RUPTURE D’ADOPTION

Des enfants offerts sur Facebook

Aux États-Unis, une enquête-choc de l’agence Reuters a révélé en 2013 l’existence du private re-homing : un marché souterrain où des parents désespérés offrent, sur les réseaux sociaux, des enfants qu’ils regrettent d’avoir adoptés. Plus de 260 enfants, la plupart adoptés à l’étranger, ont ainsi été confiés à de parfaits inconnus rencontrés sur l’internet.

Habituellement, les anglophones utilisent le terme re-homing au sujet d’animaux de compagnie dont ils veulent se départir. Cette fois, il s’agit bien d’enfants, même si certains messages diffusés sur Yahoo et Facebook semblent décrire un chien devenu indésirable. Un exemple parmi d’autres : « Né en octobre 2000. Ce beau garçon, Rick, venu de l’Inde il y a un an, est obéissant et désireux de plaire. » À qui la chance ?

DANS LES FILETS DE « BIG MOMMA »

Nicole Eason se faisait appeler « Big Momma » sur les réseaux d’échange – et y était très active. Au cours des dernières années, l’Américaine a réussi à mettre le grappin sur au moins six enfants offerts sur le web par leurs parents adoptifs. Pourtant, ses deux enfants biologiques lui avaient été retirés par les services sociaux en raison de ses problèmes psychiatriques sévères et de ses tendances à la violence, a révélé l’agence Reuters.

Parmi les six enfants « adoptés » par Mme Eason, il y a eu Quita, une adolescente de 16 ans qu’un couple américain avait récupérée dans un orphelinat du Liberia, deux ans plus tôt. Deux années difficiles. La greffe n’a jamais pris. Alors, en 2008, le couple a réussi à se débarrasser de sa fille adoptive, en publiant une annonce sur le Net.

Mme Eason et son mari, Calvin, habitaient une maison mobile aux allures de dépotoir. La transaction s’est déroulée très vite. Les parents de Quita ont signé une simple déclaration notariée. Et ils sont repartis sans leur fille. Sans savoir, non plus, que Big Momma et son mari avaient été accusés d’agressions sexuelles sur des enfants.

« Ils avaient l’air merveilleux », ont-ils expliqué à Reuters.

UNE AUBAINE POUR LES PRÉDATEURS SEXUELS

Quelques mois plus tard, Nicole Eason s’est acoquinée avec un prédateur sexuel, Randy Winslow, pour se procurer un autre enfant. Ils ont consulté les réseaux d’échange sur l’internet. Le jour même, ils ont donné rendez-vous à une mère adoptive dans le stationnement d’un hôtel… et sont repartis avec son fils de 10 ans. Sans signer le moindre papier.

La mère adoptive, Glenna Mueller, a avoué à Reuters qu’elle ne s’était pas donné la peine de se renseigner sur le passé des deux étrangers ni sur leur emploi. Elle ne savait même pas leur adresse. Ce qu’elle voulait, c’était se débarrasser de son fils adoptif, à tout prix. « Je ne pouvais supporter de le voir. Je voulais que cet enfant quitte la maison. »

Randy Winslow purge actuellement une peine de 20 ans de prison pour pornographie infantile. Nicole Eason est retournée vivre avec son mari. Elle n’a jamais été arrêtée.

DES PARENTS DÉSESPÉRÉS

« Je l’aurais donnée à un tueur en série. J’étais tellement désespérée », a avoué une mère adoptive sur un réseau d’échange à propos de sa fille de 12 ans.

Ces parents adoptifs rêvaient de fonder une famille ; ils se sont retrouvés avec des enfants profondément troublés. Des enfants brisés par la négligence, les abus ou la vie en orphelinat. Par crainte de subir un nouvel abandon, ces petits écorchés bousillent tout lien affectif avec leurs nouveaux parents. En les menaçant à la pointe d’un couteau, en agressant leurs petits frères et leurs petites sœurs ou en égorgeant les animaux domestiques…

Les parents sont rapidement dépassés. Ils s’isolent, perdent leur emploi. Leur famille se décompose. Ils ne vivent plus ; ils survivent. À leurs yeux, les réseaux d’échange sur le web représentent la seule issue de secours.

LES FAILLES DU SYSTÈME

L’enquête de longue haleine de la journaliste Megan Twohey a scandalisé l’Amérique. Des législateurs fédéraux ont appelé la Maison-Blanche à prendre les mesures nécessaires pour que cessent les échanges d’enfants sur l’internet. Des États ont entrepris de resserrer leurs lois. Jusque-là, aucune législation n’interdisait spécifiquement la pratique.

Aux États-Unis, une simple procuration permet aux parents de confier la garde de leurs enfants à d’autres adultes – une procédure souple conçue pour des situations temporaires, par exemple lorsque des parents épuisés confient leurs enfants à des membres de la famille pour prendre quelques mois de répit. C’est cette faille du système qu’exploitent ceux qui échangent leurs enfants sur l’internet, et que veulent désormais combler les législateurs.

Le scandale a eu des échos au-delà des frontières américaines. La Chine et la Russie, pays d’origine de nombreux enfants adoptés, demandent des comptes. Ils estiment que les États-Unis n’en font pas assez pour protéger les enfants vulnérables qu’ils ont confiés à des familles américaines.

Yahoo a fermé les groupes de discussion qui avaient été utilisés pendant des années pour échanger des enfants. Facebook, pour sa part, a refusé de le faire, prétextant être un « reflet de la société ».

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