Parents en guerre  Survivre à l’aliénation

ROSE ET LA POLICE

J’avais deux ans et demi quand mes parents se sont séparés. À partir de ce jour-là, la police est venue de plus en plus souvent. Quinze, vingt fois, je ne m’en souviens plus… Ma mère ne voulait jamais nous laisser partir. Elle faisait une crise dans la rue. Elle laissait mon père attendre une heure dans l’auto.

Si on lui disait qu’on avait été bien chez notre père, elle nous disait qu’on irait en famille d’accueil. Au téléphone, ça devenait tellement violent que mon père s’est mis à enregistrer leurs conversations.

Ma mère nous a signalées en disant qu’il était violent et qu’il entrait nu dans notre chambre. Elle avait travaillé à la DPJ, mais la DPJ a vu que c’était faux. Nous, on avait peur, même s’il était triste. Une fois, je me suis sauvée dans le bois pour ne pas aller chez lui. C’est la police qui est venue me chercher.

Même la nuit, repenser à leurs chicanes m’empêchait de dormir.

À 7 ans, j’arrivais à l’école en pleurant. J’ai redoublé.

À 10 ans, j’ai témoigné en cour, en répétant les choses fausses que ma mère me disait de dire, même si je ne les avais jamais vues. Le juge a vu clair et a décidé qu’on irait vivre chez notre père.

J’étais déstabilisée. Je ne savais plus à qui me confier. J’avais envie de mourir. J’ai écrit ça dans un devoir d’école : « Des fois, j’ai le goût de m’enfuir au ciel. Mon père dit que ma mère est folle. Il cache le téléphone. Il a déjà tué mes minous dans un puits et battait mes chiens. Il défonçait les murs et cassait les téléphones. Il fallait mettre des barrures sur les murs. »

Vers 14 ans, j’ai commencé à poser des questions à la DPJ. Ma mère continuait de nier avoir menti, de proclamer qu’elle avait toujours été là pour nous. Mais j’ai commencé à lui dire de se faire soigner, de ne plus me dire ses choses d’adulte. Avec elle, c’est toujours les autres qui ont un problème. J’ai beaucoup de peine et beaucoup de colère ; je me sens trahie.

Ma petite sœur a une bonne relation avec notre père. Pour moi, il est trop tard. Même si je sais qu’il a été victime de ma mère, je ne suis même pas capable de l’embrasser. Il me manque trop d’années avec lui. Ma grande sœur ne parle plus à aucun de nos deux parents. Elle n’en peut plus des conflits.

Je pense étudier en délinquance et entrer dans l’armée l’hiver prochain. Non, ça ne me fait pas peur. Pas après ce que j’ai vécu.

— Propos recueillis par Marie-Claude Malboeuf, La Presse

Parents en guerre  Survivre à l’aliénation

KARINE ET LA POUBELLE

Je suis tombée enceinte de mon prof de quatrième secondaire à 16 ans. Il en avait 23. On s’est séparés deux ans après la naissance. Pour lui, je n’étais pas une mère parce que je travaillais dans un bar. Il s’est mis en couple avec une autre ancienne élève, qui a toujours dit du mal de moi.

À 5 ans, mon fils m’a croisée dans un stationnement et ça lui a tout pris pour me saluer. J’aurais dû allumer. Quand j’allais le voir au hockey, il me regardait à peine. J’y allais de moins en moins. Après, il s’est servi de cela pour me faire des reproches. Son père et sa conjointe l’encourageaient. Ils lui demandaient toujours ce qu’il avait mangé chez moi, quels films il avait regardés, pour me critiquer subtilement.

En sixième année, mon fils m’a annoncé du jour au lendemain qu’il voulait me voir seulement quand ça le tentait. J’ai capoté, ça ne pouvait pas se passer comme ça.

J’avais beau habiter juste en face de l’école primaire, il n’est plus jamais revenu dîner. Il refusait toutes les belles activités que je proposais. Il nous a supprimés de ses amis Facebook : moi, son beau-père, ses demi-frères, son parrain. Sa petite sœur est née après son départ ; il ne l’a jamais connue. Pour lui, on n’existait plus.

J’ai intenté des procédures. Ma grand-mère de 74 ans est allée chez lui pour le raisonner. La blonde de mon ex l’a poussée et a menacé d’appeler la police.

Ils ont appelé la DPJ en disant que je ne respectais pas la volonté de mon fils. J’ai tellement pleuré…

Au procès, mon fils a écrit au juge que je ne lui servais pas des repas assez « nutritifs », que je ne me levais pas le matin, que je buvais mon urine.

L’expertise m’a ouvert les yeux. (On y lit que le garçon dénigre sa mère pour protéger son père, doit consulter des notes et déclare : «  J’ai entendu dire que… »)

Le juge a dit au père sa façon de penser, mais sa décision a été cassée en appel – il était trop hors de lui. Au nouveau procès, le juge était encore de mon bord. Mais mon fils venait d’avoir 15 ans : trop vieux pour qu’on le force à venir chez moi.

Le juge lui a lui-même remis une carte de ma part, en lui disant d’en prendre bien soin. En fin de journée, la greffière a retrouvé la carte dans les toilettes des femmes.

Je suis tombée pile sur mon fils à un concert de Simple Plan. En deux ans, il avait beaucoup grandi ! Je lui ai juste dit : « Je t’aime. » Il m’a répondu : « Moi aussi. » On s’est serrés dans nos bras. Je ne l’ai pas revu depuis.

— Propos recueillis par Marie-Claude Malboeuf, La Presse

Parents en guerre

Survivre à l’aliénation, deux récits

Une adolescente détournée de son père
et une mère privée de son fils nous racontent leur histoire. Elles ne se connaissent pas, mais leur souffrance est la même.

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