femmes qui vivent dans les pays où la condition féminine est relativement bonne ont le devoir d’aider celles d’ailleurs, affirme Xenia Chernyshova. Au Québec, nous ne sommes pas dans l’urgence de contester, on peut prendre du recul. Mais cette façon de respirer autrement est nécessaire. Les femmes de partout dans le monde ont besoin de se rassembler, c’est l’union qui fait la force. »

Femen Québec (dont la page Facebook compte environ 600 fans) souhaite défendre les droits des femmes de partout, mais veut rappeler qu’ici aussi, il reste fort à faire. Les militantes n’hésiteront pas à se dénuder pour dénoncer la « déroute de la maman », la condition des femmes autochtones, la violence conjugale et... la tyrannie du corps. « Je suis consciente qu’on est dans la contradiction. On joue avec la nudité et avec l’hypersexualisation, mais on propose une nudité dénuée d’érotisme, on se réapproprie notre corps. La femme est en colère, révoltée, nue, mais pas docile. Nous sommes la suite d’une très longue marche féministe qui a déjà été faite. »

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