Éditorial

Le système de santé vu de l’intérieur

Les carences du système de santé vous choquent ? Vous n’êtes pas seul. Le manque de ressources prive les patients des soins nécessaires, confirment des médecins interrogés dans le cadre d’une thèse de doctorat.

« Ils se sentent impuissants à agir en dépit de leur volonté de soigner. Les limites qu’on leur impose (financières, matérielles, humaines, etc.) leur apparaissent souvent contradictoires avec les responsabilités professionnelles qu’ils doivent assumer face aux patients », résume l’auteur de La souffrance éthique dans le travail des médecins, Christian Genest.

Vingt médecins, généralistes et spécialistes, travaillant dans huit régions du Québec, ont témoigné sous le couvert de l’anonymat. D’autres problèmes, comme le manque de collaboration entre confrères, la pression des pharmaceutiques ou l’attitude de certains patients, qui consultent dans le seul but d’obtenir un médicament dont ils ont entendu parler, ressortent aussi des entretiens. Mais les tensions entre ce qui est médicalement souhaitable et la réalité de la pratique sont particulièrement d’actualité parce qu’elles éclairent de l’intérieur ce que de plus en plus de patients perçoivent de l’extérieur, à savoir que le système ne répond pas aux besoins. Les médecins cités ne parlent pas de médicaments hors de prix aux bénéfices limités. Il évoquent des délais courants (pour un test d’imagerie médicale, un traitement, une opération, alouette) qui les empêchent de soigner les malades. « Ils éprouvent alors le sentiment qu’une injustice est commise à l’égard de leurs patients, mais également à leur égard, car ils se sentent comme l’instrument de cette injustice », note l’auteur.

L’enquête ciblait des médecins, mais le sentiment est sans doute partagé par d’autres travailleurs de la santé – des infirmières ou des préposés en centre d’accueil qui manquent de temps pour s’acquitter de leur tâche, par exemple.

Nous sommes bien conscient qu’il n’existe pas de solution simple. Augmenter le volume de services de façon suffisante (à supposer qu’on ait la main-d’œuvre) coûterait une fortune, car l’organisation actuelle des soins repose sur les ressources les plus onéreuses, l’hôpital et le médecin. Le Québec, qui consacre déjà près la moitié de son budget au ministère de la Santé et des services sociaux, n’en a pas les moyens. De toute façon, ce ne serait pas un usage très intelligent des fonds publics.

Se contenter, comme le ministère de la Santé le fait depuis des décennies, de respecter les budgets, n’est pas brillant non plus. Tant qu’on ne s’organisera pas pour utiliser les fonds de la façon la plus efficace possible, on ne s’en sortira pas. Nettoyer tout ce qui peut l’être dans l’administration avant de toucher aux services… Refuser toute nouvelle mesure ou exigence bureaucratique qui empiète sur le temps consacré aux soins… Mieux répartir les tâches… Mieux gérer les achats, en en particulier les coûteuses fournitures médicales… Ce ne sont pas les chantiers qui manquent.

Tout cela, évidemment, serait plus facile si l’on partait de zéro et qu’on bâtissait tout à neuf. Des projets réalisés un peu partout dans le réseau montrent cependant qu’il y a moyen de faire mieux. Pourquoi ce souci n’est-il pas plus répandu ? Pourquoi n’est-ce pas la priorité absolue ? C’est cette inconscience, bien plus que le manque de ressources, qui ronge notre système de santé.

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